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L'Infirmière Magazine n° 208 du 01/09/2005

 

l'équipe de soins d'une unité mère-bébé

24 heures avec

Créée en France en 1979, l'unité médicopsychologique pour la mère et l'enfant du centre hospitalier intercommunal de Créteil (94) accueille les jeunes mères (et leurs enfants) en proie à des souffrances psychiques, souvent causées par la grossesse. Visite.

Il est 6 h 30 ce matin. La première infirmière de jour, Aline, pousse la porte de l'unité mère-bébé installée depuis peu dans des locaux flambant neufs, à deux pas du nouveau bâtiment de pédiatrie du centre hospitalier intercommunal de Créteil, en région parisienne.

Aline salue sa collègue de nuit, en profite pour lui demander comment se sont passés le coucher et la nuit des mères et des bébés, reçoit les consignes pratiques quant aux prochains biberons des enfants. Puis elle prépare les traitements médicamenteux des mamans.

Ces patientes, en hospitalisation libre, souffrent de troubles psychiques consécutifs à leur grossesse, psychose puerpérale ou grave dépression du post-partum. Elles viennent de tous les milieux socioculturels. Certaines sont aussi de jeunes mamans psychotiques qu'il est nécessaire d'accompagner dans l'établissement de la relation mère-enfant. « C'est un immense bouleversement pour une femme de mettre au monde un enfant. Dans les deux ou trois premiers mois après l'accouchement, toutes les mamans sont en état de grande vulnérabilité, et c'est cette vulnérabilité qui va leur permettre d'être aussi dévouées et disponibles pour leurs nouveau-nés. Mais cet état de fait peut aussi conduire à de graves dépressions, voire des états psychotiques aigus, dits psychose puerpérale, avec une difficulté de la relation mère-enfant. Le sentiment maternel n'est pas quelque chose d'inné », explique Blanche Massari, pédopsychiatre et responsable de l'unité mère-bébé.

Café et tartines

Après un rapide tour du service, Aline aide les deux agents hospitaliers à préparer le petit-déjeuner. À 8 heures, elle réveille les trois mamans hospitalisées pour les inviter à partager café et tartines. Les patientes sortent de leurs chambres, disposées tout autour de la grande pièce chaleureuse et lumineuse de l'unité. Cette immense salle centrale comporte un coin salon, avec télévision et magazines pour les mamans, un espace pour les bébés, avec des jeux d'éveil et des transats, et une grande cuisine pour les repas. L'équipe soignante déjeune avec les mamans autour d'une grande table. « Ce sont des repas thérapeutiques, qui permettent d'échanger avec les mamans autrement que dans un bureau de consultation », explique Aline. À 9 heures, la collègue d'Aline, Stéphanie, prend son service. Certains bébés se sont réveillés : c'est l'heure du biberon et des changes. Les infirmières et les mamans vont les chercher dans la nurserie. Afin de préserver le repos de leurs mamans, les enfants dorment dans une chambre réservée à cet effet. C'est dans la grande pièce de vie que les mamans et leurs bébés se retrouvent pour des câlins et des jeux, sous l'oeil attentif des infirmières de l'unité.

Manque de confiance

Les infirmières de l'unité mère-bébé ont un rôle relationnel très important. Il s'agit d'accompagner les jeunes mamans dans les soins prodigués à leurs bébés : bains, biberons et changes. Mais aussi de les valoriser dans leurs capacités maternelles. L'objectif principal étant la mise en place d'une relation mère-enfant de qualité. « Nous sommes toujours présentes lors des soins qu'elles donnent à leur enfant, de façon très rapprochée au début de l'hospitalisation puis plus en retrait lorsque les mères vont mieux. Beaucoup de ces mères manquent de confiance en elles, notre présence les rassure et nous pouvons intervenir en cas de problème. Ce qui est parfois difficile, c'est de trouver la juste distance, les accompagner sans se substituer à elles », précise Stéphanie. Les infirmières sont aussi disponibles pour parler avec les femmes, qui, si elles le souhaitent, peuvent s'entretenir individuellement avec elles dans le petit bureau infirmier qui jouxte la pièce de vie.

Placements rares

Outre cette présence rassurante et cette disponibilité, les soignantes ont un rôle d'observation et d'évaluation puisqu'elles partagent le quotidien des mères. « Nous transmettons aux médecins nos observations quant à l'évolution de la relation mère-enfant. Lorsque la pathologie de la maman peut être dangereuse pour la sécurité de l'enfant, l'unité peut aussi préparer un placement en accompagnant la maman et le bébé dans cette séparation », ajoute Aline. Les placements sont heureusement rares, et dans la très grande majorité des cas, les mamans ressortent au bout de deux à trois mois d'hospitalisation avec leurs bébés pour reprendre une vie normale. La mission des infirmières de l'unité mère-bébé consiste aussi à les accompagner vers cette sortie. « Les mamans ont parfois du mal à sortir. Ici, elles se sentent en sécurité. Nous commençons par quelques promenades à l'extérieur, dans l'hôpital, puis nous allons au marché avec les mamans et les bébés. Ensuite, nous les encourageons à sortir seules », poursuit Aline.

Repas thérapeutique

Le rôle infirmier prend également toute sa place dans le travail clinique de l'équipe autour des mamans et de leurs enfants. Les infirmières participent à la grande majorité des consultations avec les médecins de l'unité. Ces co-consultations infirmières/médecins sont destinées aux mères, seules ou accompagnées de leurs bébés, mais aussi au père, et plus largement à l'entourage familial. « Les infirmières sont presque toujours présentes lors des entretiens. C'est un travail commun, un vrai partage du terrain clinique entre les infirmières et les médecins », précise Blanche Massari. À 12 h 30, comme chaque jour, c'est l'heure du déjeuner, là encore partagé avec les infirmières et les agents hospitaliers de l'unité. L'une des mamans a quitté l'établissement. Il ne reste guère que Leïla et Isabelle, deux mères, qui prennent place à table. La petite fille d'Isabelle, Julie, deux mois, dort encore, tandis que le fils de Leïla, Alan, trois mois et demi, est dans son transat entre sa mère et une infirmière. Le repas est convivial, on parle de tout et de rien. Isabelle s'exprime beaucoup, Leïla se tait. À ses côtés, le petit Alan s'agite. Sa mère ne le regarde pas, perdue dans ses pensées. Soudain, Leïla se lève, veut quitter la table, mais Aline la retient auprès de son bébé. Elle parle avec le petit Alan, qui babille joyeusement, et encourage Leïla à regarder son fils, à lui parler.

Blanche Massari se joint aux convives et partage leur dessert. Alan pleure. La pédopsychiatre se penche vers lui, lui parle. « Oui, c'est cela, je comprends, tu veux les bras de ta maman », lui dit-elle doucement. Et Leïla se décide à prendre son enfant dans les bras, le regarde, le caresse. Alan est fatigué. Il ira se coucher quelques minutes plus tard après les câlins de sa maman.

Pathologies psychosomatiques

Les deux bébés dorment. C'est l'heure de la réunion d'équipe avec les infirmières, les médecins du service et Ruth : art-thérapeute, elle intervient une fois par semaine dans l'unité pour animer un atelier. Sophie, l'infirmière puéricultrice de l'unité arrivée en début d'après-midi, rejoint ses collègues pour la réunion. Cette rencontre professionnelle est l'occasion de faire le point : on y discute de l'état des patientes, des activités en atelier d'art-thérapie, du comportement des bébés. On aborde aussi d'autres sujets, comme, par exemple, la PMI du secteur de psychiatrie adulte à contacter... « Les bébés de ces mamans présentent souvent une kyrielle de pathologies psychosomatiques. Certains ont des troubles de l'alimentation ou du sommeil, d'autres sont hypertoniques ou au contraire hypotoniques, en relation ou en retrait. Mais il y a aussi des bébés qui vont bien », souligne Blanche Massari. Après une bonne heure d'échanges avec les médecins, les soignantes rejoignent les mamans. Le petit Alan est de nouveau réveillé. Leïla veut lui donner un bain, avant de partir en atelier d'art-thérapie. La maman et le bébé, accompagnés de Stéphanie, infirmière, se dirigent dans la salle de bain. Leïla déshabille son fils avec attention, pendant que Stéphanie parle au bébé, le rassure. Concomitamment, elle encourage Leïla à parler à son enfant. La maman le savonne doucement, le plonge dans l'eau tiède. Alan regarde sa mère avec de grands yeux émerveillés, Leïla lui sourit, lui parle doucement. Stéphanie s'écarte légèrement pour ne pas gêner ce moment d'intimité et de communication entre la mère et l'enfant... La troisième maman, Olivia, vient de rentrer de son déjeuner à l'extérieur avec son petit Hugo. Elle raconte aux autres femmes sa journée, semble angoissée à l'idée de devoir quitter l'unité dans laquelle elle a été hospitalisée plusieurs semaines avec son enfant. « J'ai un autre enfant, je n'avais pas eu de problème. Mais là, je ne sais pas pourquoi, cela a été difficile avec Hugo, né prématuré. C'est peut-être parce que le jour même de l'accouchement, j'ai perdu une personne très proche. J'ai un travail, un mari, mon premier enfant m'attend. Il faut bien un jour rentrer chez soi, même si ce n'est pas très facile », confie Olivia.

Émotions extrêmes

Vers 16 heures, l'art-thérapeute vient chercher les mères pour les accompagner dans l'atelier. Sophie, infirmière puéricultrice, reste la seule infirmière avec les bébés. Elle s'enquiert du nombre de biberons nécessaires, du change des bébés... Puis elle couche Alan et jette un oeil sur la petite Julie, qui a passé sa journée à dormir. « Julie dort beaucoup lorsque sa maman ne va pas bien », observe-t-elle. Elle reste un long moment avec Hugo à parler et à jouer, jusqu'à ce qu'Alan se réveille en hurlant : il réclame son biberon ! Alan se jette sur le biberon que lui tend l'infirmière, avant de se raidir et de se projeter en arrière dans un hoquet, la bouche pleine de lait.

« Alan, c'est un bébé qui manifeste sa souffrance par une symptomatologie habituelle que l'on retrouve chez les bébés de cette unité. Il est insomniaque, pleure beaucoup, il se jette sur son biberon avec une grande voracité, comme s'il voulait remplir le vide que lui renvoie sa maman. Sa mère est très fusionnelle, elle veut toujours le prendre dans ses bras, mais en même temps, elle est toujours ailleurs », précise Sophie. Sophie travaille dans l'unité depuis plus de quatre ans. C'est la plus ancienne des infirmières. Elle a vécu les moments difficiles de l'unité : la pénurie infirmière sur l'ensemble de l'établissement qui a entraîné pendant un temps la fermeture de l'unité, puis sa réouverture en hôpital de jour. « Voir des mamans qui vont mal avec leurs bébés dans les bras est source d'émotions. Cela nécessite une grande motivation pour la singularité des soins », commente Blanche Massari. L'infirmière restera ce soir jusqu'à 21 h 30. Elle sait d'avance que la soirée ne sera pas facile. « Le soir, après le dîner, les mamans ont toujours beaucoup de choses à dire. Elles sont souvent angoissées lorsque la nuit arrive et que la dernière infirmière quitte le service », explique-t-elle. Pour des raisons personnelles, Sophie a choisi de quitter la région. « Mais c'est passionnant de travailler ici avec les mamans et les bébés », conclut-elle.