« Je considère aujourd'hui que l'hôpital connaît une crise » - L'Infirmière Magazine n° 208 du 01/09/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 208 du 01/09/2005

 

Questions à Éric Molinié

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Éric Molinié, membre de la section des affaires sociales du Conseil économique et social (CES), a posé son stéthoscope de septembre à juin sur les entrailles de l'hôpital... Diagnostic : pour répondre à la crise de valeurs que connaissent les acteurs de santé et le monde hospitalier en général, il faut réaffirmer la primauté du soin sur l'économique.

Êtes-vous issu du monde hospitalier ?

Non, je ne suis ni un soignant, ni un administratif hospitalier. Diplômé d'HEC, j'ai commencé ma carrière dans la finance et la gestion. Actuellement, je suis chargé de mission à la présidence d'EDF. Ceci dit, je ne me suis pas engagé dans une étude de l'hôpital public par hasard. J'ai un double intérêt pour le système de santé et l'hôpital en particulier. Le premier, c'est que je suis malade. Je suis atteint d'une myopathie depuis ma naissance. J'ai vécu le parcours du combattant lorsqu'il n'existait pas de consultations pluridisciplinaires. Le deuxième, je me suis engagé dans le monde associatif, notamment à l'Association française contre les myopathies (AFM) de 1988 jusqu'à 2003. Et je suis depuis juin administrateur de l'Association des paralysés de France (APF). De plus, j'ai aussi pris conscience de l'importance de l'hôpital dans le développement de la recherche clinique, j'ai été administrateur à l'Inserm, et au Genepôle. C'est pour toutes ces raisons que j'étais déjà bien connecté à l'univers hospitalier avant ce travail pour le Conseil économique et social. Pour moi, l'hôpital est le noeud gordien du système de santé.

Quelle a été la méthodologie de votre étude ?

Premier principe, nous nous sommes donné du temps. Je voulais réaliser un vrai bilan de l'hôpital public, une sorte de panorama, à l'instar du rapport réalisé par le Conseil économique et social en janvier 1983. Dans un premier temps, je me suis appuyé sur toute la documentation existante pour approfondir mes connaissances, sur les conseils de quelques experts de la section des affaires sociales. Nous avons dressé un plan. Puis, j'ai auditionné des acteurs du service public hospitalier, soit en séance publique avec la section des affaires sociales, soit en privé. Et j'ai visité quelques établissements : l'Hôtel-Dieu du CHU de Nantes, le Samu de Paris où j'ai passé la nuit, la Maison Jeanne-Garnier, l'hôpital Necker, La Pitié-Salpêtrière... Au total, j'ai rencontré et discuté avec plus d'une centaine de professionnels.

Avez-vous auditionné des infirmières ?

Évidemment ! Je les ai rencontrées sur le terrain. À chacune de mes visites d'établissements, j'ai pris le temps d'écouter les équipes soignantes dans leur ensemble.

L'hôpital est en pleine réforme. Pourquoi ne pas avoir attendu 2007 pour dresser ce panorama de l'hôpital public ?

Je crois qu'il y a certaines corrections à faire maintenant sans attendre 2007. Le plan Hôpital 2007 vient apporter des réponses aux défis que connaît l'hôpital public. Mais elles sont encore incomplètes. Et je crois que le plan comporte certains risques. Ainsi la tarification à l'activité (T2A), qui est l'enjeu majeur de cette réforme, apportera plus de transparence, donc normalement une gestion plus efficace des ressources de l'hôpital. Mais ce système de tarification ne résoudra pas le problème du besoin de financement structurel de l'hôpital public, un besoin qui est lié notamment à l'augmentation du nombre de personnes âgées nécessitant des soins longs et complexes, souvent en interaction avec le champ médicosocial et social, et aussi aux révolutions technologiques nécessitant des investissements croissants... Il est à ce titre regrettable que la réforme Hôpital 2007 n'ait pas été dès l'origine replacée dans la réforme plus vaste de l'assurance maladie en 2004.

Donc, l'hôpital est toujours en crise ?

D'une manière générale, l'hôpital est en perpétuelle adaptation depuis cinquante ans. Ceci dit, je considère aujourd'hui que l'hôpital connaît une crise des valeurs. Une crise notamment due au fait qu'il est de plus en plus difficile de répondre à la question : au nom de quoi soigner ? La réponse fut successivement la religion, puis la solidarité et le progrès scientifique. Or aujourd'hui, on comprend que le progrès scientifique n'est ni linéaire ni infaillible, mais plutôt l'objet de phase de gestation, de fulgurance et d'erreurs. L'apparition de nouvelles pandémies, l'affaire du sang contaminé et les difficultés pour venir à bout du cancer en témoignent.

Et la solidarité face aux besoins grandissants se heurte de plus en plus aux contraintes financières. Face à ces remises en cause, c'est le citoyen-patient lui-même qui est « idéologisé » : il n'est plus qu'un « client », qu'un « usager » qui a des droits nouveaux, et qu'un « malade » à qui on doit la vérité.

Le patient devient un « consommateur » de soins face à des « producteurs » et des « techniciens » de soins... Or le patient ne se résume pas à un ensemble de pathologies à traiter. Cette évolution, pourtant légitime sur certains aspects, est mal vécue par l'ensemble du personnel hospitalier.

Et le plan Hôpital 2007 ne répond pas à cette crise ?

Hôpital 2007 apporte des premières réponses mais elles sont incomplètes. Il est nécessaire d'ouvrir de nouvelles pistes de réflexion. Il est nécessaire de réconcilier la tradition humaniste de l'hôpital et l'approche techniciste de la médecine moderne.

Il convient de réaffirmer fortement la primauté du soin sur l'économique. Pour cela, et au-delà de l'adoption un peu formelle chaque année d'une loi de financement pour la sécurité sociale, un véritable débat public doit avoir lieu sur les choix d'allocations de ressources que la nation est prête à consacrer au système de santé, au premier rang duquel figure l'hôpital public.

De plus, les réformes en cours sont perçues de manière confuse sur le terrain. En effet, bon nombre d'hôpitaux vivent en 2005 la deuxième version de l'accréditation, la mise en place à titre expérimental de la nouvelle gouvernance, la nouvelle classification commune des actes médicaux dans le cadre de la mise en place de la T2A, celle-ci mobilisant de nombreux médecins et soignants qui se trouvent privés de temps pour l'exercice de leur métier.

À titre d'illustration, pour pallier cette charge de travail supplémentaire, l'hôpital de Garches (92) a dû dédier une équipe entière transversale de médecins sur ce sujet, pour ne pas pénaliser la vie des services.

Quelles sont les pistes de réformes que vous proposez ?

Il y en a plusieurs dans le rapport, comme doter la T2A d'outils complémentaires pour mieux appréhender les soins palliatifs, la gériatrie, les activités de transmission d'information et de coordination, ou renforcer la formation managériale des directeurs d'hôpitaux. Les postes de directeurs d'hôpitaux pourraient être ouverts à d'autres formations que celle de l'ENSP. Le départ à la retraite de la moitié des directeurs d'hôpitaux publics entre 2005 et 2012 est une formidable opportunité pour engager à ces fonctions des managers formés à cet effet.

D'autre part, à la place du conseil exécutif tel qu'il est décrit par l'ordonnance du 2 mai dernier, je préconise un directoire présidé par le directeur qui aurait des compétences beaucoup plus élargies que le conseil exécutif. J'ajoute que dans ce directoire, j'inclurais le directeur des services de soins infirmiers.

Mais pour résoudre la crise de valeurs ?

Pour cela, le besoin de reconnaissance des personnels de santé doit être pris en compte. Cette reconnaissance passe notamment par le temps apparemment perdu à parler, partager au sein d'un service, temps qu'il est de plus en plus difficile de prendre dans une organisation toujours plus technique, plus fragmentée, plus intensive du fait des efforts de productivité induits notamment par la RTT. La reconnaissance passe aussi par l'affirmation claire du fait que tous les professionnels de l'hôpital, quels qu'ils soient, participent d'une manière ou d'une autre à la prise en charge des patients. D'autre part, la qualité des soins implique la qualité de vie des personnels au travail, condition sine qua non de leur implication vis-à-vis des malades. Cette notion essentielle est déjà prise en compte dans un certain nombre d'hôpitaux étrangers, comme à Genève et dans les « magnet hospitals »(1) aux États-Unis.

Outre les transferts d'activités entre les personnels de santé suggérés dans le deuxième rapport Berland, il convient de donner aux paramédicaux la pos- sibilité d'évoluer vers l'enseignement supérieur et la recherche dans le cadre de « l'universitarisation » des formations paramédicales liée à l'application des accords de Bologne (système LMD) au secteur de la santé, et favoriser l'émergence de la discipline des sciences infirmières.

1- Cf. L'Infirmière magazine, n° 186, octobre 2003, p. 20 et L'Infirmière magazine, n° 185, septembre 2003, p. 20.

EXTRAITS DU RAPPORT

Mission

« L'hôpital public a bien comme mission de "soigner le mieux possible tout le monde, à tout moment et au meilleur coût". Même si le soin est premier dans l'ordre des missions hospitalières, pour soigner "le mieux possible", il est indispensable d'associer de façon consubstantielle le soin à l'enseignement et à la recherche. »

Qualité

« La qualité ne doit pas se limiter au seul champ des soins médicaux, mais être comprise comme la prise en charge globale du patient, celui-ci ne pouvant être résumée à la somme de ses pathologies. »

Équité

« L'équité pose le principe de non-discrimination et de permanence des soins, donc de leur accessibilité à qualité égale. »

Efficience

« L'efficience quant à elle ne peut se réduire au seul rapport coût/efficacité, mais doit impérativement intégrer le rapport bénéfice/risque, et l'utilité de l'acte médical en tant que tel. »

en savoir plus

L'Hôpital public en France : bilan et perspectives. Étude d'Éric Molinié. CES. 2005.

Le Recrutement, la formation et la professionnalisation des salariés du secteur sanitaire et social. Rapport de Michel Pinaud. CES. 2004.