Ça, c'est palace ! - L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005

 

Pussy Poinen

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Posé sur une péninsule au nord-est de l'île Maurice, l'hôtel 5 étoiles Le Saint-Géran se blottit sous les bougainvilliers. C'est dans ce cadre de rêve que Pussy Poinen soigne les bobos des touristes.

Les portes de la grille du Saint-Géran s'ouvrent doucement, poussées par deux gardiens en costumes coloniaux. Le large chemin qui mène à l'entrée est planté de majestueux cocotiers. Il faut ensuite traverser un petit pont en bois pour entrer dans ce palace. La décoration est particulièrement raffinée. À gauche, après l'accueil, un petit couloir au mur blanc incrusté de pierres volcaniques de l'île conduit à l'infirmerie, où Pussy Poinen, infirmière, exerce. Souriante, Pussy vous reçoit, vêtue d'une blouse d'un blanc immaculé, sur laquelle brille une petite broche dorée où est gravé son prénom. Son allure soignée et son trait de rouge à lèvres rouge vif n'est pas sans évoquer le prestige de l'établissement. L'infirmière est chaleureuse, son accent mauricien est chantant. Cette Indienne d'origine officie dans ce grand hôtel depuis 1987. Elle annonce son âge sans complexes, 65 ans !

Toutes les nationalités

« Je travaille depuis 45 ans », précise-t-elle en remontant ses lunettes. Les portes de l'infirmerie s'ouvrent sur un petit garçon en pleurs. Ce jeune Américain d'une dizaine d'années accompagné de sa mère vient de se blesser le tibia au bord de la piscine. Pussy lui parle en anglais, l'appelle « mon chéri ». Elle lui demande son prénom, s'arme de gants chirurgicaux avant de l'allonger doucement sur la table de soin. Pour détendre l'atmosphère, elle lui lance quelques plaisanteries. Le gamin est rassuré et repart avec le sourire. Pussy parle couramment anglais et français comme presque tous les Mauriciens. Elle voit défiler dans cet hôtel toutes les nationalités. Un traducteur accompagne souvent les clients pour expliquer ce qui les amène.

L'infirmière a appris quelques mots de base dans chaque langue, afin de se sentir plus proche d'eux. Pussy ne se plaint pas de ses patients et revoit les plus fidèles avec plaisir tous les ans.

Beaucoup de bobos

Mais attention, contrairement à ses malades privilégiés, Pussy n'est pas en vacances ! Au Saint-Géran, les journées sont bien remplies, et l'infirmière n'a pas le temps de s'ennuyer. Elle arrive à l'hôtel à 8 h 30. On lui a octroyé une voiture de fonction. À l'île Maurice, la plupart des entreprises offrent ce service à leurs employés. Elle vit à Moka, à l'ouest, et fait le trajet quotidiennement. Soit plus de deux heures aller et retour de son domicile à l'hôtel. Tous les matins, elle consulte le rapport de la veille noté sur un grand cahier. Elle jette un oeil sur les soins pratiqués pour chaque client. Trois autres infirmières se relaient au Saint-Géran. Forte de sa longue expérience, Pussy les encadre et centralise l'information. Lorsque les patients reviennent, elle sait quels soins ont été effectués. Ainsi, elle peut poursuivre un traitement ou refaire un pansement. En général, les soins donnés à l'hôtel sont d'ordre accidentel, notamment liés aux sports proposés comme le golf, le ski nautique, le tennis, etc. Parfois, des morceaux de coraux ou d'oursins blessent les clients. En cas de problèmes plus graves, elle fait appel au médecin de garde, qui établit un diagnostic. S'il y a urgence, le patient est directement transporté à la clinique Darné, la meilleure de l'île, à quarante-cinq minutes de là.

Globe-trotter

Sa journée se termine à 16 heures. Tous ses week-ends sont libres. Son salaire est de 16 000 roupies (550 euros). « Je ne vais pas me plaindre », avoue-t-elle. Le salaire moyen sur l'île est de 400 euros ! Deux de ses collègues infirmières à l'hôtel ont quitté Maurice pour travailler en Angleterre. « Le salaire est plus motivant là-bas, remarque-t-elle en haussant les épaules. Beaucoup d'infirmières mauriciennes partent exercer en Europe. À cause de cela notamment, on commence à voir poindre la pénurie. » Pussy a obtenu son DE en 1965, après avoir reçu une bourse pour ses études. Elle a commencé par suivre des cours à Maurice à l'école d'infirmières. À l'époque, c'étaient les colons britanniques, présents jusqu'en 1968, qui enseignaient. Pussy quittera son île natale pour se perfectionner, notamment en Europe. Elle multipliera les expériences dans les hôpitaux en Allemagne, en Angleterre, en France, mais aussi en Afrique du Sud !

« Il n'y a aucune comparaison possible entre ici et l'Europe concernant la médecine, lance-t-elle. Ici, à Maurice, nous manquons de finances. Il faut savoir que nous n'avons pas de sécurité sociale. La plupart des gens se font soigner dans les hôpitaux publics, car c'est gratuit, mais la qualité des soins n'est pas toujours à la hauteur faute de moyens. »

Bond en avant

Après quelques années d'absence, Pussy revient enfin sur son île, se marie et donne naissance à deux enfants. Avec le recul, elle réalise que c'est à l'hôpital qu'elle a tiré toute son expérience. « C'était parfois violent, explique-t-elle, je me souviens d'avoir été battue par des alcooliques. Ici, au Saint- Géran, cela n'a rien à voir. L'environnement permet d'être décontracté, et j'ai le temps de me consacrer complètement aux clients, ce qui n'était pas le cas à l'hôpital. »

Aujourd'hui, les voyages sont terminés. On lui a proposé de donner des cours pour former des jeunes infirmières sur l'île, mais elle a refusé. À l'âge de la retraite, il n'est pas question pour elle d'arrêter son travail, mais elle ne veut pas non plus cumuler un emploi de formatrice. Cette femme pleine de vie ne sait pas quand elle s'arrêtera ! En tout cas, avec sa longue expérience, elle est fière de constater que son pays a fait un bond en avant extraordinaire dans le domaine de la santé. Les vaccins sont arrivés et ont aboli certaines maladies, comme la malaria, la tuberculose qui tuaient encore la population il y a quelques années. L'hygiène a aussi considérablement évolué. Cependant, beaucoup de progrès restent à accomplir. Notamment en ce qui concerne les prises en charge de maladies lourdes, tel le cancer. Les plus fortunés doivent se rendre sur l'île voisine de la Réunion. Les autres n'ont pas de portes de sortie.

Une journée s'achève sous le chaud soleil mauricien. Pussy traverse le hall de l'hôtel en saluant ses collègues pour rentrer chez elle.