Chirurgie et traitement par AVK - L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005

 

pharmacologie

Conduites à tenir

En France, environ 2 % de la population est traitée par antivitamine K (AVK). Il s'agit principalement d'adultes de plus de 40 ans, mais aussi de personnes plus âgées. En cas d'intervention chirurgicale, ces traitements anticoagulants présentent un risque hémorragique qui impose une évaluation et une prise en charge préopératoire spécifique.

INDICATIONS

Les AVK (encadré ci-contre) sont utilisées pour prévenir les complications thrombo-emboliques des cardiopathies emboligènes (fibrillation auriculaire, valvulopathies mitrales, prothèses valvulaires, infarctus du myocarde), mais aussi pour traiter les thromboses veineuses profondes ainsi que l'embolie pulmonaire et prévenir leur récidive(1). En prévention, elles empêchent la formation de thrombus en inhibant la production de la thrombine (enzyme qui provoque la coagulation du fibrinogène) et du réseau de fibrine, sans toutefois augmenter le risque hémorragique. En curatif, elles ont pour objectif d'empêcher l'extension d'un thrombus préexistant.

Leur efficacité est avérée, comme le montre la réduction de deux tiers des AVC chez les patients ayant une fibrillation auriculaire. Elles ont donc un rôle majeur, voire vital, pour certains patients. Toutefois, leur utilisation n'est pas dépourvue de risques : elle réclame d'évaluer au cas par cas le rapport bénéfice/risque de l'indication et d'assurer un suivi très rigoureux des paramètres sanguins pour éviter les complications qui seraient liées à un sous-dosage (récidive, extension des accidents thrombo-emboliques) ou à un surdosage (saignements, AVC hémorragique), dont les conséquences peuvent aussi compromettre le pronostic vital. Autant dire qu'aborder la chirurgie chez un patient sous AVK implique de rompre l'équilibre établi et complique singulièrement la prise en charge. Si certaines interventions peuvent être réalisées sous AVK (encadré p. XI), la plupart nécessitent, en effet, d'interrompre le traitement en raison du risque hémorragique.

ÉVALUER LE RISQUE HÉMORRAGIQUE

« L'hémorragie, indique le Pr Philippe Nguyen, responsable du laboratoire central d'hématologie du CHU de Reims, est la conséquence attendue de tout acte chirurgical. Le risque hémorragique est toujours supérieur au risque thrombotique pendant la période périopératoire. En per et postopératoire, la thrombose reste exceptionnelle, alors que l'hémorragie expose aux risques vital et infectieux, mais aussi au retard de cicatrisation et à la reprise chirurgicale impliquant une réexposition au risque anesthésique et transfusionnel, entre autres. »

Outre ces considérations générales justifiant l'arrêt des AVK, certaines chirurgies, vasculaires et orthopédiques en particulier, sont naturellement hémorragiques en dehors de toute anomalie de l'hémostase.

Dans d'autres types de chirurgie, les conséquences de l'hémorragie sur un site chirurgical particulièrement vulnérable invitent à la plus grande prudence vis-à-vis des AVK : c'est le cas en neurochirurgie, en chirurgie ORL, en chirurgie amygdalienne et dans certaines chirurgies ophtalmologiques. « De même, ajoute le Pr Nguyen, un risque d'infarctus du myocarde "sur table" peut faire envisager le maintien d'un traitement antiplaquettaire par l'aspirine, mais pas le maintien des AVK, et un risque thrombotique majeur (notamment veineux), une héparinothérapie postopératoire précoce, mais en aucun cas la reprise immédiate des AVK. »

En tout état de cause, en dehors des interventions à faible risque hémorragique envisageables sous AVK, l'arrêt du traitement anticoagulant s'impose toujours en cas de chirurgie. Toutefois, ses modalités varient selon qu'il s'agit d'une chirurgie programmée ou urgente.

CHIRURGIE PROGRAMMÉE

Quel que soit le risque thrombotique, il convient d'envisager l'arrêt des AVK trois à quatre jours avant la date d'intervention et de contrôler l'INR le jour J :

- si INR < 1,5 : la chirurgie est réalisée ;

- si INR proche de 2 : accélérer la correction de l'INR par administration de 0,5 à 1 mg de vitamine K et différer l'intervention de huit à douze heures en réalisant un contrôle préopératoire de l'INR. En l'absence d'apport de vitamine K, il convient de surveiller quotidiennement l'INR jusqu'à correction requise.

Lorsque le patient présente un risque thrombotique majeur(2), l'arrêt des AVK peut être relayé par une héparinothérapie transitoire vingt-quatre à quarante-huit heures avant l'intervention à base d'héparine non fractionnée (HNF) ou d'héparine de bas poids moléculaire (HBPM, voir encadré ci-dessous) à dose curative.

« Ce traitement relais doit être interrompu suffisamment tôt pour permettre la chirurgie », affirme le Pr Nguyen. L'arrêt est déterminé en tenant compte de la posologie, de la voie d'administration, du type de molécule choisi et de sa durée de vie. Il intervient en général cinq heures avant l'intervention pour l'HNF et douze heures avant, en moyenne, pour l'HBPM.

URGENCE CHIRURGICALE

Dans ce cas, la conduite à tenir dépend du « degré d'urgence » :

- lorsque l'état du patient permet de différer la chirurgie de douze heures, l'administration de vitamine K (effet antidote) peut être envisagée seule à raison de 1 à 5 mg, en fonction du risque hémorragique lié à la chirurgie ;

- en cas d'urgence immédiate ou d'hémorragie préexistante à la chirurgie, il convient d'administrer 20 à 30 unités par kilo de complexes prothrombiniques (PPSB) sous contrôle biologique. « Certains prescripteurs craignent le potentiel prothrombotique du PPSB (il est faible, mais présent théoriquement) et préfèrent utiliser du plasma frais congelé (PFC), explique le Pr Nguyen. Cette option doit néanmoins être envisagée avec réflexion, car elle induit un risque d'expansion volumique non souhaitable chez certains patients, insuffisants cardiaques, notamment. »

APRÈS LA CHIRURGIE

Les AVK ne peuvent être reprises sans une héparinothérapie préalable. On utilise le plus souvent une HBPM administrée à une posologie adaptée au risque thrombotique veineux postopératoire. La réintroduction des AVK peut néanmoins être rapide si le risque hémorragique postopératoire immédiat semble minime ou inexistant. Dans certains cas, il est préférable d'attendre pour s'assurer de l'absence de risque hémorragique avant de reprendre le traitement par antivitamine K. La posologie de réintroduction doit tenir compte de la dose moyenne quotidienne efficace en préopératoire. Des doses « de charge » (10 mg de Coumadine® alors que le patient était bien équilibré sous 5 mg avant l'intervention, par exemple) pourraient favoriser la thrombose du fait de l'effondrement de la protéine C.

MESURES ANTITHROMBOTIQUES NON MÉDICAMENTEUSES

Par ailleurs, il semble préférable de renforcer la prévention médicamenteuse de la thrombose veineuse postopératoire par une contention veineuse jusqu'à déambulation complète du patient. « Les contre-indications de la contention sont exceptionnelles : il s'agit de l'ischémie critique et de l'ischémie aiguë des membres inférieurs. En cas d'artériopathie moins avancée, la contention est généralement envisageable. »

1- Les AVK peuvent également être employés en prévention de la thrombose sur cathéter et de la maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) après chirurgie de hanche, mais sont peu utilisés en pratique dans ces indications.

2- L'acte chirurgical est considéré à haut risque thrombotique en orthopédie et en cancérologie. Le risque est modéré en chirurgie viscérale bénigne.

Pharmacopée

Les AVK sont des médicaments anticoagulants qui agissent en interférant sur la synthèse des facteurs vitamine K dépendants.

Cinq molécules sont actuellement disponibles en France. Elles peuvent être différenciées en deux groupes selon leur demi-vie et leur durée d'action :

- les AVK à demi-vie courte (cinq à 10 heures) : acénocoumarol (Sintrom®, Mini-Sintrom®) ;

- les AVK à demi-vie longue (vingt-quatre à quarante-cinq heures) : fluindione (Préviscan®), warfarine (Coumadine®). À l'arrêt du traitement, le temps de retour à la normale des temps de coagulation (INR = 1) est de l'ordre de deux à quatre jours pour les molécules à demi-vie courte et voisin de quatre jours pour les molécules à demi-vie longue.

Opérer sous AVK : oui mais...

Certaines interventions peuvent être réalisées sans modifier le traitement AVK. Elles nécessitent néanmoins de contrôler préalablement l'INR (International Normalized Ratio), d'utiliser des techniques d'hémostase chirurgicale rigoureuses et de proscrire l'anesthésie locorégionale, car elle comporte un risque d'hématome compressif périmédullaire favorisé par les anticoagulants. Une chirurgie est en général réalisable sans risque hémorragique lorsque l'INR est inférieur à 1,5. Chez un patient traité par AVK, l'INR « cible » se situe entre 2 et 3(1).

À ce niveau d'INR, les soins dentaires peuvent être effectués après information et avis du chirurgien dentiste opérateur. Les chirurgies avasculaires (cataracte, par exemple) et les polypectomies coliques concernant des polypes de petite taille peuvent être réalisées sous AVK sans normalisation préalable de l'INR. De même, certaines chirurgies digestives ou gynécologiques peuvent être envisagées sans normalisation complète de l'INR, à condition toutefois que celui-ci soit inférieur à 2.

1 - Un INR inférieur à 2 reflète une dose insuffisante. Un INR supérieur à 3 peut correspondre à une dose trop forte et signifie un risque potentiel d'hémorragie. Chez une personne non traitée par AVK, l'INR est égal à 1.

HNF versus HBPM ?

- Les héparines sont des produits naturels extraits d'organes animaux composés de chaînes de polysaccharides ayant une affinité particulière pour l'antithrombine III, anticoagulant naturel. L'héparine a pour fonction de rendre rapidement active l'antithrombine III, laquelle neutralise la thrombine et entraîne un retard à la coagulation.

- L'héparine non fractionnée (HNF) peut convenir dans la grande majorité des cas.

Selon le contexte (hospitalisation ou ambulatoire), elle peut être administrée soit par voie intraveineuse, soit en sous-cutané à une posologie adaptée à la situation du risque thrombotique, la plupart du temps à dose dite « curative » ou « hypocoagulante ».

- Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) sont souvent privilégiées en ambulatoire, car elles s'injectent par voie sous-cutanée et ne nécessitent aucune surveillance spécifique. Les HNF sont préférées aux HBPM en cas d'insuffisance rénale (clairance de la créatinine < 30 mL/min) et chez les personnes âgées.

La demi-vie courte de l'héparine et la possibilité de recours à un antidote (sulfate de protamine) représentent deux avantages des HNF par rapport aux HBPM. En revanche, la demi-vie courte de l'HNF cacique sous-cutanée impose des injections toutes les huit heures.

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