Maintenant, fini de décoder ! - L'Infirmière Magazine n° 205 du 01/05/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 205 du 01/05/2005

 

Vous

Vécu

Enfin une rubrique tout entière dédiée à votre prose. Empreints d'humour, d'émotion, de tendresse, vos témoignages sont désormais publiés dans la rubrique « Vécu ». Les textes peuvent être adressés via notre messagerie électronique (atronchot@groupeliaisons.fr) ou par courrier. À vos stylos !

Il ne faut jamais se fier aux apparences. N'est-ce pas Hortense ? En tout cas, c'est ce que je dis à mon chien lorsqu'il me voit manger un hot-dog. Et c'est ce que je me dis maintenant lorsque je vois débarquer quelqu'un en pleine dépression.

Panne de son

Comme cette brave dame, adressée pour malaise, que nous avons reçue le mois dernier. D'habitude, un malaise, ça se passe souvent à la salle des fêtes, au mariage du cousin Gaëtan.

Y'a pas de mystère : à force de bouffer comme un chancre et de boire comme une grille d'égout, on branle un peu dans le manche à la fin du repas... Mais parfois, ça se situe ailleurs, dans une banque, par exemple. Je revois très bien mon premier râteau en plastique, sur la plage de Saint-Malo, mais je me souviens aussi parfaitement de la pelle du centre 15 concernant la dame en question.

« Allô... bonsoir... pour vous prévenir de la sortie des pompiers de... qui demandent l'intervention du Smur. Motif : code 35... Ça correspondrait à un malaise... une femme de cinquante ans. La police se rend également sur place. »

Tiens donc ! Qu'est-ce que les flics ont à voir là-dedans ? C'est vrai que dans notre bled, ils se déplacent pour un pet de chien. C'est tout juste s'ils ne se pointent pas à l'école primaire lorsqu'un gamin triche aux billes... Bref, notre équipe de dépannage se dépêche d'aller voir sur place. Des fois que ça urgerait...

Après un temps aussi court qu'une nuit de noces en plein été arctique, les pompiers et le Smur sont de retour aux urgences. Je vais aux nouvelles. « Bonjour, madame. » La madame en question ne me répond pas. Ça ne m'étonne qu'à moitié, car je n'ai jamais su parler aux femmes.

Mais aujourd'hui, ma lourdeur relationnelle ne semble pas en cause. Apparemment, elle fait la gueule à tout le monde.

J'interroge mon collègue ambulancier. « - Was passiert ? Gino hausse les épaules, fataliste.

- Ben... quand on est arrivé elle était allongée sur le brancard des pompiers. Y'avait trois cents personnes autour et elle nous regardait comme une télé qu'a une panne de son.

- Et les flics dans tout ça ?

- J'sais pas. Ils ont dû voir de la lumière et ils sont rentrés. Ils parlaient avec les gars de la banque. Nous, ils nous ont rien dit en tout cas. »

Dépression sur toutes les chaînes

Après ces éclaircissements assez ternes, je rejoins notre invitée dans la salle de soins. Prostrée sous les draps, elle joue toujours à la télé en panne. Et pas question de changer de chaîne, Arsène. Bref, vu le tableau, c'est sûrement une dépressive...

Mais assez de philosophie à deux balles, on va plutôt essayer de faire avancer le schmilblick. Histoire d'engager la conversation, je vérifie quelques paramètres de la brave dame en lui expliquant le pourquoi de la chose.

Tension 13/7, pouls 80, température 37°2, TVA 18,60 %, que demande le peuple ? Une réponse ! Qui se fait attendre. Elle n'a décidément pas les oreilles dans le sens du vent.

L'électrocardiogramme et la glycémie sont aussi désespérément normaux. Les autorités compétentes se grattent la tête. Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait les gars ? Si on la faisait tomber du brancard pour qu'elle se casse une jambe ? Au moins, on aurait un diagnostic précis. Non, ce n'est pas une bonne idée.

Revolver sur la tempe

Finalement, après trois quarts d'heure d'efforts pour lancer le débat, le toubib se résigne à l'hospitaliser, afin de la mettre en observation. Troubles psychologiques avec mutisme aggravé. Quand on a dit ça, on a tout dit...

Après avoir ouvert les portes, afin que Gino l'emmène en médecine, je reviens sur mes pas. Perplexe, je regarde Benoît, l'assistant, qui lève les bras au ciel. Au moment où il les fait redescendre, le téléphone portable se met à sonner dans ma poche de blouse.

« - Les urgences, bonjour...

- Bonjour... Monsieur Tartempion, directeur du Crédit agricole. Peut-on avoir des nouvelles de notre employée qui a été braquée par les gangsters ?...

- Pardon ?

- Mais oui, la dame que le Smur est venue chercher tout à l'heure. Elle était très choquée...

- Excusez-moi, vous dites qu'elle a été braquée ?

- Oui, bien sûr. Vous savez bien qu'elle a eu un revolver sur la tempe pendant deux ou trois minutes. Et le type qui la menaçait n'était pas très délicat, d'ailleurs...

- Je vous passe le médecin. »

En prenant l'appareil, Benoît me regarde comme si j'étais un martien en porte-jarretelles. Il est aussi coloré qu'un fromage blanc à 0 %. Le dialogue téléphonique auquel j'assiste me déprime profondément. Je dois cependant poursuivre le cours de mon existence.

Dans cette perspective, j'hésite tout de même entre plusieurs attitudes : m'engager dans la légion étrangère, me taper la tête contre les murs, aller boire un canon à l'office. N'aimant pas me singulariser, je choisis la troisième solution. Je retrouve mes collègues en train de nettoyer des instruments de suture.

Après avoir bu mes deux grands verres de grenadine, j'aperçois Benoît qui passe en trombe dans le couloir. Il est sûrement parti en médecine, causer à son collègue de la victime de la bande à Bonnot. Sûr qu'il va lui expliquer l'origine de la panne de son...

La tête dans les mains, j'explique à Gino les derniers rebondissements. Faisant un remake de la Vénus de Milo, il en a les bras coupés.

« - Mais quel est le fils de con qui a bouffé la consigne ?

- Tout le monde et personne... d'après le directeur de la banque, ils ont tout expliqué en appelant les secours...

- Eh bien, le jour où on a distribué l'intelligence, ceux du centre 15 sont arrivés en retard... »

Une case par code

Ceci dit, avec les ordinateurs, on ne nous apprend pas tellement à réfléchir. Tous les appels que le Samu reçoit sont traités par informatique et il recrache les infos aux services d'urgences concernés par des messages codés. Une case par code.

Vous pouvez avoir un code « malaise », un autre « fracture de membres », ou encore un autre « plaie à la tête », par exemple. Mais pour ce qui est d'affiner un peu le message, vous pouvez allez vous faire brosser le jonc. Il n'y a pas de case « vilain bandit qui pointe son 57 Magnum sur la tempe de la gentille caissière ». Ça n'existe pas.

Quand est-ce qu'on se reparle ?

Oh, et puis après tout, ce n'est pas bien grave. Dans quelques années il n'y aura plus de braquages. Avec Internet, on n'aura même plus besoin d'aller à la banque. Tout se fera de façon virtuelle. Bref, le XXIe siècle sera celui de la communication sur le Web. Et quand tout le monde aura appris à se servir d'un ordinateur, au XXIIe siècle on réapprendra à se parler...