Soigner en maison d'arrêt - L'Infirmière Magazine n° 205 du 01/05/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 205 du 01/05/2005

 

santé publique

Conduites à tenir

Le soin en maison d'arrêt nécessite une prise en charge globale de la santé des détenus, dans ses aspects somatiques et psychiatriques. Il inclut la prévention, l'éducation pour la santé et la préparation des relais sanitaires après la sortie.

DÉFINITION

La maison d'arrêt est une catégorie d'établissements pénitentiaires où se côtoient des personnes condamnées à de courtes peines, d'une durée inférieure à un an, et des prévenus, c'est-à-dire des personnes dont l'affaire est en cours d'instruction et qui seront jugées ultérieurement en correctionnelle ou en cour d'assises, selon la nature du délit.

MISSIONS

Définies par la circulaire d'application de la loi de 1994, les missions de l'unité de consultations et de soins ambulatoires (Ucsa) reposent sur une conception globale de la santé, avec trois volets :

- les soins somatiques et psychiatriques ;

- les actions de prévention et d'éducation pour la santé, en partenariat avec l'administration pénitentiaire ;

- la préparation du suivi médical en postincarcération.

DÉTENUS

Les détenus sont confrontés à de multiples facteurs de stress : tendance quasi permanente à la surpopulation, promiscuité entre petits délinquants et « grandes pointures », rupture fréquente des liens extérieurs, confrontations, reconstitutions, incertitude quant à la peine encourue, peu de contact avec les avocats et, d'une manière générale, absence d'information sur le cours de l'instruction. Ils souffrent également du manque d'activité, du confinement et de la promiscuité en cellule.

La prison accueille une majorité de sujets délabrés qui ont pour fil conducteur de leur vie la précarité. Elle génère elle-même des pathologies. La population carcérale est jeune, plutôt désocialisée et présente de terribles carences.

Sur le plan intellectuel. On note un fort taux d'illettrisme, un niveau scolaire bas (de l'ordre de la cinquième) et des formations sans diplôme.

Sur le plan physique. On observe une fragilité en liaison avec une absence de préoccupation pour la santé. Outre les maladies dermatologiques et infectieuses, les principales pathologies rencontrées sont liées à l'alcool et aux autres toxicomanies.

Sur le plan psychique. Carences affectives énormes et nombreux troubles de la personnalité (forte intolérance à la frustration, verbalisation faible, image de soi très négative, absence de repères) sont les principaux problèmes psychiques rencontrés. Ces carences donnent une population en proie à une grande souffrance, souvent incapable de se projeter dans l'avenir, en colère contre la société et encline à s'enfermer dans un processus de victimisation.

Sur le plan pathologique. L'incarcération génère des pathologies. De l'angoisse et du stress, pour les raisons déjà citées et aussi parce que souvent la loi n'a pas été intériorisée, c'est-à-dire comprise comme nécessaire dans une interrelation. La prison provoque une altération des sens, comme des troubles de l'accommodation, du fait du rétrécissement de l'espace. En outre, elle engendre un ensemble de pathologies fonctionnelles, psychosomatiques, comme des troubles digestifs (constipation, flatulences, douleurs abdominales du fait du manque d'activité et de l'existence de toilettes non closes). Les maux de tête sont très fréquents, liés au stress et à la fumée en espace clos.

SOIGNER EN PRISON

L'angoisse du détenu doit être contenue. Mais, bien souvent, le prisonnier éprouve une grande difficulté à se représenter ce qui se passe à l'intérieur de lui-même et pourra seulement dire : « Je pète les plombs. » Le soignant doit alors tenter de cerner avec lui la cause majeure de son mal-être et de l'orienter vers la personne la plus qualifiée : responsable pénitentiaire, service social, médecin ou psychologue.

La prison est aussi un lieu de revendications par excellence ; il faut donc toujours bien se positionner en tant que soignant et procéder à un recadrage du détenu visant à préciser les missions de chacun. La manipulation étant omniprésente, il devient nécessaire de toujours essayer de démêler le vrai du faux, l'appel au secours du chantage par rapport au système judiciaire, et parfois être dupe, mais en connaissance de cause. C'est, au quotidien, la difficulté de ne pouvoir négliger une plainte somatique, tout en restant vigilant afin de ne pas se laisser abuser. Enfin, la demande de psychotropes est très forte en prison, et les soignants, soumis à de fortes pressions en ce sens, se voient contraints à un rappel constant des règles professionnelles.

CONTRAINTES LIÉES À LA STRUCTURE

L'activité infirmière est exercée dans un contexte où la sécurité prime. En termes d'organisation, il faut sans cesse s'adapter à la structure pénitentiaire et différer régulièrement les soins, car le détenu est très demandé (juge, greffe, parloir, etc.).

DES SOINS POLYVALENTS

Les soignants assurent l'organisation, le suivi des consultations de médecine générale, psychiatrie, stomatologie, dermatologie et gèrent la petite et la grande urgence.

Accueil. L'accueil de l'arrivant est primordial. Il se fait le plus rapidement possible après les formalités d'écrou. C'est en partie lors de cet accueil que peut se nouer une relation de confiance. C'est aussi un moment qui permet à l'entrant de « souffler » après l'arrestation et la garde à vue. Un entretien infirmier d'entrée a été mis en place. Il complète la consultation médicale d'entrée obligatoire dans les vingt-quatre heures.

Recueil de données. Le recueil de données porte sur l'état civil, les conditions de vie, de travail, le suivi médical antérieur, les antécédents, les facteurs de risque d'exposition (VIH, hépatites) et ce qui permet de repérer d'éventuels problèmes de santé nécessitant, par exemple, une consultation médicale urgente, s'il s'agit notamment d'un sevrage aux opiacés ou à l'alcool. Bien sûr, l'organisation de l'Ucsa, c'est-à-dire son mode d'accès, la permanence infirmière et les consultations des différents intervenants, est détaillée avec le détenu.

Ces entretiens infirmiers pourront ainsi à tout moment être réalisés au cours de l'incarcération, sur simple demande aux surveillants, l'objectif étant d'essayer de ne pas différer la prise en charge de l'angoisse.

Dépistage. Les prélèvements sanguins permettent d'assurer notamment le dépistage obligatoire de la syphilis et, sur la base du volontariat, du VIH, des hépatites B et C. L'IDR (intradermo-réaction) doit être faite à tout entrant, à défaut de la radio des poumons obligatoire à l'entrée, en application de la circulaire de décembre 1994.

Soins « directs ». Les injections, prises de consultations, pansements, donc tous les soins pouvant se faire en dehors du milieu hospitalier (sauf perfusions, lavages vésicaux, etc.) sont effectués à l'Ucsa.

Thérapeutiques. La distribution quotidienne des thérapeutiques, s'il s'agit de psychotropes ou de produits de substitution avec contrôle de la prise de ces derniers en raison du trafic, est aussi effectuée par l'infirmière.

Gestion. L'infirmière a en charge la gestion administrative des consultations à l'hôpital et des hospitalisations programmées nécessitant une parfaite coordination avec la police, les services pénitentiaires et l'hôpital.

Urgence. La « petite urgence », d'ordre essentiellement traumatologique, consécutive le plus souvent à des chutes sur le terrain de sport ou à des rixes, est gérée par l'infirmière. Elle a en charge l'orientation ou non vers le centre hospitalier.

En cas d'urgence vitale, les premiers soins en cellule, à même le sol, sont effectués. Un recueil rapide de données est établi avant d'être relié au 15 par l'intermédiaire du téléphone sans fil. En prison, il s'agit toujours d'un moment de grande tension .

Au quotidien. Il reste les plaintes multiples témoignant d'une forte demande relationnelle. Il faut à la fois ne pas passer à côté d'un problème organique et, face à des plaintes répétées qui peuvent provoquer chez le soignant un sentiment d'impuissance, toujours accorder du crédit au message exprimé par le détenu, le lui dire et le lui montrer, de façon à créer un climat propice à une évolution positive, cette douleur étant en effet très souvent un mode d'entrée en relation.

Prévention. La démarche soignante, très pragmatique, consiste à insuffler une culture de réduction des risques par :

- une incitation au dépistage du sida et des hépatites ;

- une mise à disposition, à l'Ucsa, de préservatifs, brochures, livres et affiches de sensibilisation.

Les actions d'éducation pour la santé collectives nécessitent une collaboration entre les professionnels de l'administration pénitentiaire et les enseignants intervenant en prison. Ainsi, les soignants travaillent à l'amélioration de l'hygiène en détention, après avoir suivi une formation commune avec le Codess visant à préciser les missions de chacun dans la réalisation de ce projet.

L'administration pénitentiaire s'est engagée à rénover les douches et à réaliser l'installation d'eau chaude dans les cellules, travaux qui, en raison de leur coût, devront être échelonnés.

L'équipe enseignante aborde les mêmes thèmes, de façon plus ludique, avec la collaboration d'un dessinateur du Pays malouin. « Pépito » encadre une fois par semaine un groupe de détenus chargés de produire une bande dessinée sur le thème du moment destinée à être publiée dans le journal d'établissement, chaque trimestre.

PRÉPARATION À LA SORTIE

Elle doit s'envisager dès l'entrée, en collaboration avec les services socio-éducatifs de la prison. En effet, une mobilisation des soignants pendant le séjour en prison sans relais à la sortie est catastrophique, notamment pour les toxicomanes : le travail en réseau est donc essentiel. Des consultations avancées en toxicomanies (CSST) et alcoologie (CCAA) se déroulent à l'Ucsa. Elles visent à convaincre le patient de la nécessité d'un suivi en postincarcération.

Le rôle infirmier consiste en un repérage objectif des patients présentant une dépendance ou une consommation abusive de substances licites ou illicites et une orientation vers les équipes spécialisées dans ce type de prise en charge. Pour cela, une grille d'évaluation de ces conduites addictives a été intégrée à l'entretien infirmier d'admission.

SÉCURITÉ

Les soignants doivent observer quelques règles de sécurité :

- être toujours accompagnés d'un surveillant lors des soins en cellule ;

- ne jamais recevoir de détenus seuls à l'Ucsa ;

- en semaine, le surveillant affecté à l'Ucsa se tient à proximité de la salle de soins ;

- cette bonne collaboration, fondée sur des relations de confiance, ne doit pas déboucher sur une confusion des rôles. Le soignant est chargé du soin, le surveillant de la sécurité ;

- s'assurer qu'un détenu ne connaisse jamais sa date d'admission à l'hôpital, qu'il s'agisse d'une hospitalisation programmée ou d'une simple consultation, les évasions se produisant statistiquement sur le trajet prison-hôpital où à l'hôpital même.

BILAN

Le soin en prison est un acte d'accompagnement qui vise à aider le détenu à reprendre, s'il le souhaite, la direction de son histoire.

Être soignant en prison signifie vivre une expérience humainement riche et difficile, en raison de la charge mentale de l'univers carcéral et des particularités du détenu. Il faut donc être lucide, ne pas baisser les bras et puiser dans l'équipe l'énergie nécessaire.