« Attention aux injonctions ! » - L'Infirmière Magazine n° 205 du 01/05/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 205 du 01/05/2005

 

Alimentation

Questions à

Fin mars, Patrick Tounian, gastro-entérologue à l'hôpital Trousseau, animait un débat sur l'alimentation du jeune enfant. Il met en garde contre certains effets pervers de l'éducation nutritionnelle et contre les dangers de l'injonction.

Quel est ce Syndicat français des aliments à l'origine de ce débat sur l'alimentation du jeune enfant ?

Il s'agit du regroupement d'industriels gros producteurs de laits infantiles. Son but est de promouvoir leurs produits. Ils le font de façon intelligente en s'entourant de spécialistes pour faire passer des messages nutritionnels.

Que pensez-vous du PNNS ?

Il a été créé sous l'impulsion du rapport de B. Guy-Grand en 1995 qui faisait l'état des lieux en France et proposait un programme de prévention des maladies nutritionnelles. Ce sont les fameuses injonctions : « Cinq fruits et légumes par jour », « Bouger davantage... » et d'autres messages, des petits livres à destination du grand public et des professionnels. L'idée de promouvoir la nutrition est une bonne idée. Cependant, cette somme d'injonctions médiatiques peut avoir un impact très négatif sur les individus en engendrant des troubles du comportement alimentaire. Il faut donc être extrêmement prudent dans la manière de faire passer nos messages.

Vous semblez douter de la capacité des enseignants à changer les comportements alimentaires...

Toutes les études scientifiques ont montré que l'éducation nutritionnelle dans les petites classes n'était pas efficace pour prévenir l'obésité, et les spécialistes pensent même que cela peut avoir un effet délétère. À force de faire des injonctions aux enfants en disant « Ne mangez pas de frites ! », « N'allez pas au Macdo ! », on peut avoir des effets négatifs tant à court terme, en mettant les parents en conflit avec l'éducation des enfants à l'école, qu'à plus long terme, avec des enfants qui développent un comportement alimentaire inverse de celui préconisé.

Vous soulignez l'importance de l'éducation du goût chez le jeune enfant et le rôle des parents.

L'école et les institutions doivent avoir un rôle passif en matière nutritionnelle, en opposition aux parents qui eux doivent avoir un rôle actif. Il faut éduquer le goût. J'ai pris pour exemple une école élémentaire de Rueil-Malmaison qui a institué la semaine du potiron. La maîtresse apporte des potirons qu'elle coupe, qu'elle fait dessiner. Au repas de midi, on sert un velouté de potiron, le lendemain une purée de potiron, puis un gâteau de potiron, etc. Les enfants prennent ce qu'ils veulent. La semaine suivante, la vanille est en vedette, puis le brocolis, les épinards. Mais on ne leur dit pas : « Il faut manger du potiron ou des épinards ; manger des frites c'est mal ! » Il n'y a pas d'injonction. Mais attention, les parents doivent ensuite éduquer leurs enfants. Là, c'est difficile car ils sont soumis à l'influence des médias et des industriels qui ont plus d'un tour dans leur sac pour vendre leurs produits. Je voudrais revenir sur le problème du sucre. En France, un récent rapport de l'Afssa a contribué à diaboliser le sucre ajouté dans l'alimentation, le rendant en partie responsable de la croissance de l'obésité. Il en a découlé une ultramédiatisation et les industriels se sont empressés d'écrire sur chacun de leurs produits « sans sucres ajoutés ». Or, certains jus d'orange pur jus contiennent beaucoup de sucre, plus que le coca-cola. Et les parents ne comprennent plus rien : « Le coca- cola c'est mauvais, plein de sucres ajoutés, mais le jus d'orange pur fruit c'est bon. » Je vois en consultation pour obésité des enfants dont les parents consciencieux ont banni le coca-cola et les sodas de leur alimentation, mais qui les laissent boire de grandes quantités de jus d'orange ou d'autres fruits « sans sucres ajoutés » ! C'est tout le problème de la diabolisation du sucre sans prendre en compte la notion d'excès...

Quel message voudriez-vous faire passer sur l'obésité infantile ?

Le problème de l'obésité est surtout un problème de comportement alimentaire et d'excès. Il n'y a pas de solution miracle. Il faut promouvoir la nutrition, notamment par l'éducation du goût et renoncer aux injonctions. Il doit y avoir des aliments « santé » et des aliments « plaisir » dont la différence doit être expliquée aux enfants par leurs parents. Le rôle de ces derniers est incontournable. Ni l'école, ni les soignants ne peuvent remplacer les parents.

Patrick Tounian Chef de service adjoint du service de gastro-entérologie pédiatrique de l'hôpital Armand-Trousseau (Paris).

Spécialiste de l'obésité infantile, Patrick Tounian se consacre tout autant à l'enseignement (il dirige le diplôme interuniversitaire consacré à l'obésité de l'enfant et de l'adolescent) qu'à la recherche.

Il est aussi secrétaire général du Groupe francophone d'hépatologie-gastro-entérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP).

En outre, il publiera en mai 2005 un livre simple et pratique qui aura pour titre L'Alimentation du nourrisson et du jeune enfant.