« Le déni de soins persiste » - L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 207 du 01/07/2005

 

Geneviève Laroque

Questions à

Acteur fondamental de la gériatrie, Geneviève Laroque explique pourquoi cette discipline est restée une médecine pauvre, malgré les progrès enregistrés en trente ans : elle est complexe, multisymptomatique, insuffisamment enseignée et bénéficie de moyens limités.

Comment a évolué selon vous la gériatrie en France depuis 30 ans ?

Ce qui est important et difficile d'abord, c'est de bien poser la problématique du soin aux malades âgés. L'évolution de l'avancée en âge, autrement dit de l'espérance de vie, suppose d'abord l'introduction de la gériatrie partout, c'est-à-dire dans tous les services de médecine, de chirurgie et de spécialités diverses. Et il faut définir aussi le malade spécifiquement gériatrique qui relève, lui, de services spécialisés, de fait sinon de droit, en gériatrie. Il est certain que depuis trente ans, les soins aux malades âgés ont fait des progrès considérables. Il suffit de voir par exemple l'audace dont font preuve les chirurgiens qui n'hésitent pas à pratiquer aujourd'hui des interventions complexes, même sur des malades très âgés, ce qu'ils n'auraient certainement pas fait il y a quelques années encore. Et ce, alors même qu'il n'existe pas de spécialisation en chirurgie gériatrique... Il faut dire aussi, bien sûr, que les progrès très importants effectués ces dernières années en anesthésie-réanimation facilitent ces attitudes plus actives. Les progrès dans la prise en charge médicale des malades âgés sont incontestables partout, c'est-à-dire dans tous les services et dans toutes les disciplines. Mais corrélativement, ces progrès généraux se sont accompagnés d'une dégradation de la prise en charge des malades âgés polypathologiques, trop souvent considérés comme des « bloqueurs de lit » dont on veut se débarrasser au plus vite... Les structures gériatriques, quant à elles, restent des structures pauvres et de pauvres.

Et ce qu'on appelle le parcours du combattant, c'est-à-dire le transfert répété du malade âgé polypathologique d'une structure à l'autre, persiste encore... En d'autres termes, la gériatrie en tant que médecine du vieillard a fait des progrès partout, même si elle est encore très insuffisamment enseignée, mais la gériatrie elle-même, c'est-à-dire la médecine du vieillard difficile à soigner est restée, elle, une médecine pauvre. En termes d'organisation des soins, la majorité des gériatres ne souhaitent pas prendre en charge tous les malades âgés, mais veulent avoir les moyens de prendre en charge correctement les malades âgés difficiles et d'abord polypathologiques.

Ainsi, le sujet âgé cardiaque ira dans un service de cardiologie, mais celui qui a une maladie cardiaque avec d'autres problèmes médicaux ira dans un service de gériatrie où il bénéficiera de la consultation d'un cardiologue au besoin.

La gériatrie est une médecine complexe. C'est en quelque sorte la médecine interne du vieillard, mais à la différence de la médecine interne qui diagnostique et traite avant tout des maladies rares, elle s'occupe, elle, de prendre en charge le complexe, le multiforme et le multisymptomatique, même si ce sont des maladies banales et fréquentes. De plus, la gériatrie est médicalement plus compliquée, parce que les problèmes sont rarement uniquement médicaux. Pour des malades polypathologiques qui vivent dans un milieu favorisé au plan matériel et relationnel, la difficulté est d'ordre presque uniquement médical, mais pour tous les autres, la difficulté ne sera pas uniquement médicale et les médecins devront travailler avec d'autres professionnels (assistante sociale, psychologue...) et se préoccuper de l'organisation matérielle du malade.

La gériatrie est en fait une discipline médico-psycho-sociale. Comme dans toutes les disciplines qui touchent à la chronicité (psychiatrie, médecine des polyhandicapés), on ne peut pas se contenter de faire uniquement de la médecine. D'ailleurs, la gériatrie est bien née de l'hospice qui était une structure médicosociale. Enfin, comme toutes ces disciplines qui touchent à la chronicité, la gériatrie demande du temps : davantage de temps soignant et davantage de durée. La longévité n'implique-t-elle pas la durée ?

L'amélioration des services est bien sûr incontestable puisqu'il y a trente ans, c'étaient encore des hospices, mais le sous-équipement chronique demeure et l'on peut dire que malgré les progrès, un certain déni des soins aux personnes âgées persiste. Ce n'est pas seulement un problème de frilosité comptable, c'est aussi un problème de frilosité intellectuelle : au fond, ça ne vaut pas la peine !

Et la question sous-jacente, c'est de savoir jusqu'où soigner les vieux ? La distinction entre l'abandon et l'acharnement thérapeutique à froid est difficile. On peut faire pour les vieux ce qu'on ferait pour de plus jeunes mais on peut aussi considérer que c'est du gâchis... Actuellement, on fait le maximum pour les jeunes. Mais ne devrait-on pas faire ce maximum pour celui, jeune ou vieux, qui a le plus de chances de survie ? Et la question des soins aux patients déments est identique à celle des soins aux polyhandicapés jeunes...

Observe-t-on une réelle amélioration des soins aux personnes âgées pendant cette période ? Et dans quels domaines principalement ?

Effectivement, on constate une amélioration des soins. En 1975-1976, l'AP-HP, qui était considérée comme riche en France, disposait de 0,7-0,8 agent par lit (tous personnels confondus). Aujourd'hui, on dépasse un agent par lit...

Les moyens techniques ont aussi augmenté. Pensons à la prise en charge de l'incontinence avec de simples alaises autrefois et aux changes complets d'aujourd'hui...

Pensons aussi aux salles communes d'antan et aux chambres actuelles à un ou deux lits avec sanitaires (d'ailleurs, il y a encore trop de chambres à deux lits et pas assez de chambres à un lit...).

Pensons enfin à la simple hygiène : autrefois, la plupart des malades ne voulaient absolument pas être douchés, aujourd'hui, ils réclament des douches. Il faut dire qu'entre-temps, la société en général a connu une profonde évolution.

Quelles insuffisances persistent encore et pourquoi ?

Elles sont d'abord globalement quantitatives : les structures gériatriques françaises manquent de moyens en personnel, compte tenu des nécessités de temps dont nous avons parlé, mais on observe aussi un manque de qualification. Il faut du personnel qualifié, formé, et encadré. Et son niveau de formation doit être entretenu par la formation continue. Le personnel doit aussi avoir un véritable statut et être motivé. Il faut aussi davantage d'équipements et de coordination, à l'intérieur par un réel travail d'équipe, mais aussi avec l'extérieur, dans le cadre d'un travail en réseau. Pour les institutions hospitalières, les insuffisances sont encore quantitatives, mais surtout qualitatives. Pour les institutions médicosociales, elles sont à la fois quantitatives et qualitatives. Et il faut tenir compte de l'exigence croissante des usagers, mais aussi des soignants.

Quelles sont les priorités en matière de soins gériatriques dans l'avenir ?

Il faut former, former et encore former ! Il faut former bien sûr les médecins. En généralisant la formation de tous les médecins, tout au long de leurs études et dans toutes les spécialités. Il faut aussi donner une formation en gériatrie plus approfondie aux médecins qui travailleront dans des structures spécifiquement gériatriques hospitalières ou médicosociales. Faut-il créer une spécialité infirmière en gériatrie ? Il faut au moins des modules de formation spécifiques, car il ne faut pas oublier le rôle majeur des infirmières auprès des malades âgés dans les services de spécialités. C'est d'elles que dépend en effet pour beaucoup la prévention qui permettra à un malade âgé de ne pas devenir un malade gériatrique... Oui, il faut avant tout former. Dans tous les métiers et à tous les niveaux.

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Geneviève Laroque

Depuis trente ans, Geneviève Laroque étudie les problèmes des personnes âgées en général et la gériatrie en particulier.

Elle a exercé notamment à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris en tant que directeur délégué des hôpitaux de long et moyen séjour, puis au ministère comme adjoint au directeur général de la santé et comme inspectrice générale des affaires sociales. Elle a aussi été présidente de la Fondation nationale de gérontologie.