De 7 à 77 ans - L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005

 

la résidence de l'abbaye

24 heures avec

Depuis février 2000, la résidence de l'Abbaye, une maison de retraite en région parisienne, a ouvert dans ses murs une crèche destinée aux enfants de la commune. Qui partagent ainsi les loisirs des seniors...

Il est 8 h 15 du matin à la résidence de l'Abbaye(1), à Saint-Maur, en région parisienne. Une jeune femme passe le hall d'accueil, un enfant dans les bras. Derrière elle, un homme en complet veston tire un petit garçon par la main. « Allez dépêche-toi, sinon je vais être en retard », lui lance-t-il. À quelques pas de là, une vieille dame en fauteuil roulant vient chercher son courrier. Cette cohabitation naturelle se déroule dans une maison de retraite tout à fait classique qui accueille 200 pensionnaires.

Métamorphose

L'établissement donne sur un parc, le décor est lumineux et chaleureux. Particularité des lieux : on y trouve une crèche qui reçoit les enfants de la commune. Ici, les très jeunes, de 18 mois à trois ans, partagent le quotidien des personnes âgées. Les deux extrémités de la vie se retrouvent ainsi quelques heures par jour pour partager une activité ou un repas. Cette rencontre intergénération a débuté en février 2000. Aujourd'hui, c'est une réussite sur toute la ligne. D'abord pour les personnes âgées qui, pour certaines, reprennent goût à la vie et s'animent à la vue des petits. « Les aînés, explique Nathalie Frappier, cadre de santé, communiquent peu, on les a vus s'épanouir devant les enfants. Certains, naguère agressifs, se sont métamorphosés. Il y a des réactions très positives avec les équipes. Ils se détendent et deviennent plus ouverts. » Les petits, quant à eux, canalisent leur énergie en présence de leurs grands aînés. « Pour les enfants, c'est une vraie ouverture, explique Marie Lecaille, la directrice de la halte-garderie multi- accueil. Ils ont ainsi la chance de pouvoir s'évader. Ils ne sont pas cantonnés dans une seule pièce. »

Pique-nique

Vers 9 heures, quelques enfants montent dans les étages à la rencontre des aînés. Ils vont partager le petit-déjeuner. Certains parents accompagnent la troupe. Mme Demey, l'une des résidentes, les accueille avec le sourire. « J'adore les enfants ! lance-t-elle en caressant la main du petit Sorën. J'aurais tellement aimé avoir des petits-enfants. Il y a quelque temps, j'ai fait une sortie avec eux dans un musée à Vincennes. Nous avons ensuite pique-niqué tous ensemble, c'était formidable ! » Toute l'équipe soignante participe de près ou de loin à ces rencontres intergénération. « Je suis arrivée ici en mai 1986, raconte Nathalie Frappier. J'ai donc vu émerger la halte-garderie. Mon travail consiste, entre autres, à favoriser la venue des enfants dans les étages ou à accompagner les aînés à la halte-garderie. Nous les informons de l'existence des activités. Il faut rendre les résidents acteurs en les sollicitant. Il arrive que nous leur demandions, par exemple, de raconter des contes. Beaucoup de résidents ne viennent que pour voir les enfants, même s'ils ne participent pas. Le personnel référent rappelle aux collègues les activités de la halte-garderie. Il noue le lien avec toute l'équipe. Les infirmières font aussi vivre le projet, elles y sont impliquées comme tout le monde mais c'est vrai que la charge de travail est déjà très importante pour elles ici. L'équipe compte une cadre supérieure, deux cadres de santé, 17 infirmières dont trois de nuit. » Un projet qui semble donc contenter tout le monde. Après le petit-déjeuner, les enfants redescendent jouer.

« Ramasse ton crayon ! »

À 10 h 30, les volontaires ont rendez-vous pour un atelier dessin avec d'autres aînés. Mme Michalak et M. Dumont sont déjà installés sur une table. Ils sont habitués à participer aux ateliers avec les petits. « Comment s'appelle cette si jolie petite blonde ? Comme elle est jolie ! lance Mme Michalak en souriant. Moi je participe à toutes les activités avec les petits. Pourvu que je sois avec eux, je suis contente ! » Même discours chez M. Dumont qui s'applique en coloriant un chat assis près de Sofiane. Mme Demey, de passage, s'installe sans hésiter à la table pour participer. Le petit Adam laisse tomber un crayon. « Maintenant, tu le ramasses Adam, allez ! », lui lance Mme Michalak d'un ton sévère. Le petit obtempère. Telle est aussi l'une des vertus de ces rencontres : redonner à la personne âgée un rôle qu'elle avait un peu perdu : celui de l'adulte qui transmet et peut gronder à l'occasion.

Petits miracles

« Les résidents peuvent avoir à nouveau une position d'aidant, car ils aident les petits à marcher, observe Saliha Beauné, psychologue à la résidence. Ils retrouvent des gestes d'accompagnateurs. Ils reconquièrent une image d'eux-mêmes. Car beaucoup d'aînés sont dans le repli. La relation avec les petits est facilitée car les enfants en bas âge s'expriment dans un langage non verbal. Des résidents reprennent des gestes habituels qu'ils avaient un peu perdus. Ils s'autorisent des choses avec les enfants et se prêtent aux jeux. Nous avons par exemple un atelier de karaoké, où ils chantent. Les activités exhalent un parfum de plaisir. Les résidents vont à l'origine des choses. Je me souviens d'une dame pratiquement incapable du moindre geste qui tendait un bras en présence des enfants. Désir et envie reviennent. »

Parfois, ces rencontres entraînent de petits miracles. « Les personnes désorientées ou qui souffrent de maladies de type Alzheimer retirent un réel bénéfice thérapeutique au contact des petits», fait remarquer Isabelle Pluvinage, psychologue à la maison de Bonneuil. Cet établissement fonctionne en binôme avec Saint-Maur et propose également une halte-garderie dans ses murs. « En présence des enfants, ils essaient de retrouver un certain dynamisme. Ils prennent garde de ne pas se tâcher lors des repas par exemple. Le regard des enfants les stimule beaucoup. »

Libre choix

En outre, les petits favorisent le lien avec les autres personnes âgées. Ils aident les nouveaux arrivants à rencontrer plus facilement d'autres résidents. « La personne s'inscrit ainsi dans le tissu social, explique Saliha Beauné. Cela ouvre des champs du possible sur beaucoup de domaines. L'entrée dans une maison de retraite permet l'ouverture sur l'extérieur. Cela développe les échanges naturels. »

Mais pour les uns comme les autres, rien n'est forcé. Le libre choix reste une notion importante. Les personnes âgées ne sont en rien contraintes de passer du temps avec les enfants. Pour beaucoup d'entre elles, leur seule présence suffit à leur procurer du plaisir. « Ceux qui n'ont pas envie ne voient pas les enfants ! insiste Saliha Beauné. Cela suscite donc des réactions ! Chacun a sa position et c'est ça qui est important. » Ces petites phrases, ces sourires et cette simple présence des enfants suffisent souvent aux personnes âgées pour se sentir moins isolées. Certaines, même, se contentent de les voir tous les jours, sans leur parler, juste pour se laisser envahir par ce flot de jeunesse et de vie. Des instants précieux pour ces personnes, qui, en dehors du personnel soignant, souvent débordé, et de la télévision, n'ont pas d'autres fenêtres sur le monde.

Moments de bonheur

Midi. Il est temps de penser au déjeuner. Un grand soleil permet aujourd'hui de s'installer à l'extérieur. C'est un moment propice à la rencontre. Une dame de 97 ans en route pour l'accueil de jour n'hésite pas à venir s'installer avec les petits. « J'étais institutrice, alors vous savez, j'adore les enfants. Cela me rajeunit de quarante ans ! » M. Tétu, jeune résident, se fait interpeller par Adam. « Il est où ton pouet-pouet ? » Le résident sort alors un klaxon à l'ancienne qui fait le tour de la table sous les éclats de rire juvéniles. Des moments de bonheur illuminent ces lieux. Aujourd'hui vendredi, aucune activité intergénération n'est programmée après la sieste des enfants. Mais la liste des activités proposées par la halte-garderie est longue : création de marionnettes, fabrication de pâte à sel, poterie, animations musicales, karaoké, pâtisserie...

Parents enchantés

Et la réaction des parents dans tout ça ? La maman du petit Adam par exemple est ravie. « Je cherchais un système de garde. La mairie m'a proposé la halte-garderie ici, et j'ai eu de la chance car il y avait de la place. C'est vrai que je n'étais pas vraiment au courant du projet intergénérationnel au départ. Adam a trois ans. Il est très à l'aise avec les personnes âgées. » Les parents sont souvent surpris au début, mais les réactions négatives sont inexistantes. « C'est toujours très bien accueilli par les familles, explique Marie Lecaille. Cette année, les parents ont beaucoup participé. Ainsi, une maman chilienne anime un atelier d'éveil à l'espagnol. Nous proposons aussi un éveil musical. Les demandes d'inscription sont très importantes. Pourtant, les places sont rares. 14 enfants par demi-journée viennent ici. » Pourquoi donc ces projets, aussi bénéfiques pour les enfants que pour les personnes âgées, sont-ils aussi peu nombreux à voir le jour en France ? La crainte ? Ou la lourdeur administrative ? Les visites de spécialistes de la petite enfance ou de dirigeants de maison de retraite, soucieux de copier ce modèle, se multiplient pourtant à Saint-Maur. Preuves s'il en est de l'intérêt suscité par un tel projet, assurément digne de faire des émules.

1- Résidence de l'Abbaye, 3, impasse de l'abbaye, 94100 Saint-Maur des Fossés. Tél. : 01 55 12 17 20.