Beauvais en fait des kilos contre l'obésité ! - L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005

 

santé publique

Enquête

Un comité Epode, programme de lutte contre l'obésité infantile, a posé ses valises à Beauvais. Dépistage, prévention et sensibilisation à ce fléau sont les fers de lance de ce programme.

Agnès Pozo peut se targuer d'être la première infirmière devenue coordinatrice d'un programme de lutte contre l'obésité des enfants. « Après avoir travaillé en service de cardiologie et de néphrologie, j'ai quitté l'hôpital pour devenir directrice de crèches, puis de halte-garderie, pour la mairie de Beauvais, précise-t-elle. En 2004, j'ai été nommée chef de projet Epode pour cette ville de 60 000 habitants. » Cette même année, dix villes ont lancé un programme « Ensemble prévenons l'obésité de l'enfant » (Epode). Objectif : faire reculer en cinq ans l'explosion de l'obésité chez les enfants. Outre Beauvais (60), ces programmes sont mis en place à Asnières-sur-Seine (92), Béziers (34), Evreux (27), Meyzieu (69), Roubaix (59), Royan (17), Saint-Jean (31), Thiers (63) et Vitré (35). 600 000 habitants y participeront. « En France, près de 20 % des enfants de 7 à 9 ans sont obèses ou en excès de poids, rappelle Sandrine Riffin, directrice de la société Protéines, agence chargée de la coordination nationale des programmes Epode(1). Dans ces dix villes, la fourchette se situe entre 12 et 25 %. Dans les dix dernières années, le nombre des enfants obèses ou en surpoids a doublé. »

Espérance de vie réduite

C'est un enjeu majeur pour l'adulte en devenir. « Les deux tiers deviendront des adultes obèses, soulignait le Dr Brigitte Virey, présidente de l'Association française de pédiatrie ambulatoire, lors du lancement de ce programme. Ces enfants ont trois fois plus de risques que les autres de souffrir de complications cardiovasculaires. Les risques de développer un diabète sont multipliés par neuf. Leur espérance de vie peut être réduite de treize ans. » À Beauvais, une équipe de pilotage a d'abord été créée. Outre Agnès Pozo, elle comprend le Dr Jean-Paul Lemaire, pédiatre, le Dr Florence Dubois, médecin scolaire, et Évelyne Delafalize, diététicienne à l'unité de production centrale de repas de la ville. Elle se réunit tous les mois. Dans ce cadre, des milliers d'enfants de 5 à 12 ans doivent être pesés et mesurés chaque année pendant cinq ans. « C'est possible grâce à un partenariat avec l'Ifsi de Beauvais, explique Agnès Pozo. J'ai visité les écoles avec des étudiants en soins infirmiers, la balance et la toise sous le bras, de septembre à décembre dernier. » À partir de ces données, l'indice de masse corporelle (IMC) de 4 807 enfants a été calculé(2). Cela permet d'effectuer un bilan annuel pour les 48 000 enfants de 5 à 12 ans des dix villes Epode. Les premiers résultats ont été comparés aux moyennes régionales et nationale(3), calculées chez les enfants de 5 et 6 ans par la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques). En France, 14 % des enfants de cet âge présentent un surpoids, obésité incluse, selon cette étude. Mais ils sont plus de 22 % à Beauvais(4). Cela représente un tiers de plus que la moyenne régionale (15 %). Affiné par quartier en 2005, un tel état des lieux doit pouvoir favoriser la prévention primaire en identifiant les zones géographiques et sociales les plus touchées. Les actions pourront y être intensifiées.

Ce bilan doit aussi favoriser la prévention secondaire. L'IMC calculé de chaque enfant est reporté sur la courbe de corpulence type d'un enfant non obèse. « Une lettre pour chaque parent est remise à l'école, qui la fait parvenir aux parents par l'intermédiaire de l'enfant. Si l'IMC est correct, nous le lui indiquons. Si un surpoids ou une obésité apparaît, il lui est conseillé d'aller voir avec l'enfant le médecin traitant. »

Faut-il davantage encourager la famille à consulter ? « Cela nous a paru difficile à réaliser, répond Agnès Pozo. Il faut des relances régulières et un suivi individuel organisé. Pour apporter des conseils à partir de l'IMC, les soignants doivent rencontrer chaque famille et apporter des réponses tenant compte de son mode de vie et de ses difficultés propres. Enfin, la réaction des parents peut soulever des difficultés. Certains ne veulent rien entendre. Ils ne viennent pas au rendez-vous, parce qu'ils se disent "débordés" ou pour d'autres raisons. »

Pour les enfants, c'est clair : pas d'intervention environnementale ou de santé communautaire sans partenariat avec l'école et les enseignants. « Nous avons travaillé avec la diététicienne sur les menus scolaires, indique Agnès Pozo. Réduire leur teneur en graisses fut notre première initiative. » Dans certaines écoles, des visites des marchés ont été organisées. Les enfants ont acheté des fruits. De retour dans leur établissement, ils ont préparé ensemble une salade de fruits qu'ils ont dégustée.

Pour le grand public

« Quant aux risques liés à la collation du matin en milieu scolaire, très pratiquée à Beauvais, ajoute-t-elle, nous avons rencontré les enseignants. » Des petits déjeuners ont été organisés dans les écoles, avec le concours de la diététicienne de la ville et les agents de la restauration scolaire. Ce fut l'occasion d'expliquer à toute la famille qu'un petit déjeuner équilibré permet de rester actif jusqu'au déjeuner : pas besoin d'une collation dans la matinée. Connaître et comprendre les causes des modes alimentaires inappropriées est crucial pour les familles concernées. Elles parviendront ainsi à changer les habitudes les plus néfastes et à en adopter de nouvelles.

« Pour le grand public, nous réalisons des actions ponctuelles comme la tenue d'un stand à la fête du sport, à l'automne dernier, poursuit Agnès Pozo. Nous organiserons un parcours sportif lors de cette même fête en septembre prochain. En octobre 2004, nous avons organisé une exposition d'une semaine à la mairie sur les aliments tout au long de l'année. Les écoles et la population de Beauvais y étaient invitées. »

Tous les deux mois, l'équipe Epode réalise deux pages dans le journal de la ville de Beauvais, distribué dans toutes les boîtes aux lettres. Elle y met à l'honneur un type d'aliment. « Lors de la fête de Jeanne Hachette, nous allons organiser un double repas, avec un menu médiéval et un menu actuel, annonce Agnès Pozo. On pourra constater que l'on mangeait bien plus de légumes au Moyen Âge. » Outre les animateurs du projet, ce repas sera animé par des élèves et professeurs de l'Institut des ingénieurs en agroalimentaire. L'analyse statistique des surpoids et obésités permettra de mieux cibler les actions et les populations concernées. On retrouve en effet davantage d'enfants qui en souffrent au sein de familles en difficultés ou de quartiers défavorisés. « Nous cherchons d'autres partenaires, indique-t-elle, afin de mieux apporter une aide dans ces secteurs. »

Synergie difficile

Entre intervention environnementale et santé communautaire, le programme Epode requiert une véritable synergie avec les professionnels de santé. Ce qui n'est pas simple. « Nous avons organisé deux conférences pour les réunir et expliquer la campagne Epode, remarque Agnès Pozo. Elle était animée par l'équipe de pilotage de Beauvais. Les pharmaciens de la ville et les pédiatres de l'hôpital s'y sont rendus. Pas les médecins de ville, généralistes ou spécialistes. »

Outre l'aide à la prévention primaire qu'il apporte, le calcul des indices de masse corporelle des enfants de Beauvais n'a de sens que si les médecins - généralistes et spécialistes de ville d'une part, hospitaliers d'autre part - rencontrent et suivent des familles des enfants obèses ou en surpoids. « Pour impliquer les médecins de ville, nous voudrions organiser une nouvelle conférence sur le programme Epode avec des personnalités d'envergure nationale. »

Pôle prévention

L'hôpital de Beauvais a créé un pôle prévention. « Il est surtout axé sur le diabète et la maladie cardiaque de l'adulte, souligne Agnès Pozo. L'équipe de ce pôle est constituée d'une infirmière, d'une diététicienne et d'un médecin endocrinologue. Lorsqu'elle reçoit une famille, elle explique à ses membres le rôle du mode de vie dans ces maladies chroniques. » L'équipe d'Epode a rencontré le médecin responsable de ce pôle hospitalier pour construire un partenariat.

Elle lui a demandé si cette équipe de prévention pouvait recevoir aussi des familles avec leurs enfants en consultation. « Le responsable a accepté, indique-t-elle. Mais il veut limiter leur nombre pour l'instant. Les implications en termes d'effectifs et de charge de travail seront évaluées. Ce bilan sera disponible à la mi-2005. » Le développement d'un tel accueil des familles permettrait aux médecins de ville d'envoyer au pôle prévention des enfants obèses de façon plus systématique, pour un accompagnement qui dépasse les capacités d'un généraliste.

D'autres contacts ont été pris. « Nous avons obtenu que les services de pédiatrie de l'hôpital reçoivent certains de ces enfants avec leurs familles. Le 5 avril, nous avons rencontré les services de médecine scolaire qui devraient assurer le suivi d'autres enfants. » Chaque nouvelle contribution conforte ainsi l'émergence de ce réseau, bâti pour la santé de l'enfant, et de l'adulte qu'il deviendra.

1- Ce sont les chiffres cités par Sandrine Raffin au salon Dietcom, le 10 mars 2005. Ils sont tirés de Surpoids et obésité chez les enfants de 7 à 9 ans, rapport de Marie-Françoise Rolland-Cachera et Katia Castetbon, Institut de veille sanitaire, Cnam, octobre 2004, 39 pages.

2- Cf. L'Infirmière magazine n° 197, septembre 2004, p. 15.

3- « Prévalence du surpoids et de l'obésité chez les enfants de 5-6 ans », Drees, Bulletin d'épidémiologie et d'hygiène, juillet 2003.

4- « Ensemble, prévenons l'obésité des enfants - Un an d'action concrètes auprès de la population », Epode, avril 2005.

initiative

FLEURBAIX-LAVENTIE VILLE SANTÉ

En 1992, deux villes du Pas-de-Calais, Fleurbaix et Laventie, ont lancé une recherche-action contre l'obésité et le surpoids chez les enfants. Les résultats font date. Chez les enfants de 4 à 12 ans de ces deux villes, la fréquence de l'obésité n'a augmenté que de 4 % chez les filles et de 1 % chez les garçons, entre 1992 et 2000. Durant cette période, elle augmentait de 95 % chez les filles et de 195 % chez les garçons de la région.

L'étude Fleurbaix-Laventie ville santé (FLVS) a servi de base pour les programmes Epode. « Ce qui se révèle efficace, ce sont les actions concrètes de proximité visibles et durables, soulignait lors de leur lancement le Dr Jean-Michel Borys, coordinateur des programmes FLVS et Epode. Cela nécessite une bonne synergie entre les différents acteurs locaux : enseignants, médecins, élus, commerçants et grandes surfaces, restaurateurs et producteurs. » Les partenariats et campagnes sur l'alimentation des uns confortent les actions des autres.

Le programme FLVS a montré qu'une information donnée aux enfants permet de « modifier les habitudes alimentaires de toute la famille », résume-t-il lors du premier anniversaire d'Epode en 2005. Cela conduit à diminuer « de façon indirecte mais bien réelle » le poids de l'enfant.