Faire face à la colèredes patients - L'Infirmière Magazine n° 208 du 01/09/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 208 du 01/09/2005

 

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Mieux vivre

Insultes, coups, dégradation de matériel... Face à une institution hospitalière qui ne leur paraît pas prendre la mesure de leur détresse ou pour mille autres raisons, les patients s'emportent quelquefois contre les équipes soignantes. Des professionnels plus ou moins préparés à faire face à ces comportements.

« Le plus souvent, les gens se plaignent des délais d'attente, note Vanessa, infirmière dans un service d'urgences de la région parisienne. Ils ne comprennent pas pourquoi ils attendent ou pourquoi d'autres personnes passent avant eux. D'ailleurs, ce sont souvent ceux qui viennent pour des problèmes bénins qui deviennent agressifs alors que ceux qui sont plus gravement atteints s'excusent presque ! » Ce n'est d'ailleurs pas si paradoxal. Les personnes les moins touchées s'attendent à repartir vite alors que c'est le contraire qui se produit : les « vraies urgences » passent avant et la tension monte... La douleur constitue également un facteur aggravant : non soulagée, elle augmente vite la tension d'un ou plusieurs crans.

En première ligne

L'agressivité des usagers envers les agents hospitaliers, si elle s'adresse souvent d'abord à l'institution hospitalière, ne laisse pas indemnes les personnes qui, au-delà de leur fonction de soignant, la reçoivent en direct. Beaucoup, en tant que représentants, justement, du service public incriminé, prennent pour eux les reproches violemment exprimés. Certains même sont touchés dans leur chair par les coups et la violence exprimées. Les données sur cette question restent cependant parcellaires mais au-delà d'événements dramatiques - qui amènent à considérer à part la violence des patients en psychiatrie, du ressort de la prise en charge médicale -, certains services (urgences), certains moments (nuit, week-end) ou certains établissements sont manifestement plus concernés. Localement, des établissements planchent donc sur la question. Les réponses apportées aux besoins des équipes sont d'ordre politique, technique, organisationnel (lire ci-contre) ou pédagogique.

L'AP-HP a ainsi mis en place un module d'information sur l'agressivité des usagers à destination de tous les nouveaux agents. Jacques Orsi, chef de la sécurité à La Pitié-Salpêtrière, intervient ainsi auprès des étudiants infirmiers et des cadres en formation. « Chaque situation est unique mais on peut apprendre à avoir toujours une attitude positive, remarque-t-il. Au lieu de répondre à un patient "je n'ai pas que ça à faire", on peut par exemple dire "je vais m'occuper de vous, patientez quelques minutes". Il faut comprendre que le patient est en situation de stress : il ne faut pas en rajouter. Le dialogue est le meilleur remède. » Autre recommandation : tenir ses engagements, notamment en matière d'heure de rendez-vous... Aux HCL, les agents de certains sites discutent du sujet après avoir visionné un DVD ou à partir de « fiches réflexes » faites maison sur la conduite à tenir face à des patients agressifs.

Dans d'autres établissements, des professionnels extérieurs sont appelés pour sensibiliser leur personnel à ces questions. Jean-François Thirion, formateur en gestion du stress et de la violence en milieu hospitalier(1), intervient auprès d'équipes ou de personnes-ressources avec lesquelles il travaille notamment sur le comportement à adopter face à un usager énervé. À travers des jeux de rôle, des études de cas, voire des exercices d'arts martiaux. « Nous travaillons sur la voix, le regard, l'affirmation de soi, explique-t-il. Si l'agresseur sent que le soignant perd ses moyens, il va en rajouter. Par le regard, il faut montrer qu'on n'est pas impressionné et ne pas hausser le ton, sauf dans certaines circonstances précises. » Les participants acquièrent aussi des réflexes de maîtrise de leur respiration destinée à les aider, le moment venu, à ne pas perdre leurs moyens, et ils apprennent à repérer dans une pièce les objets potentiellement dangereux.

Conserver la « bonne distance »

Autre point important : la « bonne distance » à conserver avec les patients, quelle que soit, d'ailleurs, leur culture. Pas facile de rappeler les règles du service et demander le calme dans une chambre quand une nombreuse famille accompagne un patient gitan, par exemple... Jean-François Thirion rappelle aussi quelques principes de base : prévoir des équipes suffisamment nombreuses et expérimentées aux moments et dans les services les plus exposés et mettre en place des « chaînes de sécurité » précisant les personnes à prévenir en cas de besoin.

L'organisation des services, de la sécurité, voire de l'architecture d'un établissement (lire ci-contre) sont également des facteurs de prévention. Mais au-delà, lorsque les faits sont commis, il est du devoir de l'administration de s'en tenir informée et de venir en aide aux agents qui en sont victimes.

Groupes de paroles

Philippe Jean(2), directeur adjoint du centre hospitalier de Pau, préconise ainsi de mettre en place un dispositif systématique de signalement des comportements agressifs, via des fiches remplies par les agents concernés, à l'instar de l'établissement palois. L'AP-HP, de son côté, a lancé l'année dernière une campagne interne sur la violence des patients, des accompagnants et des visiteurs et la façon de soutenir les personnels qui en sont victimes. Elle a aussi publié un guide à destination des cadres sur la prise en charge des victimes d'actes de violence et un autre pour tous les personnels sur la conduite à tenir après une agression.

Aux Hospices civils de Lyon, un observatoire des situations de violence a été créé en 2003 pour recenser les situations rencontrées par les agents et imaginer des solutions. De plus, des groupes de parole ont été créés en pédiatrie. Selon Jean-François Thirion, de tels groupes essaiment peu à peu. Avec ou sans professionnels de l'écoute et de l'aide, ils offrent aux soignants la possibilité de se libérer, autant que possible, d'une violence perçue comme une trahison.

1- Jean-François Thirion est l'auteur, avec le psychosociologue Michel Michel de l'ouvrage Faire face à la violence à l'hôpital, Lamarre, février 2004.

2- Philippe Jean est l'auteur du Guide de la protection sociale des personnels médicaux et hospitaliers, Weka, 2001.

Sécurité

Un arsenal technique...

Aux Hospices civils de Lyon (HCL), le dispositif de garde s'est professionnalisé et la vidéo-surveillance se généralise progressivement à tous lieux sensibles. De petits boîtiers, les PTI (postes de travailleur isolé), portés par les agents travaillant seuls, en particulier la nuit, se déclenchent en cas de perte de verticalité (chute, malaise), de choc ou manuellement et donnent l'alerte, via les ondes radio, à un collègue ou au PC sécurité le cas échéant. Les HCL se sont aussi dotés d'un dispositif d'alerte rapide des forces de police. Enfin, les architectes planchent également sur des solutions « sécurité » au moment de la conception ou de la réhabilitation de locaux en supprimant, par exemple, les coins isolés et les grandes salles d'attente ou en élargissant les comptoirs...

... et Juridique

La loi du 13 juillet 1983 assure les agents hospitaliers de la protection de leur établissement contre les menaces et les agressions et oblige les établissements à réparer le cas échéant les préjudices subis par les agents. Les fonctionnaires sont également protégés, statutairement et pénalement, contre les outrages.

Un protocole d'accord signé en mars 2000 entre des syndicats des personnels hospitaliers et Martine Aubry a débouché sur la circulaire du 15 décembre 2000 consacrée à la prévention de la violence dans les hôpitaux.

conseils

Expliquer et relativiser

« J'essaie de rester calme, souligne Vanessa, d'expliquer au patient pourquoi il attend : il n'y a pas de brancard disponible, le deuxième médecin est en intervention extérieure, on attend des résultats de laboratoire... Même si cela nous met en colère d'être agressé, il ne faut pas le laisser transparaître. » C'est ce qu'Evelyne, auxiliaire de puériculture à la maternité du CH de Bourg-en-Bresse, a approfondi en formation. Pour faire face au mari alcoolique qui violente son épouse juste après une césarienne (et les soignants qui s'interposent), à celui qui s'énerve parce que sa femme n'a pas eu sa péridurale... « Ça ne va jamais assez vite », note-t-elle. Autrefois ébranlée, elle a appris à relativiser. « Si on m'insulte, je n'écoute pas tout de suite, ce qui déconcerte mon interlocuteur. Si c'est un groupe, j'ai appris à me concentrer sur une seule personne et à ne parler qu'à elle. C'est ensuite la seule qui se sent visée, les autres se détournent de la conversation et le ton baisse. Si on reste calme, la personne n'a plus de raison de mal nous parler. »