Les blouses blanches du D Day - L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005

 

histoire

Reportage

Soignantes et normandes, Danielle, Marie-Madeleine, Olga et Simonne ont vécu le débarquement des alliés en juin 44. Photos à l'appui, elles égrènent leurs souvenirs héroïques...

Elles sont quatre femmes de caractère. Belles, souriantes et pétillantes. Toutes ont exercé un jour, en tant que soignantes, durant l'occupation et la deuxième guerre mondiale. Elles n'avaient pas 20 ans pour certaines. Danielle Clément-Heintz(1) était élève infirmière, Marie-Madeleine Le Borgne, aide infirmière, comme on disait à l'époque, Olga Beaufils et Simonne Baille, élèves puéricultrices. Originaires de Normandie, elles ont plongé dans le tourbillon qui a suivi le débarquement du D Day. Chacune garde des souvenirs bouleversants de cette époque. Danielle a suivi le général Leclerc et la deuxième DB dans sa reconquête du territoire français, Simonne a exercé dans des carrières souterraines, tandis qu'Olga et Marie-Madeleine prêtaient main forte dans des hôpitaux de campagne.

Mouchoir blanc

Ce 6 juin 1944 a marqué leur vie. « Bayeux a été libéré tout de suite le 7 juin, observe Marie-Madeleine Le Borgne. Ce matin-là, nous sommes sortis des tranchées où nous étions réfugiés avec les voisins. Nous avons vu trois soldats avec leurs fusils. C'étaient nos premiers Américains ! Il y avait un grand roux dont les cheveux sortaient du casque, et deux plus petits. Mon père a sorti un mouchoir blanc qu'il a accroché à l'extrémité d'un morceau de bois. On s'est avancés vers eux. Ils nous ont fait comprendre de rester dans la maison et de ne pas sortir. Le lendemain, nous sommes allés sur la plage avec mon frère. Tout était noir : il y avait des camions, des jeeps et du matériel qui arrivaient de partout. Cette image est restée gravée en moi. Nous sommes revenus avec du chocolat, des chewing-gums et des cigarettes plein les poches. Le débarquement a duré plusieurs jours. » Des souvenirs que Marie-Madeleine raconte avec émotion. Tout comme Simonne Baille et Olga Beaufils. Deux amies de soixante ans qui ne se sont jamais perdues de vue. La première avait 21 ans en juin 1944. La deuxième, tout juste 18.

Dachau libéré

En juin 1944, elles étaient toutes les deux élèves puéricultrices à la pouponnière de Caen. Un établissement pour les enfants abandonnés ou laissés en pension pour une durée indéterminée. « Le jour du débarquement, j'étais à la pouponnière d'où l'on dominait la ville, raconte Olga Beaufils. Nous avons vu Caen flamber. L'ambiance était tendue. Vous savez, nous avions vécu quatre années d'occupation, mais nous ne connaissions pas la guerre. Autour de nous, il y avait des tranchées, et beaucoup de civils dormaient là. Un jour, une femme s'avance vers moi pour me demander de prendre son bébé. "Je ne peux pas lui donner à manger", me lance-t-elle. Elle a été tuée dans la nuit. »

Les souvenirs douloureux se bousculent dans les esprits. Danielle Clément-Heintz n'a pas oublié la libération du camp de Dachau. « À force de voir des blessés, on finit par admettre les lois de la guerre. En partant, nous savions que certains d'entre nous allaient disparaître. Mais d'aider ces malheureux qui n'étaient là que par simple méchanceté, ce fut horrible. Nous nous sommes occupés de ces déportés. C'était inimaginable. »

Les bombes sifflent

Après le débarquement, Simonne Baille rejoint les carrières de Caen. « Nous étions autour de 20 000 personnes vivant là-dessous. On circulait avec des lampes à carbure. Beaucoup d'habitants de la rive droite de la ville venaient se réfugier ici. Et les Allemands aussi. Nous dormions là, sur la paille. Il y avait un vrai élan de générosité, même si la nourriture manquait. Les soeurs de l'hôpital, installées là, nous ravitaillaient. Je donnais quelques soins, même si j'étais élève, je faisais des piqûres. Il arrivait que les combats entrent dans la carrière. 47 personnes, dont des civils, sont mortes. Le 14 juillet, les combats ont fait rage. Les morts étaient mélangés aux blessés. Ce fut terrible. »

Explosions de joie

Mais malgré la tragédie, ces jeunes soignantes n'ont jamais manqué d'humour. « Quand nous entendions les bombes siffler au-dessus de nos têtes, on se disait : "Tiens, celle-là n'est pas pour nous !" » Simonne se souvient des explosions de joie à la sortie des carrières, où elle a passé deux mois. « Qu'est-ce que nous avons pu rire ensuite ! C'était nerveux, nous étions si heureux que ce soit terminé. Nous vivions dans un tourbillon, donc on a eu du mal à réaliser que c'était fini. »

Mais comment ont-elles eu le courage de s'engager ? L'école des infirmières de Caen a payé un lourd tribut à la guerre, 18 de ses étudiantes ont disparu lors de la bataille de Normandie.

Volonté du coeur

Danielle Clément-Heintz résume bien leur état d'esprit à toutes : elles n'avaient pas le choix, il fallait s'impliquer. « La peur ? Oh, après quatre ans de faim, de froid, cette liberté n'avait pas de prix, dit-elle. L'occupation était une contrainte, il fallait s'en défaire. Nous voulions nous rebeller. Nous aurions donné notre vie. Je me souviens avoir participé à un colloque pour des lycéens, il y a quelques années. Les jeunes m'ont posé beaucoup de questions sur cet engagement. Tout est une question de conviction et de volonté. Je leur ai dit qu'eux aussi pouvaient faire quelque chose pour leur pays ou pour les autres. Dans la vie, il faut avoir la volonté du coeur. Vous savez, les générations d'aujourd'hui auront peut-être aussi à se battre pour leur liberté. »

1- Cf. L'Infirmière magazine, n° 200, décembre 2004, p. 18.