Les douleurs de la personne âgée - L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 206 du 01/06/2005

 

gérontologie

Cours

La douleur est le principal symptôme dont se plaignent les personnes âgées. Si les causes sont multiples et l'intensité de la douleur très variable, elle peut parfois être difficile à repérer, d'autant que les outils d'évaluation ne sont pas toujours efficaces.

La prise en charge efficace d'un syndrome douloureux nécessite au préalable de le détecter, d'évaluer son intensité et son retentissement, de le traiter et d'en rechercher la cause. Mais cette démarche logique n'est pas aisée à entreprendre chez la personne âgée. En effet, avec l'âge s'intriquent les effets du vieillissement normal, des pathologies souvent multiples et des difficultés psychosociales et fonctionnelles.

La mise en place de stratégies en vue de la maîtrise de la douleur des seniors exige une connaissance de leurs particularités.

Les spécificités liées aux traitements antalgiques chez les personnes âgées ne seront pas abordées ici.

UN SYMPTÔME TRÈS FRÉQUENT

La douleur est le principal symptôme dont se plaignent les personnes âgées. 6 % seulement des sujets de plus de 65 ans ne rapportent aucune douleur. Les pédiatres et les gériatres ont dû lutter contre l'idée reçue selon laquelle, à l'instar du nouveau-né qui ne ressentirait pas la douleur à cause d'un système neurophysiologique immature, les personnes âgées souffriraient moins que les adultes en raison d'un système nerveux émoussé. On considère actuellement qu'il n'y a pas de différence significative entre la personne âgée et l'adulte dans l'intensité de la douleur ressentie, même si le seuil douloureux peut présenter des variations en fonction de l'intensité de la stimulation nociceptive, des sites douloureux et du contexte psychologique et social.

DOULEURS SOUS-ÉVALUÉES

La douleur thoracique est classiquement l'un des signes cardinaux conduisant au diagnostic d'infarctus du myocarde. S'il est bien connu que les sujets diabétiques peuvent présenter, en rapport avec une dysautonomie, des infarctus indolores, près de 50 % des infarctus du myocarde survenant chez les personnes de plus de 75 ans sont complètement asymptomatiques, pour des raisons encore inconnues. De même, 30 % des urgences abdominales de la personne âgée sont indolores, comme les syndromes occlusifs, les péritonites ou les douleurs ulcéreuses. L'état dentaire des personnes âgées est souvent jugé déplorable, en particulier chez celles présentant des troubles des fonctions supérieures, dont on estime que plus de 60 % présentent des conditions dentaires (essentiellement des caries) potentiellement douloureuses, contrastant avec l'absence de plainte douloureuse. Ces situations sont sous-évaluées par les gériatres, lorsqu'on sait l'importance d'une bonne santé dentaire pour la qualité de vie. La difficulté des personnes âgées à adhérer au concept d'hygiène et de soins dentaires met cette population face à un risque sévère de malnutrition, avec ses redoutables conséquences, et d'infections systémiques.

SOUVENT MULTIPLES

Le sujet âgé, polypathologique, est également polyalgique. Il est fréquent qu'un même patient se plaigne de douleurs différentes. Ces douleurs peuvent se distinguer soit par leur localisation, soit par leur étiologie, soit par leur mécanisme physiopathologique. C'est ainsi que dans les suites d'un accident vasculaire cérébral, un patient hémiplégique pourra associer une spasticité douloureuse, une ankylose articulaire et des douleurs de décubitus dans un contexte de dépression.

NOUVELLES DOULEURS

Liées au vieillissement physiologique. Les personnes âgées sont très exposées aux douleurs musculo-squelettiques, parmi lesquelles : les douleurs dorsolombaires, notamment liées aux tassements vertébraux résultant de l'ostéoporose et prédominant chez la femme ; les douleurs des rhumatismes dégénératifs, avec, en particulier, les douleurs articulaires qui affectent un sujet sur deux après l'âge de 60 ans et touchent 70 % des sujets âgés fragiles. Elles résultent essentiellement de la coxarthrose et de la gonarthrose, mais toutes les articulations peuvent être affectées. Signalons aussi les séquelles de fractures anciennes : il n'est pas exceptionnel de découvrir à l'occasion d'un examen systématique des fractures parfois longtemps passées inaperçues, consécutives à des chutes sans intervention chirurgicale, voire des manipulations sans précautions suffisantes.

Liées aux pathologies.

Douleurs des rhumatismes inflammatoires. Les arthrites microcristallines (goutte, chondrocalcinose articulaire) touchent volontiers le genou et le poignet. L'artérite temporale à cellules géantes (maladie de Horton) et la pseudopolyarthrite rhizomélique (PPR) sont des affections liées à l'âge, rares avant 60 ans, avec une très nette prédominance féminine. Dans la maladie de Horton, la céphalée est le symptôme le plus commun : elle a une topographie constante pour un même malade (périorbitaire ou temporale), avec parfois une recrudescence nocturne sur un fond continu ; elle va progressivement augmenter en intensité et en sévérité, jusqu'à devenir permanente. Cette douleur, qui peut être absente, peut s'exacerber lors du contact avec la région temporale ou le cuir chevelu (passage du peigne), et s'associer à divers signes (malaises, claudication de la mâchoire, troubles visuels). En l'absence de diagnostic ou de prise en charge, les complications sont dominées par une cécité liée à l'atteinte des artères oculaires, pouvant affecter jusqu'à 50 % des patients non traités. Dans la pseudopolyarthrite rhizomélique, l'atteinte musculo-squelettique, qui est au premier plan, prédomine au niveau des ceintures scapulaires et pelviennes. Les douleurs musculaires sont diffuses, accentuées par le mouvement. La raideur douloureuse peut être importante, empêchant le patient de sortir de son lit. D'autres rhumatismes inflammatoires douloureux peuvent concerner la personne âgée, parmi lesquelles : la présentation gériatrique de la polyarthrite rhumatoïde, les douleurs osseuses des pathologies tumorales (cancers) et l'ostéomalacie, qui associe difficulté à initier le mouvement, déficits musculaires et atteinte pelvi-crurale.

Douleurs vasculaires. La douleur coronarienne, bien que moins fréquente dans sa forme classique chez le sujet âgé, est probablement sous-estimée chez les personnes présentant des troubles cognitifs et incapables de rapporter leur douleur. L'artériopathie oblitérante des membres inférieurs est une pathologie fréquente, qui concerne environ 800 000 personnes dans la population française. Sa prévalence est de 11 % dans une population d'âge moyen de 65 ans. À un stade précoce, la maladie se traduit par une claudication intermittente qui consiste en l'apparition d'une douleur à type de crampe siégeant au mollet, déclenchée par l'exercice, obligeant le malade à s'arrêter pour reprendre sa marche après la disparition de la douleur. À un stade avancé, le patient présente des douleurs de décubitus : il s'agit de douleurs permanentes, à recrudescence nocturne, au niveau des jambes. Ces douleurs sont parfois améliorées par la position jambes pendantes au bord du lit ou la station debout.

Douleurs neurogènes.

Séquelles d'AVC. Les séquelles d'accident vasculaire cérébral peuvent associer des douleurs par troubles du tonus, des rétractions tendineuses, des algodystrophies, voire un syndrome thalamique qui se traduit par une hémiparésie et une hémianesthésie douloureuse homonyme.

Zona. La prévalence du zona augmente avec l'âge, proportionnellement à la baisse de l'immunité liée au vieillissement et aux maladies (cancers, hémopathies). Les douleurs postzostériennes sont plus fréquentes chez la personne âgée, avec une nette prédominance féminine. Ce sont des douleurs persistantes, voire récidivantes, pouvant se chroniciser et altérer fortement la qualité de vie. Elles sont décrites à type de brûlure, avec des paroxysmes parfois insupportables dans le dermatome atteint et s'accompagnent souvent de troubles du sommeil, de dépression et d'asthénie. 10 à 20 % des zonas peuvent évoluer vers une douleur chronique. Cette fréquence atteint 50 % chez les sujets de plus de 70 ans lorsque la localisation du zona est ophtalmique.

Polyneuropathies. Les polyneuropathies sensitives douloureuses constituent l'affection neurologique la plus douloureuse. Les douleurs spontanées peuvent être superficielles, à type de brûlure, ou profondes, décrites comme un étau ; il peut s'y associer des paroxysmes (décharges électriques, coups de poignard, élancements). Les douleurs peuvent être provoquées par des stimulations normalement indolores (allodynie) ou répondre de manière exagérée à des stimuli douloureux (hyperalgésie). Deux causes dominent :

- la polyneuropathie diabétique, dont la prévalence est de 50 % chez les diabétiques de plus de 65 ans. Son début est insidieux, les signes passant longtemps inaperçus. À la phase d'état, le patient présente, sur un fond douloureux permanent à type de brûlure superficielle ou de douleurs profondes, des crises paroxystiques. La symptomatologie débute d'abord au niveau des pieds, de façon symétrique et bilatérale, en « chaussette », avec souvent une hyperalgésie, notamment à la chaleur. En l'absence de contrôle de la glycémie, les signes douloureux peuvent s'étendre aux mains, voire à l'ensemble du corps ;

- la polyneuropathie éthylique, qui affecte 10 % des sujets éthyliques chroniques. Elle est surtout due (outre l'action toxique de l'éthanol sur la fibre nerveuse), à une carence vitaminique, la thiamine ou vitamine B1 essentiellement. 25 % des sujets atteints présentent des manifestations douloureuses, sous forme de brûlures des membres inférieurs (« burning feet »), avec des crises paroxystiques. Il s'agit de la plus fréquente des polyneuropathies carentielles en France.

Les polyneuropathies sensitives douloureuses peuvent reconnaître d'autres causes, parmi lesquelles : la iatrogénie (certains agents anticancéreux, l'amiodarone, le propafénone, l'isoniazide), des maladies (syndromes paranéoplasiques, hémopathies), des agents toxiques industriels ou environnementaux (organophosphorés, arsenic).

Mononeuropathies. Les mononeuropathies douloureuses sont souvent liées à une pathologie « mécanique », compressive ou traumatique, accidentelle ou postchirurgicale. Les mononeuropathies compressives sont dominées par le syndrome canalaire, qui est la cause la plus fréquente de compression nerveuse. Si, dans l'immense majorité des cas, le syndrome du canal carpien est primitif, concernant essentiellement la femme de plus de 45 ans, il peut apparaître à un âge avancé et peut être secondaire à une fracture du poignet vicieusement consolidée, voire à des perturbations hormonales ou métaboliques comme le diabète, l'insuffisance rénale, l'éthylisme chronique, l'hyperuricémie. Volontiers bilatéral, il induit des paresthésies-dysesthésies à type de fourmillements ou d'engourdissement, apparaissant électivement en fin de nuit, pouvant disparaître en quelques minutes après frottement et agitation des mains. Quelquefois, les signes se prolongent dans la journée ou réapparaissent lors de certaines activités manuelles comme la couture ou le tricot. Certaines mononeuropathies sont la conséquence d'une lésion d'un tronc nerveux, qu'elle soit accidentelle ou d'origine chirurgicale : après un intervalle libre, les douleurs spontanées sont initialement lancinantes, puis, en cas d'évolution, réalisent une brûlure permanente. Les dysesthésies sont souvent prononcées, et il existe parfois une « zone gâchette » dont la stimulation déclenche une douleur en éclair. La symptomatologie douloureuse siège sur le trajet et au niveau du territoire de compétence du nerf lésé. De même, des mononeuropathies des personnes âgées seront secondaires à un acte chirurgical au niveau des membres inférieurs, pouvant être responsables d'une boiterie douloureuse par modification de la statique lombaire.

SRDC. La dénomination de « syndrome douloureux complexe régional » (SDRC) a été retenue en 1995 par l'International Association for the Study of Pain, et comprend le type I (l'algodystrophie) et le type II (la causalgie). Le SDRC de type I est, dans 60 à 80 % des cas, secondaire à un traumatisme (entorse, contusion, fracture, luxation, chirurgie, rééducation prématurée). Ailleurs, il répondra à une cause métabolique (diabète, hyperthyroïdie, éthylisme chronique, hyperuricémie) ou iatrogène. Il se caractérise par une douleur à type de brûlure siégeant au niveau d'une articulation, mais pouvant s'étendre aux articulations sus et sous-jacentes. À la phase d'état, cette douleur peut s'associer à des troubles sudoraux et vasomoteurs, puis à des troubles trophiques (amyotrophie, rétraction des aponévroses et des capsules articulaires, déminéralisation osseuse). Le SDRC de type II est une douleur permanente à type de brûlure ou de cuisson (en grec, kausis), d'où le terme de causalgie. Cette douleur apparaît dans les suites d'un traumatisme ou d'une lésion nerveuse (blessure par balle, éclats d'obus ou de grenade, accident de la vie civile). Elle peut s'associer à des paroxysmes à type de broiement ; elle est aggravée par de multiples facteurs physiques comme la lumière, le contact des vêtements, le bruit. Initialement limitée au territoire du membre lésé, la douleur peut s'étendre et se bilatéraliser, affectant le plus souvent le territoire des nerfs médian, sciatique et le plexus brachial. L'intensité douloureuse est variable, mais peut confiner à une sévère invalidité. D'autres types de neuropathies douloureuses se rencontrent essentiellement chez les personnes âgées, parmi lesquelles la douleur de l'amputé et les algies neurovasculaires de la face.

Liées à la iatrogénie médicamenteuse. Les douleurs iatrogènes induites par les médicaments sont sous-estimées, sous-évaluées et sous-déclarées. Leur prévalence est estimée entre 1 et 5 %. Elles sont surtout l'apanage des sujets de plus de 65 ans, souvent polymédicamentés, parfois traités pour une pathologie lourde. On distingue les douleurs liées à l'action toxique de certains médicaments, utilisés ou non dans un cadre antalgique, et les douleurs secondaires à une consommation prolongée ou excessive d'antalgiques. La liste des médicaments potentiellement responsables de douleurs est longue. Les douleurs peuvent, selon les médicaments en cause, affecter tous les sites, et notamment la sphère ORL (xérostomie des antidépresseurs tricycliques ou du Ditropan®, mucite des bêtabloquants, glossodynie des neuroleptiques ou des antibiotiques, des corticoïdes et antiacides), l'appareil uro-génital (cystalgies sous anti-inflammatoires non stéroïdiens ou sous antidépresseurs tricycliques), les systèmes ostéo-articulaire (tassements vertébraux des corticoïdes ou des héparines, arthralgies et tendinopathies des quinolones), musculaire (crampes musculaires du salbutamol, des inhibiteurs calciques), cardiovasculaire (paresthésies des triptans, spasme vasculaire sous certains antiparkinsoniens), digestif (crampes abdominales des antibiotiques et laxatifs) et ophtalmologique (douleurs orbitaires et périorbitaires des atropiniques, psychotropes, antihistaminiques). Notons le cas des céphalées par abus d'antalgiques, qui se retrouvent souvent chez les personnes de plus de 60 ans. Il s'agit de céphalées chroniques d'intensité modérée à sévère, à prédominance matinale, diffuses, s'installant insidieusement, avec des crises de plus en plus fréquentes et une présentation proche de celle des céphalées de type tension. Parmi les antalgiques le plus souvent en cause, on retrouve la paracétamol et la codéine.

Liées à des situations spécifiques.

Soins. Les douleurs induites par les soins deviennent une préoccupation de santé publique et leur prise en charge constitue l'un des axes prioritaires du programme national de lutte contre la douleur. En effet, la sensation douloureuse est devenue insupportable et inacceptable pour le patient et son entourage, et la prise en compte des douleurs iatrogènes liées aux gestes techniques devient indispensable. Il peut s'agir d'actes à visée diagnostique (ponctions et prélèvements divers, endoscopies) ou thérapeutiques (rééducation, soins dentaires, réfection de pansements).

États pathologiques. Certains états pathologiques, fréquents chez la personne âgée, sont source de douleurs pouvant être insupportables (douleurs de décubitus, plaies et escarres, fécalome, rétention d'urines).

Manipulation. Les manipulations diverses chez les sujets handicapés peuvent, sans maîtrise de la part du soignant, s'avérer également douloureux, comme les transferts, les changes, les toilettes, et même les changements de position.

DOULEURS MÉCONNUES

Ankylose matinale. C'est une entité peu documentée, propre à la personne âgée et relativement peu connue. Elle se définit par une lenteur ou difficulté à mobiliser ses articulations au lever ou après être resté immobile longtemps dans une même position. Ses principales caractéristiques sont la lenteur du mouvement, l'atteinte souvent axiale (dos, genoux), la raideur musculaire, la variabilité (selon les jours, la qualité du sommeil, l'installation au lit) et l'association à une sensation de fatigue ou de faiblesse.

Céphalées. Si la prévalence des céphalées diminue avec l'âge, les études récentes indiquent clairement que cette réduction est moins radicale que ce qui est généralement perçu. 25 à 54 % des sujets de plus de 75 ans présentent un ou plusieurs épisodes céphalalgiques dans l'année. En France, près de 20 % des personnes âgées de 64 à 73 ans, non démentes et vivant au domicile, souffrent de céphalées récurrentes. Alors que chez les adultes les céphalées sont essentiellement de type primaire (dominées par les migraines et les céphalées de type tension), les personnes âgées ont une prévalence accrue de céphalées secondaires (30 % contre 10 % chez les plus jeunes), reflétant une pathologie associée souvent curable. Outre les céphalées par abus de médicaments antalgiques, les sujets âgés peuvent présenter des céphalées d'origine métabolique (hypoxie, hypercapnie, hypoglycémie, hyponatrémie), toxique (alcool, intoxication à l'oxyde de carbone chez des personnes vivant dans des domiciles confinés avec des installations défectueuses) et alimentaires. Enfin, des céphalées peuvent être également en rapport avec des maladies neurologiques (maladie de Parkinson, maladie de Paget), ou des pathologies ORL (glaucome, sinusite, névralgie postzostérienne).

Douleurs de la bouche. Alors que les douleurs dentaires semblent s'estomper avec l'âge, les autres douleurs de la bouche peuvent devenir préoccupantes, liées aux pathologies de la langue et des gencives, voire aux prothèses dentaires mal adaptées.

OBSTACLES À LA PRISE EN CHARGE

Repérage difficile.

Obstacles culturels et religieux. La douleur est souvent vécue avec fatalisme, considérée comme normale avec l'âge et faisant partie de la vie. La culture judéo-chrétienne, qui attribue une valeur rédemptrice à la douleur, ne facilite pas l'aveu du symptôme, de même que les préjugés négatifs concernant les opioïdes.

Obstacles affectifs. Souvent, la personne âgée va taire sa douleur, par crainte d'être une gêne pour son entourage, d'une hospitalisation non souhaitée ou de la découverte d'une maladie grave sous-jacente. Ailleurs, la douleur sera utilisée par la personne âgée pour justifier un confinement au lit ou au domicile, voire une dépendance par rapport aux tiers.

Obstacles pathologiques. L'expression par le patient de sa douleur est plus difficile lorsqu'il présente des troubles cognitifs (les patients déments reçoivent en quantité et en posologie moins d'analgésiques), sensoriels (presbyacousie, déficit visuel), moteurs (dysarthrie, aphasie), thymiques. Par ailleurs, les sensations douloureuses sont souvent peu précises, en raison des maladies associées, d'abus médicamenteux et de la perte du désir de s'exprimer.

Obstacles structurels. La prise en charge de la douleur est un travail pluridisciplinaire qui exige des équipes soignantes (médecins et soignants) bien formées, ce qui n'est pas toujours le cas. La médecine de la douleur est récente. La douleur peut prendre un aspect trompeur. Il faut penser à la démasquer derrière une dépression, des troubles du comportement (agitation psychomotrice, agressivité), un syndrome confusionnel, un mutisme ou un repli sur soi.

Évaluation de l'intensité douloureuse difficile. Il existe plusieurs types de populations gériatriques : les valides, les valides et déments, les grabataires non déments et les grabataires déments. Lorsque l'interrogatoire du patient est possible, il précise les caractères de la plainte douloureuse (localisation, type, durée, intensité, facteurs déclenchants et calmants). Mais 30 % des patients âgés hospitalisés présentent des handicaps divers gênant l'expression de leur douleur : il faut disposer d'outils d'évaluation afin d'appliquer un traitement adapté.

Outils d'autoévaluation.

Échelle visuelle analogique. L'échelle visuelle analogique (EVA) permet de graduer l'intensité de sa douleur sur une ligne horizontale. Elle a été validée en gériatrie, mais elle demande des capacités de compréhension qui en limitent l'usage, notamment chez des patients présentant des troubles cognitifs ou visuels. Seules 30 % des personnes âgées en comprennent le fonctionnement. Par ailleurs, son utilisation se heurte souvent au scepticisme des soignants.

Échelle numérique. L'échelle numérique (EN) demande de quantifier l'intensité de sa douleur sur une échelle allant de 0 (absence de douleur) à 10 (douleur maximale). Elle présente des limites d'utilisation similaires à celles de l'EVA.

Échelle verbale simple. L'échelle verbale simple (EVS) propose au malade de qualifier lui-même sa douleur (absente, faible, modérée, intense). Elle est plus accessible au patient âgé que l'EVA ou l'EN, car moins abstraite ; malgré sa sensibilité relative, elle a souvent la préférence des équipes soignantes et des patients qui peuvent qualifier leur douleur avec des termes simples. Par ailleurs, elle peut être proposée au patient présentant une démence légère.

Outils d'hétéroévaluation. Lorsque les patients présentent des troubles de la compréhension ou de la communication, l'évaluation de l'intensité douloureuse se fonde sur l'observation et l'analyse des modifications comportementales induites par la douleur. Les principaux outils utilisés en France sont l'échelle Doloplus 2 et l'échelle comportementale de la personne âgée (ECPA). Leur utilisation implique une connaissance antérieure de la personne observée et une confrontation des opinions des soignants. Elles sont peu adaptées à l'évaluation des douleurs aiguës.

CONSÉQUENCES

Le retentissement d'une douleur non perçue ou mal prise en charge peut être sévère et entraîner une anorexie, conduisant à une malnutrition, avec un risque sévère de défaillance multiviscérale ; des troubles du sommeil, avec une diminution de la vigilance diurne responsable d'une asthénie, d'une réduction des activités et d'une perte d'autonomie ; la dépression et la perte d'intérêt pour la vie, d'où un risque suicidaire ; des retentissements sur l'entourage : angoisse et agressivité de la famille par rapport au corps médical et soignant, avec demande de pratiques d'euthanasie, souffrance des soignants engendrant des conflits dans les équipes (avec risque d'épuisement professionnel et de démotivation).

BILAN

Chez la personne âgée, les situations potentiellement douloureuses sont nombreuses et peuvent avoir une expression pauvre ou atypique. La douleur est donc souvent une hypothèse, qui sera rétrospectivement vérifiée par l'efficacité de la prise en charge, idéalement pluridisciplinaire, et avec l'aide éventuelle de protocoles.

Glossaire

- Allodynie : perception d'une douleur à la suite d'une stimulation normalement indolore.

- Dysesthésie : sensation anormale et désagréable, spontanée ou provoquée par une stimulation.

Glossodynie : sensation douloureuse, à type de brûlure, sur la langue.

- Hyperalgésie : sensibilité exagérée à une stimulation douloureuse.

- Hyperesthésie : sensation disproportionnée suite à une stimulation sensitive.

- Hyperpathie : syndrome douloureux caractérisé par une réponse exagérée, parfois explosive, à une stimulation cutanée. Cette réponse peut persister après l'arrêt de la stimulation.

- Hypoalgésie : diminution de la réponse à une stimulation douloureuse.

- Hypoesthésie : diminution de la sensibilité à une stimulation, douloureuse ou non.

- Paresthésie : sensation anormale, spontanée ou provoquée.

Naissance d'une médecine de la douleur

John Bonica, considéré comme le pionnier de la médecine de la douleur, est un médecin anesthésiste américain. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il fut, comme médecin militaire, particulièrement marqué par son impuissance à soulager les souffrances des soldats victimes de lésions nerveuses dues aux blessures par balles. Après la guerre, il réunit une équipe pluridisciplinaire afin d'optimiser les réflexions, les soins et la recherche sur les douleurs complexes. Il va créer en 1953 la première clinique de la douleur (« pain clinic »), dans laquelle interviennent des spécialistes d'origines diverses. Les « pain clinics » vont, par la suite, proliférer aux états-Unis. Bonica porte un concept nouveau : convaincu qu'une approche multidisciplinaire permet une meilleure prise en charge des douleurs chroniques, il propose de diriger l'action médicale contre la douleur elle-même, et pas seulement sur la maladie ou la lésion en cause. En effet, le milieu médical considérait généralement que la douleur était un symptôme important pour porter un diagnostic et qu'il ne fallait donc pas la traiter trop tôt, sous peine de perdre des informations utiles. En France, les premiers centres antidouleurs (qui deviendront des centres d'évaluation et de traitement de la douleur) voient le jour dans les années 80, mais ce n'est que depuis 1998 que la prise en charge de la douleur s'inscrit dans une politique de santé publique, avec la publication de textes reconnaissant au malade le droit à une prise en charge efficace de sa douleur, et faisant, pour les soignants et les établissements de soins, une quasi-obligation juridique à la prendre en considération.

Quelques chiffres

La France comptait en 2000 21 % d'individus âgés de plus de 60 ans, dont plus de 2,2 millions de plus de 80 ans. On estime qu'en 2040, 33 % de la population aura plus de 60 ans, dont 7 millions de plus de 80 ans. En 2050, selon les projections démographiques de l'Insee, il y aura plus de 150 000 centenaires.

La prévalence des douleurs augmente avec l'âge. 25 à 50 % des personnes âgées vivant au domicile se plaignent d'une douleur persistante ou chronique réduisant leur qualité de vie (sommeil, mobilité, loisirs), les douleurs étant essentiellement musculo-squelettiques. En institution, cette prévalence est encore plus élevée (50 à 83 %). Des enquêtes indiquent que seules 6 % des personnes de plus de 65 ans ne se plaignent d'aucune douleur. La prévalence élevée des douleurs chez les seniors est un problème de santé publique, vu son impact personnel, fonctionnel, social et économique.

Classification des douleurs

On peut distinguer les différents types de douleur :

- selon leur ancienneté

La douleur aiguë résulte le plus souvent d'une lésion tissulaire, provoquant un excès d'influx douloureux (excès de nociception). Elle a un rôle de signal d'alarme d'un dommage tissulaire. C'est le cas de la douleur postopératoire, post-traumatique ou induite par les soins. La douleur chronique est présente depuis plus de trois à six mois, récurrente ou permanente. Elle est considérée comme une maladie à part entière et résulte d'un état pathologique (lombalgies et céphalées chroniques). Elle peut avoir un retentissement psychosocial important.

- selon leur mécanisme neurophysiologique

La douleur par excès de nociception est due à une stimulation excessive des nocicepteurs périphériques, responsable de la transmission d'un excès d'influx douloureux par un système nerveux intact. Elle peut être aiguë (infarctus du myocarde, rage dentaire) ou chronique (cancer). La douleur neurogène est due à une lésion du système nerveux en amont des nocicepteurs périphériques, soit au niveau périphérique (neuropathie diabétique, zona), soit au niveau central (accident vasculaire cérébral). Les douleurs psychogènes regroupent les douleurs non classables dans les catégories précédentes, avec un examen médical ne révélant aucune lésion apparente. Les douleurs mixtes associent des composantes nociceptives, neurogènes et psychogènes, comme certaines douleurs cancéreuses, qui peuvent avoir un impact psychosocial sévère.

Le groupe Douleurs aiguës

I. Belard (aide-soignante), R.-M. Bigoin (ergothérapeute), R. Boecasse (aide-soignante), C. Bohec (secrétaire médicale), I. Boyer (aide-soignante), G. Chatap (médecin), M. Chapon (agent hotelier), N. Damey (aide-soignante), A. de Sousa (masseur-kinésithérapeute), E. dos Santos (cadre de santé), V. Disdero (cadre de santé), A. Faure (infirmière), K. Giraud (médecin), F. Guerfi (infirmière), C. Guyot (infirmière), M.-H. Lelong (infirmière), S. Maine (ergothérapeute), B. Marcellan (aide-soignante), O. Mauromati (aide-soignant), B. Mihana (aide-soignante), S. Oliva (infirmière), C. Pereira-Ramos (secrétaire médicale), M. Piton (infirmière), M. Pogam (infirmière), V. Simoni (aide-soignante), D. Tély (cadre supérieur).

Les structures de lutte contre la douleur

Il existe en France trois types de structures luttant contre la douleur. Elles ont été définies par l'Andem (Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale).

Les consultations d'évaluation et de traitement de la douleur constituent l'entité de base

Généralement situées au sein d'un hôpital de secteur, il s'agit de consultations pluridisciplinaires regroupant différents spécialistes, sollicités selon les besoins du patient, qu'il soit ambulatoire ou hospitalisé.

Les unités d'évaluation et de traitement de la douleur sont des unités pluridisciplinaires

Elles permettent, outre des consultations, l'instauration de traitements nécessitant un plateau technique et des lits d'hospitalisation soit dans la structure elle-même, soit mis à disposition dans un ou plusieurs services de l'établissement dont le personnel soignant est formé à la prise en charge de la douleur.

Les centres d'évaluation et de traitement de la douleur sont intégrés à un centre hospitalier universitaire (CHU)

Leur mission est triple : soins, enseignement et recherche. Ils disposent de locaux spécifiques de consultations, d'un secteur propre d'hospitalisation ou de lits mis à disposition par un service de l'établissement et d'un accès à des laboratoires d'exploration. Ils ont en charge la formation initiale, continue et postuniversitaire des médecins et des soignants.