Chasse au stress ! - L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005

 

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Mieux vivre

Burn-out, épuisement, dépression... Les maux liés au stress touchent de plein fouet notre profession. Pour y pallier, Françoise Boissières, formatrice et ancienne infirmière, enseigne la gestion du stress à des soignants éreintés...

« On nous demande plus et en moins de temps, déplore Aurélia Frauciel, IDE en service de cardiologie, rappelant ici l'actuelle et douloureuse plainte des soignants. Le personnel est sous pression, payant parfois cher en retard cumulé le temps qu'il souhaite consacrer au relationnel au chevet d'un patient. Chacun encaisse cette tension permanente avec plus ou moins de recul. Certains parvenant à quitter le service à l'heure, l'esprit tranquille, même si tout n'est pas bouclé, d'autres comme moi, incapable de partir tant que le travail n'est pas terminé. » Aurélia Frauciel parle aujourd'hui avec recul de son attitude au travail et de son burn-out. Il y a quelques mois, épuisée, saturée, elle bénéficie d'un stage « gestion du stress », une formation qu'elle a demandée deux ans auparavant et qui tombe à point nommé : « J'étais devenue infernale au travail, confesse-t-elle. Je ne supportais pas les retards de mes collègues, ne faisais pas confiance aux autres et ne savais pas déléguer. Non seulement je disais à mes collègues comment travailler, mais j'allais jusqu'à les surveiller et ne partais pas tant que cela n'était pas fait... »

Prise de conscience

Avec une douzaine de collègues venus d'autres services, Aurélia a pu pendant quelques jours nommer son épuisement professionnel, et comprendre comment puiser en elle et appréhender le travail différemment. Françoise Boissières, leur formatrice, sait de quoi elle parle. Il y a une quinzaine d'années, alors infirmière, elle est victime d'un grave accident de voiture. Un événement qu'elle qualifie aujourd'hui de salutaire. Après s'être rétablie, elle retravaille puis cesse son activité infirmière quelque temps plus tard. « Avec le temps, j'ai réalisé que j'étais en burn-out, mais que je ne m'en rendais pas compte. À l'époque, on n'en parlait pas. Je me disais que je devais assumer encore davantage et que cela faisait partie de ma mission. » Depuis une dizaine d'années, elle anime des formations dédiées à la gestion du stress(1). Récemment, Françoise Boissières a repris un poste à temps partiel de cadre infirmier. Plaisir pour elle de retrouver le terrain et d'être en phase avec le vécu infirmier : « Je pense toujours aujourd'hui que les infirmières admettent difficilement qu'elles vont mal. Certaines il est vrai demandent elles-mêmes le stage, mais d'autres y sont inscrites par leur cadre. La première étape est la prise de conscience. Parfois, je suggère à certaines, en multipliant les approches, de s'arrêter un peu... mais elles ne l'entendent pas. »

Bébés morts

Pierre est brancardier. Il a fait le choix de cette formation qui lui a permis de libérer son angoisse : « J'étais très mal en débutant le stage. Dans les semaines précédentes, j'avais eu à transporter plusieurs bébés morts, ce qui demande de les placer dans leur berceau avant de les présenter à leur famille. J'ai eu également à intervenir sur un accident mortel d'un jeune homme... Des situations que j'ai beaucoup de mal à accepter et que pourtant j'ai gardées en moi. Pas facile de s'accorder le temps de parler, d'avouer que l'on est mal. » Devant le groupe, en écoutant ses collègues raconter leurs propres difficultés, Pierre revit les pénibles événements récents et craque. Par une succession d'exercices ludiques, de jeux de rôles, de temps de parole ou de ressourcement corporel, Françoise Boissières dégage peu à peu l'émotion. Le stage commence par des petits jeux de communication, exercices d'écoute qui surprennent un peu : téléphone arabe avec des pressions ou claquements de mains pour montrer qu'il n'est pas si simple de se comprendre. La dynamique lancée, les soignants se détendent avant de se raconter, en duo, une situation professionnelle stressante qui sera présentée au groupe par celui qui a écouté « et qui se montre rarement neutre, ponctuant son intervention de petites touches personnelles sur ses propres difficultés, ce qu'il aurait fait, lui ». Difficile également de s'entendre « raconté » quand en bon soignant, on est davantage à l'aise dans un rôle actif.

Empathique ou perfectionniste ?

La seconde journée, des exercices simples sont proposés : automassages, sophrologie, respiration, étude de travail d'équipe inspiré du développement personnel... Ces séances viennent entrecouper les temps de discussion : « Les anecdotes et la description des autres personnalités nous aident à mieux nous connaître, estime Aurélia Frauciel. Sommes-nous plutôt de tendance empathique ou perfectionniste ? Nous arrivons ainsi à considérer nos manies comme les pare-feu de notre angoisse... » Le travail sur la culpabilité, noeud gordien des relations professionnelles, est l'un des axes importants de ce temps de ressourcement : « J'ai apprécié cette simplicité à nous aider dans de petites démarches, répondre d'une autre manière, envisager les choses autrement, conclut Pierre. Dire non, cela peut se faire simplement, sans qu'on culpabilise... Voici une des choses que j'arrive à appliquer, que j'ai bien gardée en tête : laissez-moi la journée, je vous donne une réponse tout à l'heure... »

1- Auteur de Les Soignants face au stress, avec la collaboration de Pierre Couput, publié en 2002 aux éditions Lamarre, Françoise Boissières propose plusieurs stages de formation : « Développer ses qualités professionnelles face aux situations stressantes », « Accompagner les patients sans s'épuiser », ou encore « Comment se prémunir du syndrome d'épuisement professionnel ». Pour la contacter : formatous@wanadoo.fr.

nos conseils

- Savoir lever l'ancre

Trop souvent nous utilisons les « ancrages » de façon négative, nous remémorant un souvenir malheureux... « Une "ancre" est un stimulus externe (pincement de l'oreille, serrement du poing...) qui renvoie à un état interne. Ce principe d'ancrage, nous l'utilisons dans notre quotidien sans nous en apercevoir : une musique pour nous faire revivre une sensation perçue lors d'un événement, la vue d'un vieux vêtement qui vous rappelle une certaine soirée... » Se fixer sur des « ancrages » positifs, c'est retrouver des sensations heureuses et rassurantes, enfouies tout au fond de nous : une photographie, un son, un paysage de vacances, la même caresse dans le cou que l'on se faisait enfant... sont des petits plus pour nous permettre de ressentir de façon moins stressante une situation.

Françoise Boissières enseigne des techniques simples que l'on peut mettre en pratique facilement, en tous lieux (même coincé au milieu d'un embouteillage !) pour se reconnecter à ses ressources internes.

Modalités pratiques

Durée

Le stage dure 2 jours + 1, au minimum. L'idéal, selon la formatrice et certains stagiaires, est qu'il dure 2 fois 2 jours + 1 journée pour faire le point, 6 mois plus tard.

Participants

Le stage regroupe 12 personnes au maximum, souvent issues du même établissement, et se déroule sur le lieu de travail. Infirmières, manipulateurs radios aides-soignantes, brancardiers... L'occasion aussi pour les infirmières de rencontrer des professions paramédicales qu'elles connaissent moins. Mais pas de cadres ! Des stages cadres sont par ailleurs organisés sur les mêmes thèmes.

Principes

Deux principes fondamentaux : ne pas juger et garantir la confidentialité dans les deux sens. Françoise Boissières ne sait rien de ses stagiaires avant de les accueillir, ne s'est pas entretenue à leur sujet avec un supérieur sur des difficultés éventuelles : « Je suis formatrice à un temps T, et neutre. Une apparition. Je reste dans mes limites de formatrice. Ainsi, parfois, je vois des filles arriver mal et repartir mal, mais je ne peux faire plus. » De la même façon, la confidentialité dans le groupe est l'un des engagements de départ : ce qui se dit lors de ce travail appartient au groupe et n'en sortira pas.

témoignage

Les vertus du dialogue

Aurélia Frauciel, IDE en service de cardiologie, a pu vérifier les bienfaits de la gestion du stress.

« J'ai eu l'occasion rapidement après la fin du stage de me servir des outils reçus. Un patient avant un examen cardiaque se montrait nerveux, ne supportant pas que ma collègue le touche ou lui rase les poils pour lui poser les pastilles... Jusqu'à devenir hystérique et agressif. Naguère, j'aurais eu tendance à user de mon autorité pour intimer l'ordre au malade de respecter les procédures. Cette fois, je me suis employée à le calmer en lui parlant doucement. Peu à peu, en dialoguant, j'ai pu l'approcher et le préparer pour l'examen. Cela m'a rassurée sur mes capacités, redécouvrant presque cet aspect de mes compétences. »