Des solutions pour les mamans aveugles - L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005

 

Édith Thoueille et Martine Vermillard

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Rencontre avec

Édith, Martine et toute l'équipe de la PMI de l'Institut de puériculture et de périnatologie (Paris) ont développé un accueil spécifique pour les parents et futurs parents handicapés visuels. Transport, nourriture, éveil de l'enfant, prévention des accidents domestiques, elles livrent mille conseils pratiques.

« Depuis toujours, nous sommes dans l'acceptation de la différence. Nous cherchons à comprendre les mamans, à dialoguer et non pas à leur inculquer les choses, explique Édith Thoueille, puéricultrice et responsable de la PMI de l'Institut de puériculture et de périnatologie, situé dans le XIVe arrondissement de Paris. C'est peut-être parce que nous venons du secteur hospitalier de l'IPP où nous avions déjà été confrontées au handicap et à ce que c'était de devenir des parents en dehors de la norme. »

Thermomètres et balances parlantes

Quand avec Martine Vermillard, puéricultrice, elles reçoivent pour la première fois une maman aveugle en 1986, l'équipe met tout en place pour comprendre son mode de vie et ses besoins spécifiques. Les deux jeunes femmes se renseignent auprès de l'association Valentin-Haüy et découvrent les outils créés pour faciliter la vie des handicapés visuels : thermomètres et balances parlantes, montres tactiles, machines à écrire le braille, etc. « Nous avons aussi réalisé combien les personnes handicapées qui projettent d'avoir un enfant s'exposent à un blâme social, encore aujourd'hui, observe Édith Thoueille. Elles sont culpabilisées, parfois infantilisées, et les personnels soignants ne sont pas exempts de préjugés. »

Les deux puéricultrices créent alors un groupe de parole mensuel pour les parents et futurs parents handicapés visuels. Différents thèmes y sont abordés : le développement psychomoteur de l'enfant, la prévention des accidents domestiques, etc. Des textes sont retranscrits en braille par des bénévoles, d'autres sujets sont enregistrés sur cassettes audio. Des couples sont parfois intégrés au groupe avant même la conception. Beaucoup hésitent à faire un enfant. Ils peuvent ici évoquer leurs doutes, entendre l'expérience de ceux qui les ont précédés et se rassurer sur leurs compétences. Les futures mères handicapées visuelles sont intégrées aux groupes femmes enceintes, qui ont lieu une fois par semaine. « Là, elles sont toutes unies par ce gros ventre et c'est tout. Personne n'est là pour leur dire : "Mais comment vous allez faire ?"», observe Édith.

En effet, ce qui compte avant tout, c'est de considérer ces futures et jeunes mères d'abord dans leur singularité de femme, et non en tant qu'aveugle ou handicapée. « C'est pourquoi il est important que cet accueil ait lieu hors du secteur associatif », note au passage la puéricultrice.

Solutions adaptées

Les futurs parents, dont certains viennent d'autres régions de France, sont aussi reçus individuellement par Édith ou Martine. Au fil des années, l'équipe a répertorié tous les trucs et astuces qui permettent de contourner les difficultés de tous les jours : usage du porte-bébé plutôt que de la poussette, choix d'une layette à boutons pressions ou à scratchs plutôt qu'à enfiler, aménagement de la maison... Le matériel de puériculture (biberons, tire-lait, etc.) peut être manipulé à l'envi, ainsi que des mallettes de layettes spécialement constituées. Des mères non voyantes ont parfois proposé de venir avec leurs bébés pour que de futurs parents puissent « s'entraîner ». Édith a même adapté des imagiers en y ajoutant des étiquettes en braille pour que les mères non voyantes puissent participer à l'éveil de leur enfant. « L'idée est de ne pas faire les choses à la place des parents, soulignent les deux puéricultrices, mais de faire émerger les solutions les mieux adaptées. »

Reconnaissance médiatique

En 1997, l'équipe de la PMI du boulevard Brune participe à la rédaction d'un livret blanc sur la condition des femmes aveugles, via un texte consacré au matériel de puériculture. La présentation à la presse amène une soudaine reconnaissance médiatique à l'équipe réunie autour d'Édith. « Et parallèlement, la reconnaissance de nos tutelles », note-t-elle. Car jusqu'alors, aucun soutien officiel n'avait été apporté aux deux puéricultrices. Le savoir acquis, les formations, les conférences, les lectures, tout cela s'est fait hors du temps de travail. Martine a obtenu une maîtrise de psychologie, « en révisant au coin du feu et le week-end ». Pas de budget spécifique ni de congé de formation, jusqu'à il y a peu... « Sans l'aide des médecins d'ici et l'implication de toute l'équipe, nous n'aurions rien pu faire », assure Édith Thoueille.

Dernière adaptation en date, les deux puéricultrices se sont formées à l'échelle d'évaluation du comportement de Brazelton : une méthode d'observation qui permet de mieux comprendre le tempérament du bébé et l'interaction parents/enfants. Depuis juillet 2003, il est proposé à tous les parents. « On s'est demandé comment faire en sorte que les parents handicapés visuels n'en soient pas exclus », explique Martine.

Aucune équipe n'avait jamais fait ce travail avec des parents non voyants. Intuitivement, les deux puéricultrices tentent donc une approche innovante : Martine passera le Brazelton au bébé, pendant qu'Édith fait sentir à la maman les réponses du bébé aux stimulations. Si celui-ci referme les doigts sur un doigt placé dans sa main (réflexe du grasping), Édith effectuera le même geste dans la main de la mère.

« Nous avons mis en place un accueil, une écoute en dehors de tout jugement », précise Édith. Les deux soignantes aimeraient à présent que leur initiative fasse des émules. « Beaucoup de professionnels nous sollicitent pour qu'on intervienne dans leur maternité, note Martine, mais ça n'essaime pas de façon structurée. Pourtant, il faudrait juste améliorer l'accueil des mamans afin qu'elles puissent aller dans les PMI et être accueillies comme les autres, que les professionnels n'aient pas peur. Et peut-être instaurer un centre de référence régional. »

moments clés

- 1983 : Édith et Martine prennent leur poste à la PMI de l'IPP.

- 1986 : première rencontre avec une jeune maman aveugle. Avec l'aide de l'association Valentin-Haüy, Martine et Édith lui proposent notamment un second carnet de santé pour son enfant. La jeune femme le remplit en braille, avec les mêmes informations que le carnet ordinaire.

- 1990 : l'association Valentin-Haüy lance une ligne téléphonique appelée SOS vie quotidienne. Chaque fois que des appels concernent la petite enfance, ils sont rebasculés sur la PMI du boulevard Brune. Cette initiative a beaucoup contribué à faire connaître cet accueil aux publics concernés.

- 1997 : la section « femmes » de la Fédération des aveugles de France s'adresse à l'équipe de l'IPP pour participer à la rédaction de son livret blanc, qui est intitulé Femme et handicapée visuelle, une double discrimination. L'équipe obtient ainsi la reconnaissance de la presse et des tutelles.

- 2002 : elles obtiennent l'habilitation du Children institute pour le passage de l'échelle de Brazelton.

en savoir plus

Édith Thoueille

- 1971 : diplôme d'État d'infirmière

- 1983 : diplôme d'État de puéricultrice

- 1997 : DU de psychologie périnatale

Martine Vermillard

- 1976 : diplôme d'État d'infirmière

- 1981 : diplôme d'État de puéricultrice

- 1989 : Maîtrise de psychologie clinique