La maternité au-delà de la paralysie - L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005

 

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Horizons

Bien qu'atteintes de paralysies plus ou moins lourdes, de nombreuses femmes cèdent aujourd'hui à leur désir naturel d'avoir des enfants. Louise-Marie Avril-Grosjean, paraplégique et mère de deux enfants, fait partie de ces mamans exceptionnelles. Parcours.

Ses deux jeunes fils pleins de santé symbolisent aujourd'hui magnifiquement le combat pour la vie de Louise-Marie Avril-Grosjean : c'est en effet respectivement à 40 puis à 45 ans que cette femme paraplégique est enfin parvenue à concrétiser son désir d'enfant. Ces grossesses réussies viennent couronner le long parcours du combattant de cette femme devenue paraplégique à l'âge de 10 ans. « Malgré mon handicap, témoigne-t-elle, j'ai toujours rêvé de travailler. Aujourd'hui, je suis docteur en psychologie. Mais je voulais aussi fonder une famille. Avec mon premier mari, on a dû recourir à la procréation médicale assistée : ça a été un échec. On a aussi reçu un refus d'agrément d'adoption. Quand, quelques années plus tard, je me suis remariée, me croyant stérile, je n'ai pas pris de précaution... Aussi, lorsque je me suis retrouvée enceinte, tout a basculé dans l'euphorie ! »

Locaux inaccessibles

Pourtant, comme pour bien d'autres mères handicapées motrices, le suivi médical de Louise-Marie ne va pas être évident : « Dès le cabinet de gynécologie, c'est la galère ! Il faut d'abord parvenir à dénicher un spécialiste dont les locaux sont accessibles. Comme très peu d'entre eux possèdent une table d'auscultation réglable en hauteur, au fur et à mesure de la prise de poids, cela devient de plus en plus dur de s'y transférer à partir du fauteuil roulant. » Pour son accouchement, la future maman a préféré « choisir un obstétricien qui s'était déjà occupé de l'accouchement d'autres femmes handicapées. J'avais aussi peur de ne pas savoir faire la différence entre une fuite urinaire et la rupture de la poche des eaux... Finalement, à cause de l'étroitesse de mon bassin, j'ai dû accoucher par césarienne, à l'hôpital Édouard-Herriot de Lyon. On m'a installée dans le service des grossesses pathologiques, où il y a davantage de personnel... Évidemment, la salle de puériculture était inadaptée, avec des tables à langer et des baignoires pour bébés trop hautes pour moi... Au départ, une auxiliaire m'a dit : "Là on vous fait tout, mais vous aurez aussi besoin de quelqu'un de retour à la maison." J'ai rapidement compris que je devais leur montrer que j'étais capable d'être maman.

Je voulais allaiter mon bébé, mais cela n'aurait étonné personne si j'avais abandonné. Pour mon premier fils, j'ai pourtant tenu durant sept mois. Du coup, lors de mon second accouchement, des auxiliaires voulaient me citer en exemple à d'autres mères : j'avais fait mes preuves !

Je me suis aussi rendu compte qu'il était essentiel que j'explique mon handicap aux soignants : ils sont prêts à adapter leurs méthodes, à condition qu'on parvienne à exprimer ses besoins propres. Ils peuvent par exemple aider à trouver une position permettant un allaitement confortable... Heureusement, de son côté, l'enfant s'adapte naturellement merveilleusement au handicap de sa mère : mon fils a su grimper sur mes genoux bien avant de pouvoir marcher, ce qui me permettait de l'agripper en fin de course sans avoir à trop me baisser. »

Trucs et astuces

De retour à la maison, le couple a aussi trouvé des astuces pour faciliter la vie quotidienne : « Mon mari a fabriqué un plan de travail adapté pour le bain, et on a transformé un bureau de chez Ikéa en une table à langer où il m'est possible de glisser le fauteuil roulant dessous. »

Par ailleurs, Louise-Marie Avril-Grosjean est devenue la présidente d'Être parent, une association qui permet aux mamans handicapées d'échanger leurs « trucs »(1). Leur expérience devrait aussi être mise à profit à l'occasion de la création du futur hôpital « mère-enfant » de Lyon...

Dans certains cas, le manque de connaissance du personnel en matière de handicap peut entraîner de mauvais diagnostics ou un manque de soins préventifs. C'est pourquoi, en sa qualité de coordinatrice de l'Adapph (Association pour le développement de l'accompagnement à la parentalité des personnes handicapées), Marjorie Nibbio explique que sur Grenoble, « il est en train de se mettre en place des consultations spécialisées multidisciplinaires associant gynécologue, obstétricien, anesthésiste, sage-femme, puéricultrice, ergothérapeute... de manière à assurer un suivi médical coordonné allant du début de la grossesse jusqu'au retour de la mère chez elle. Et dans le projet de construction du futur hôpital "couple-enfant", plusieurs services devraient également comporter une chambre adaptée à différents types de handicaps(2). »

Soignants trop intrusifs

Quelles relations « soignants-mères » convient-il de préconiser ? « Différents problèmes peuvent surgir, remarque Marjorie Nibbio. Certains soignants veulent par exemple tout faire à la place de la mère. À l'inverse, quelques mamans handicapées ne posent pas de question et ne font pas les choses correctement... Il faut parvenir à communiquer, trouver des solutions intermédiaires. Moi qui suis par exemple en béquilles, je changeais mon bébé sur le lit, en le tenant entre mes jambes. Mais ne voulant pas le laisser sans surveillance, j'appelais la puéricultrice pour qu'elle aille chercher au lavabo le coton, ce qui me permettait de laver ensuite les fesses de mon fils... Cela nécessite que la mère sache exactement ce dont elle a besoin et que le soignant soit capable de s'en tenir à la demande. Car c'est à la mère de trouver sa relation avec son bébé. »

1- Association Être parent, 69, rue Baraban, 69003 Lyon. Tél. : 04 78 53 74 02.

2- L'Adapph entend développer des actions de formation auprès du personnel médical et organiser des rencontres-débats.

Adresse : Adapph, c/o Handicap info 38,

La Grange du château, 8, rue du Château, 38320 Eybens.

Internet : http://www.adapph.org.

témoignage

Oser être mère

En 2003, la mission Handicaps AP-HP(1) a organisé un colloque concernant la maternité des femmes souffrant de handicaps moteurs. Sous son égide, la journaliste Delphine Siegrist(2) a également publié Oser être mère : « Ce livre, basé sur des témoignages, est destiné à combattre les peurs de certaines mamans handicapées, commente-t-elle. J'y décris aussi les différents problèmes auxquels il convient de faire attention (prise de poids, constipation, infections urinaires, oedèmes, escarres, etc.) en fonction de différents types de handicaps. Des précautions particulières sont par exemple à prendre chez certaines femmes blessées médullaires : lors de leur accouchement, il est recommandé de pratiquer une péridurale non pas parce qu'elles souffrent, mais pour éviter qu'elles développent le syndrome de l'hyperréflexie autonome (HRA). Dans ce cas, l'hypertension artérielle peut alors provoquer des hémorragies et des accidents vasculaires cérébraux parfois mortels...

Par ailleurs, j'explique que beaucoup de femmes blessées médullaires peuvent accoucher par les voies basses sans césarienne, s'il n'y a évidemment pas de contre-indication obstétricale ».

1- Contact : mission.handicap@sap.aphp.fr2- Pour écrire à Delphine Siegrist : delphsi@wanadoo.fr.

en savoir plus

- À Rennes, l'Association des paralysés de France travaille avec l'hôpital afin d'adapter l'accueil des femmes handicapées. Tél. : 02 99 66 59 98.

Mél : apf.35@wanadoo.fr.

- Marie Ladret, ergothérapeute à l'Espace conseil pour l'autonomie en milieu ordinaire de vie (17-19, rue de Flandre, 75019 Paris), répertorie le matériel dont peuvent se servir les parents handicapés. À terme, un site pilote d'exposition sera créé.

Renseignements : 01 40 05 67 51.