Des opérations à l'oeil - L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005

 

clinique Barraquer

Reportage

Implantée dans un pays pauvre, la clinique Barraquer, spécialisée en ophtalmologie, a réussi une prouesse : cet établissement colombien moderne allie rentabilité et exigences sociales.

Perly est assoupie sur son lit, nerveuse : elle va se faire opérer des yeux. La jeune fille est atteinte d'une maladie rare, la fibroplasie retrolentale. Une membrane s'est développée sur la rétine de ses yeux. La cécité avance. Mais, aujourd'hui, ses parents ont retrouvé le sourire. Arrivés il y a quelques jours à Bogota, ils patientent dans la clinique Barraquer. Reconnue mondialement, cette clinique ophtalmologique attire des patients du monde entier. Perly et ses parents viennent du Mexique. Ils ont durement économisé pour s'offrir ce voyage. Tenant compte de leurs difficultés, la direction de la clinique leur a fait un prix. C'était leur dernier espoir. Il y a deux ans, ils avaient consulté une ONG d'ophtalmologues, l'une de ces équipes médicales qui, en Amérique du Sud, voyagent à bord d'un Boeing équipé d'un bloc opératoire. Malheureusement, les chirurgiens volants n'avaient rien pu faire. Ils avaient recommandé la clinique Barraquer.

Moins cher qu'aux USA

Dans la chambre d'à côté, une patiente nord-américaine vient, elle, de Miami. Elle n'a pas débarqué en Colombie pour ses plages. Elle vient se faire soigner d'une cataracte. « Moi, j'ai choisi la clinique Barraquer, parce qu'ils ont une très bonne réputation et aussi, parce qu'ils pratiquent des prix très attractifs. Les soins ophtalmologiques aux États-Unis sont inabordables ! » Pour cette patiente, le billet d'avion entre Miami et Bogota ne compte pas énormément dans la facture totale de l'opération.

La famille Barraquer est l'une des plus grandes familles d'ophtalmologistes du vingtième siècle. À Bogota, José Igniacio Barraquer a inventé toutes les techniques de la chirurgie rétractive. On lui doit un concept novateur : celui du remodelage de la cornée. Si le docteur Sato, un Japonais, avait, lui, inventé les principes initiaux, José Ignacio Barraquer a développé le remodelage de la cornée en la congelant et en la sculptant sur un tour. Aujourd'hui, on applique cette technique de la sculpture avec le laser dit « excimer », mis au point dans les années 1990. Ce laser ne brûle pas les tissus, il en fait l'ablation.

Valeurs quasi éteintes

Le docteur Gauthier, ophtalmologue à Saint-Jean-de-Luz, parti compléter sa formation à Bogota, loue la générosité de M. Barraquer : « La clinique Barraquer a une dimension historique grâce aux travaux d'un homme d'une grande probité et générosité ! » Le Français évoque avec nostalgie une conception de la recherche médicale « dans la confraternité ». « Barraquer a mis en place une école. Il a fait progresser la connaissance sans en tirer un profit personnel. La communauté scientifique ophtalmologique en a beaucoup bénéficié. » Ces valeurs sont de plus en plus rares aujourd'hui, regrette le docteur Gautier. Les raisons de cette extinction : « Les progrès technologiques sont à l'initiative d'entreprises commerciales et industrielles aux intérêts peu compatibles avec les valeurs que j'ai pu rencontrer dans la clinique Baraquer ! »

Cercle vicieux

Le coût d'une intervention simple à Bogota peut éventuellement valoir le même prix qu'en France. Mais, si l'intervention nécessaire demande des techniques et du matériel de pointe, mieux vaut aller à Bogota. La raison est simple : en France, ce type de matériel manque. Le docteur Saint-Martin, l'un des premiers à avoir pratiqué la chirurgie réfractaire dans l'Hexagone, dénonce cette situation. Ce chirurgien ophtalmologiste remarque qu'il est impossible pour les cliniques françaises d'investir dans le développement et la recherche de techniques coûteuses. Une situation qui, selon lui, porte préjudice à la compétitivité des cliniques françaises. Des établissements du Sud attirent donc de plus en plus d'Européens pour les soins hors convention. Se faisant, ils ont plus de capacité à investir dans des techniques de pointe. Un cercle vicieux ! Le secteur public n'est pas épargné : « Aucune structure en France ne peut avoir le même matériel que celui de la clinique Barraquer ! Aussi bien dans le privé que dans le public ! Ils ont du matériel pour faire des topographies de la cornée en trois dimensions. En France, ce matériel est impossible à acquérir ! », estime le directeur médical de la clinique Saint-Aubin à Toulouse, Christophe Gazel.