Faire face aux catastrophes - L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005

 

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Horizons

11 septembre, anthrax, explosion d'AZF... Les catastrophes industrielles et terroristes se multiplient dangereusement. Pour y faire face, la DHOS a institué un programme national de formation destiné aux personnels hospitaliers.

« Le jour où l'usine AZF a explosé, les équipes du Samu sont parties tout de suite, et on a vu un nuage orange bouger dans le ciel. On a pensé à un attentat chimique. C'était une zone connue pour être à risque, où on avait déjà fait des exercices », raconte Élisabeth Soula, alors infirmière responsable au Samu puis aux urgences de l'hôpital Purpan du CHU de Toulouse. Panique : la première équipe arrive sur les lieux sans protection particulière, les suivantes avec des protections dépassées. Simultanément, les victimes affluent à l'hôpital par centaines... Le 21 septembre 2001 restera gravé dans la mémoire des soignants comme des habitants de Toulouse. Depuis quelques années, la menace terroriste a fait prendre conscience de l'émergence de nouveaux risques exceptionnels. Même si le risque industriel est plus menaçant au quotidien : industries classées Seveso, transports de matières dangereuses, etc. Le G7 a décidé de se pencher sur la question du bioterrorisme et, en France, des « plans » ont été mis sur pied.

Risques terroristes et industriels

Une circulaire de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) datée du 3 mai 2002 instaure l'obligation pour les établissements de rédiger des plans blancs, ainsi qu'un programme national de formation des personnels hospitaliers aux risques NRBC. Son organisation est pyramidale (cf. p. 49). Dans certaines régions (Paris, zone Nord, etc.), les formations de terrain sont entrées dans les moeurs, tandis que d'autres s'y mettent à peine (zone Sud-Ouest). Premiers concernés par lesdites formations : les professionnels des services d'urgences, des Samu et Smur, qui sont en première ligne. Mais les personnels des étages sont aussi formés. Quel que soit leur métier. « On peut être médecin, brancardier, aide-soignant, infirmière, peu importe », souligne le Dr Vincent Van Laer, urgentiste au Samu 59 et l'un des cinq référents de la zone Nord. Les infirmières sont donc nombreuses parmi les volontaires qui suivent la formation.

Les sessions des personnels de terrain portent notamment sur la connaissance de la nature des risques et des produits pouvant être en cause. « Ni pendant ma formation ni au cours de ma spécialisation, je n'avais entendu parler des produits dangereux », souligne Franck Pinchon, Iade à Lille. La procédure de décontamination est également analysée. Elle constitue le maillon d'une chaîne parfaitement balisée afin d'éviter les contaminations internes, rappelle Patrick Duffner, cadre infirmier anesthésiste au Samu 59, autre référent zonal.

Polyvalence

Déshabillage, douchage, réanimation, décontamination : chaque étape fait l'objet d'une procédure précise.

Point crucial de la formation, les moyens de protection des personnels qui interviennent et au final, la protection de l'hôpital dans son ensemble. Éviter le transfert de contamination, « c'est le premier but de ce dispositif, insiste le Dr Roch Joly, également référent, médecin du Samu 59 et spécialisé en médecine de catastrophe. On ne doit pas faire comme cela s'est passé à Tokyo lors de l'attentat au gaz sarin, qui a fait plus de 130 victimes parmi le personnel de l'hôpital. »

« On apprend à ne pas se mettre en danger face à un risque d'autant plus abstrait qu'il est souvent invisible. L'habillage est donc un élément central », confirme Marie Defebvin, Iade au Samu 59. Les professionnels qui interviennent sur une chaîne de contamination doivent en effet porter un masque à cartouche filtrante, une combinaison protectrice et une double paire de gants. « On ne peut pas faire les mêmes gestes que lorsqu'on est en blouse blanche et en baskets, souligne Franck Pinchon. Avec ces gants, impossible par exemple de récupérer le bout du sparadrap sur un rouleau, d'ouvrir l'emballage d'une perfusion ou de monter une ligne de tubulure. Alors poser une voie veineuse... On est un peu comme des cosmonautes... » L'inconfort est total. Selon la saison, la combinaison est soit étouffante, soit glaciale. Les porteurs de la barbe et de lunettes ne peuvent pas non plus revêtir cette tenue, contre-indiquée aussi aux personnes présentant des problèmes respiratoires ou claustrophobes.

Protéger l'hôpital

L'intervention des professionnels sur la chaîne de décontamination « est donc limitée dans le temps à environ une heure, une heure et quart, précise le Dr Vincent Van Laer. Cela requiert une bonne condition physique, alors qu'on ne nous demande pas, à la différence des pompiers, de faire du sport ». Il faut donc former un maximum de professionnels afin d'assurer les nécessaires relèves, souligne Marie Defebvin.

Pendant la formation, les participants apprennent aussi à monter une chaîne de décontamination mobile (il n'en existe que deux, l'une à Lille et l'autre à Paris) à proximité immédiate du centre hospitalier le plus proche de l'accident et/ou de l'hôpital de référence de la zone. On empêche ainsi l'entrée de victimes contaminées dans l'hôpital. Mais, comme le fait remarquer Élisabeth Soula, les hôpitaux disposent souvent de nombreuses entrées, qu'il faudra bloquer le jour J. « Malgré la formation, on n'a pas toutes les solutions », résume-t-elle. Les plans blancs (et leurs annexes NRBC), adoptés dans certains établissements, en cours de rédaction dans d'autres, devraient apporter une partie des réponses. Principale vertu des exercices grandeur réelle, leur valeur pédagogique. Un exemple, ceux pratiqués par l'équipe de l'hôpital de Fourmies « ont favorisé la prise de conscience de la nécessité de se former », souligne Marie-Claude Tassout. L'exercice que le Samu de Paris a organisé en octobre 2004 près de l'hôpital Necker a permis, selon le Pr Pierre Carli, de tester les modules de formation et de les revoir en conséquence. Même si certains, parmi les premiers formés, assurent que « les réflexes reviennent vite », d'autres, comme Marie Defebvin, estiment que des « piqûres de rappel » régulières seraient bienvenues. Mais il est probablement encore trop tôt pour l'envisager, car le chantier de cette formation vient seulement d'être engagé.

1- Le plan Biotox, supervisé par le ministère de la Santé, porte sur le risque biologique, le plan Piratox (ministère de l'Intérieur) sur le risque chimique et le plan Piratome (ministère de l'Industrie) sur les risques nucléaire et radiologique.

interview

« Former une masse critique de professionnels »

Pierre Carli, professeur d'anesthésie-réanimation à l'hôpital Necker (Paris), directeur du Samu de la zone Ile-de-France, est le concepteur du programme national de formation aux risques NRBC et l'un des formateurs nationaux.

> Comment s'organise la formation NRBC ?

Ce sujet est fortement reconnu par la loi de santé publique qui renforce le devoir de formation, y compris en la matière. Un plan de formation national a donc été défini depuis un an et demi. Il se décline au niveau des zones de défense. Des formateurs ont été préparés au niveau national, eux-mêmes forment des groupes de formateurs sur chaque zone qui déploient la formation localement. L'objectif est d'avoir une masse critique de personnel des urgences, des Samu, des Smur, de réanimation d'abord, mais aussi d'autres services qui soient en mesure de prendre en charge les victimes NRBC. Il ne s'agit pas que tous deviennent spécialistes, mais que tout le monde ait eu au moins une journée de formation.

> De quelle manière le dispositif se met-il en place dans la zone du Samu de Paris ?

Les formations ont lieu au niveau des zones de défense, dans chaque établissement. À l'AP-HP, nous venons d'ouvrir à Broussais, en janvier, un centre de formation aux risques chimiques et radionucléaires. Nous avons récupéré les anciens blocs opératoires de chirurgie cardiaque où nous avons mis en place une chaîne de décontamination. Les ateliers portent sur le déshabillage, le douchage, la décontamination des victimes, mais aussi l'habillage et la protection du personnel, notamment l'utilisation des combinaisons et des masques. Les personnels qui suivent cette formation sont des médecins, des infirmiers, des aides-soignants des urgences, souvent. Ce sont des volontaires, mais nous les incitons à suivre cette formation.

Propos recueillis par Géraldine Langlois

contact

- Pour plus d'informations sur la formation des personnels de terrain, contacter les Samu des établissements de référence, les CHU de Lille, Rennes et Rouen, Strasbourg et Nancy, Bordeaux, Lyon, Marseille et Paris (AP-HP). Consulter http://www.sante.gouv.fr et http://www.samu-de-france.com.