Le jour le plus long - L'Infirmière Magazine n° 208 du 01/09/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 208 du 01/09/2005

 

Maité Gargallo Lopez

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Alors que le 7 juillet londonien ravive le douloureux souvenir du terrorisme, Maité Gargallo Lopez évoque le 11 mars 2004, son triste jumeau madrilène. Ce jour-là, 24 heures durant, l'infirmière urgentiste et toutes les équipes de l'hôpital Gregorio Marañón ont secouru les victimes de la gare d'Atocha.

« Ce jour-là, nous assistions à la réunion quotidienne qui a lieu tous les matins à 8 heures avec les chefs de service. Tout était normal. Soudain, les premiers blessés ont commencé à arriver. À cet instant-là, aucun de nous n'a eu la moindre idée de ce qui se passait à la gare, à deux kilomètres de notre hôpital. »

« Ce jour-là » incarne dans la bouche de Maité Gargallo Lopez le 11 mars 2004 et les terribles attentats qui ont secoué Madrid. La gare qu'elle évoque est celle d'Atocha, au coeur de la capitale espagnole. Cette brune au visage racé est responsable des infirmières du service des urgences de l'hôpital Gregorio Marañón, le centre hospitalier le plus proche de la cible terroriste.

Près de 200 morts

Le 11 mars 2004, trois jours avant les élections législatives espagnoles, dix bombes explosent à Madrid. Elles provoquent 191 décès et blessent 1 900 personnes. Le pays plonge dans l'effroi. Les premières informations émanant du ministère de l'Intérieur espagnol mettent en cause le groupe séparatiste basque ETA. Mais très vite, certains médias doutent du bien-fondé de ces accusations. Al Qaïda a mis à exécution ses menaces : frapper les alliés des États-Unis dans l'occupation de l'Irak. Les Espagnols ont payé très cher le soutien de José Maria Aznar à une guerre à laquelle le peuple, dans sa très grande majorité, était opposé.

Pour Maité, ce 11 mars restera gravé comme l'une des plus longues journées de sa vie. « En voyant arriver tous ces blessés, nous avons d'abord pensé à un important accident de la circulation. Mais la plupart des victimes arrivaient en taxis. Tous ces gens qui surgissaient nous expliquaient qu'un événement grave venait de se produire du côté de la gare d'Atocha, d'où transitent les trains de banlieue. Ils nous disaient que c'était énorme. » Effectivement, la première bombe de cette vague d'attentats avait éclaté à 7 h 50. Ces victimes étaient les premières qui avaient réussi à sortir des décombres.

Un vacarme assourdissant

Mais à ce moment-là, dans le service, personne ne comprend ce qui se passe. Les sirènes commencent à hurler dans la ville. Très vite, l'une des grandes artères menant de l'hôpital à la gare est bloquée à la circulation. Seuls les ambulances, les camions de pompiers et les véhicules de police l'empruntent. Le vacarme est assourdissant. « Nous avons mis immédiatement en place le plan d'urgence de l'hôpital, raconte Maité. Nous le connaissions tous, il était prévu mais nous l'utilisions pour la première fois. Il a fallu commencer par une évacuation de tout le service. Nous avons monté tous les patients aux étages. Tous ceux qui pouvaient marcher sont partis seuls. La place devait être complètement libre pour accueillir toutes les victimes qui affluaient déjà à la porte et dans les couloirs. À 8 h 30, tout le service était intégralement vidé. Une pièce a été réservée aux patients les plus gravement atteints. »

Des équipes obstinées

L'infirmière-chef se souvient de la cohue, les victimes en sang complètement éberluées et les anonymes venus prêter main forte dès que la nouvelle d'un grave attentat s'est répandue dans la ville. Dès 10 h 30, le service était bondé. « Heureusement que tout est arrivé à 8 h 30 car c'est l'heure à laquelle les deux tours se rejoignent. Ceux de la nuit sont donc restés pour gonfler les effectifs. »

Dans ce service qui compte en tout 33 infirmières, la garde de nuit composée de quinze personnes est restée soutenir les 21 infirmières arrivées le matin. « Nous avons eu énormément de brûlures, de traumatismes thoraciques ou d'amputations. Les blessés les plus légers laissaient leur place. Sur le coup, le vrai problème a été le manque de matériel. Vu le nombre de victimes qui ne cessaient d'arriver, nos stocks diminuaient à vue d'oeil. Mais en deux heures, les services centraux nous ont fait parvenir tout ce qui risquait de faire défaut. »

Maité insiste sur la motivation des équipes, l'obstination de chacun à accomplir son travail. « Toutes les infirmières des autres étages sont venues nous aider. Celles qui ne travaillaient pas ce jour-là sont arrivées aussi. On a vu débarquer un infirmier arrivé par le train depuis Barcelone, un Africain est même venu spécialement nous prêter secours ! »

L'angoisse des familles

C'est seulement tard dans la matinée que tout le personnel soignant a compris, ou levé la tête, et réalisé qu'il s'agissait d'un attentat terroriste. Jusque-là, personne n'avait pris une seconde pour réfléchir à la cause d'une telle catastrophe. « Ce jour-là, nous avons travaillé 24 heures sur 24 sans nous reposer une minute. Ensuite, nous avons tous ressenti le besoin d'un appui psychologique pour évacuer ce que nous avions vécu. Pendant tout ce temps, nous ne savions rien sur l'origine du problème. Quand nous avons compris que ce n'était pas un accident mais un attentat, nous étions tous bouleversés. Vous savez, moi j'ai été très choquée en voyant les images à la télévision, le train éventré et tous ces débris partout. Comme dans tout service d'urgence, nous sommes habitués à voir beaucoup d'accidentés de la route. Mais là, c'était autre chose. Nos familles nous appelaient pour savoir où nous étions et nous informer de la situation. »

Une autre conception du métier

Pour Maité et ses collèges, le plus douloureux a été de faire face à l'arrivée des familles des victimes. Beaucoup étaient sans nouvelle de leur proche depuis des heures. Certains faisaient le tour de tous les hôpitaux de la ville et ne les trouvaient pas. « Des mamans cherchaient leurs enfants partout. Ici, dans le service, nous avons eu cinq morts. La plupart des victimes sont arrivées sans aucun papier sur eux, elles avaient perdu toutes leurs affaires. Beaucoup étaient inconscientes et il était difficile de les identifier. »

Le plan d'urgence a pris fin le soir même. En 24 heures, tous les patients ont été répartis dans les services adaptés. Les urgences ont alors repris leur fonctionnement habituel. Mais tous les personnels présents ce 11 mars 2004 ont vu leur conception du métier et de l'existence en général bouleversée.

« Maintenant, chaque fois qu'il y a une grosse situation d'urgence, on se trouve plus nerveux, s'étonne Maité. Ce genre d'événements permet de se rendre compte de ce qui est vraiment important dans la vie. »

moments clés

- 1990 : Maité Gargallo Lopez obtient son diplôme d'État à l'université en soins infirmiers de Alcala de Henares. Elle débute en médecine interne.

- 1999 : Maité rejoint le service des urgences de l'hôpital Gregorio Marañón.