Surveiller la plaie du pied diabétique - L'Infirmière Magazine n° 208 du 01/09/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 208 du 01/09/2005

 

soins

Conduites à tenir

Les plaies du pied sont une complication fréquente et grave du diabète. Outre des soins adaptés, le soignant doit prodiguer des conseils éducatifs liés à l'équilibre glycémique, l'entretien et la surveillance podologiques.

Le diabète engendre fréquemment des plaies du pied. 5 à 10 % des diabétiques seront en effet victimes d'une amputation d'orteil, de pied, ou de jambe consécutive, dans 80 % des cas, à la mauvaise évolution d'une plaie chronique du pied. Or, la plupart du temps, les plaies du pied chez le diabétique sont découvertes fortuitement lors d'une consultation. L'absence de douleur due à la neuropathie sous- jacente(1) conduit le patient à sous-estimer la gravité potentielle de la plaie et à négliger sa prise en charge. Au-delà des soins qui s'imposent (prélèvements, mise en décharge, soins locaux, traitements médicamenteux), la conduite à tenir doit également prendre en compte la prévention secondaire en intégrant des rappels éducatifs concernant l'équilibre glycémique, l'entretien des pieds et la surveillance podologique. Autrement dit, la prise en charge doit s'articuler autour des soins, de l'éducation et de la prévention.

SOINS

Prélèvements. Dès l'arrivée du patient, si celui-ci présente des signes généraux ou des signes d'infection profonde, des prélèvements bactériologiques profonds doivent être réalisés pour pouvoir adapter, à réception des résultats, l'antibiothérapie large mise en place d'emblée. Après avoir dégagé la plaie avec une compresse sèche, un cathéter est introduit profondément dans la plaie et le prélèvement réalisé par aspiration à la seringue. Le cathéter est ensuite envoyé directement au laboratoire pour analyse.

Mise en décharge. L'arrêt de l'appui doit être immédiat et total. La mise en décharge stoppe l'aggravation de la plaie et améliore la cicatrisation. Elle doit s'accompagner des explications justifiant cette mesure incontournable. Une plaie non mise en décharge ne peut pas guérir. Toutefois, il est important d'accompagner cette mesure des moyens facilitant les déplacements pour préserver la marche (elle conserve la trophicité musculaire) et l'autonomie du patient : plâtre de décharge (avec rembourrage en coton afin d'éviter les plaies sous plâtre) ; chaussure Barouk® sans avant-pied ; chaussure Sanital® sans talon ; découpage de la chaussure au niveau de la plaie afin d'éviter tout risque de frottement ; cannes anglaises ; déambulateur. Chez les sujets âgés, il convient de s'assurer, le cas échéant par un travail de rééducation associé, que ces moyens sont bien adaptés et permettent de concilier la mise en décharge et la déambulation en toute sécurité pour les patients.

Soins locaux. Ils doivent être réalisés par des infirmières formées à la prise en charge de ces plaies car on ne fait pas un pansement de pied diabétique comme on fait un pansement de plaie chronique classique. Devant une plaie du pied chez un diabétique, la règle pour obtenir une évolution optimale de la cicatrisation consiste à réaliser le pansement sur un pied propre, à éviter les désinfectants de type Bétadine® pour ne pas anéantir totalement la flore microbienne indispensable à la cicatrisation, à renouveler les soins selon une périodicité adaptée au pansement utilisé, tous les jours pour certains, tous les deux jours pour d'autres et à ne pas changer le type de pansement avant de l'avoir testé sur une durée suffisante (huit jours minimum) pour juger de son efficacité. En pratique, la réalisation du pansement suit les quatre étapes ci-après.

Lavage. Laver le pied avant la pose du pansement et avant chaque renouvellement. Ce lavage à l'eau et au savon avec un gant de toilette assainit la plaie et stimule la circulation sanguine. Un pied propre est d'emblée plus facile à soigner. Veiller à ce qu'il soit bien séché.

Nettoyage. Nettoyer la plaie au sérum physiologique. Ce nettoyage peut être réalisé au karcher médical, ce qui présente l'intérêt de stimuler la vascularisation de la plaie et d'amorcer sa détersion mécanique. En l'absence de karcher médical, la douchette de la douche peut être utilisée.

Détersion. La détersion mécanique est préférée à la détersion chimique. Elle permet d'enlever à l'aide d'une curette les petites peaux et la fibrine, le bistouri étant réservé à l'hyperkératose généralement abondante dans ce type de plaie.

Déterger une plaie au bistouri est délicat et nécessite une main experte pour ne pas déraper et léser les bourgeons au risque de retarder la cicatrisation de plusieurs jours. Son emploi doit être parfaitement maîtrisé, surtout en cas d'artérite.

Pansement. Le choix du pansement dépend de l'état de la plaie : exsudative, fibrineuse, sale, propre, bourgeonnante. La réfection quotidienne du pansement est discutée. Si certains la conseillent au motif qu'elle favorise la cicatrisation, d'autres la réfutent estimant qu'une réfection quotidienne n'est justifiée qu'en cas de plaie exsudative car refaire un pansement tous les jours risque d'arracher les bourgeons et de retarder la cicatrisation.

« Lorsque la plaie bourgeonne, un pansement à base de tulle gras de type Jelonet® ou Adaptic® peut être refait tous les deux jours », indique Édith Boucher, infirmière experte de la consultation pied diabétique à l'hôpital de Saint-Nazaire. Il est également très important de recouvrir le pansement d'une compresse stérile maintenue par une bande fixée par recouvrement pour éviter de léser la peau.

« Jamais de Sparadrap® sur une peau diabétique ! », insiste Édith Boucher.

Traitements médicamenteux. Une antibiothérapie probabiliste à large spectre doit être administrée s'il existe des signes infectieux extensifs locaux (suintement, rougeur périphérique, voire traînée rouge, lymphangite et/ou oedème, plaie qui se creuse) ou des signes généraux. Elle est d'autant plus importante qu'une artérite est en cause car l'infection non contrôlée peut décompenser l'ischémie et provoquer des réactions ischémiques subaiguës. En revanche, il n'y a pas d'indication à prescrire une antibiothérapie si la plaie est superficielle, propre, sèche ou modérément enflammée (mal perforant par exemple). Chaque service peut avoir son propre protocole d'antibiothérapie. Parmi les associations préconisées, il est possible d'utiliser : Augmentin® + Pyostacine® ou Augmentin® ou Bactrim® + Flagyl® ou Tazocilline® si le malade a été hospitalisé dans l'année précédente. Dès réception des résultats microbiologiques, l'antibiothérapie doit être ciblée sans chercher à couvrir les germes commensaux.

Un traitement anticoagulant doit être discuté et peut être mis en place sur prescription médicale. Il sera instauré à visée préventive en cas d'immobilisation temporaire du patient ou curative en cas d'artérite sévère.

Si la vaccination antitétanique n'est pas à jour, il est indispensable de faire un rappel ou une injection de globulines antitétaniques suivie d'une revaccination en règle.

ÉDUCATION

Plusieurs messages essentiels doivent être délivrés au malade :

- un bon contrôle glycémique favorise la cicatrisation et justifie parfois d'instituer une insulinothérapie que les soignants auront à expliquer, commenter et contrôler ;

- un pied insensible est un pied en danger car il n'y a plus de signal d'alerte ;

- une bonne hygiène des pieds (elle inclut les soins d'hygiène et le chaussage) est indispensable pour éviter les effets de macération, en particulier la survenue de mycoses interdigitales à l'origine d'inflammation et à terme de fissures propices à l'infection ;

- une atteinte cutanée du pied (ampoule, mycose, rougeur, plaie) n'est jamais banale et nécessite une réaction immédiate.

Chaque message entraîne des actions qui s'inscrivent dans une démarche de prévention secondaire mais qui valent aussi en prévention primaire pour tout patient diabétique à risque podologique n'ayant jamais présenté de lésions.

PRÉVENTION

Ces actions s'articulent autour de deux axes : équilibrer le diabète et prendre soin quotidiennement de ses pieds.

Les soignants doivent rappeler à loisir ces conseils de prévention, sachant que l'auto-contrôle glycémique et l'auto- surveillance des pieds permettent, lorsqu'ils sont associés, de réduire la fréquence des amputations des membres inférieurs de 50 % !

Équilibre glycémique. L'équilibre glycémique, nécessaire à la guérison immédiate de la plaie est aussi très important car il participe à la prévention des récidives. C'est aussi le seul moyen pour tous les patients diabétiques d'éviter les autres complications du diabète. Il passe par l'auto-contrôle glycémique. Deux glycémies sont particulièrement importantes à surveiller : la glycémie du milieu de matinée (souvent la plus élevée) et celle de fin d'après midi (19 h).

En effet, une glycémie inférieure à 1,26 g/l (7 mmol/l) à cette heure de la journée correspond à une HbA1c inférieure à 7 % selon les normes de l'American Diabetic Association et de l'Anaes. En phase aiguë, ce contrôle doit être quotidien jusqu'à normalisation de la glycémie et guérison de la plaie. En cas de diabète instable, un contrôle quotidien est préférable et peut être espacé si l'équilibre est stabilisé durablement.

Surveillance. Surveiller quotidiennement ses pieds en les observant et en comparant les sensations au niveau de la plante des pieds et de la paume de la main. S'assurer que le patient est physiquement en mesure de réaliser cette surveillance et la déléguer si nécessaire à une personne de l'entourage, voire à une infirmière à raison de deux à trois passages par semaine.

Entretenir ses pieds tous les jours : les laver avec du savon pur surgras (pas de savons à base d'alcool) ; éviter les bains de pieds de plus de 5 min (un pied détrempé est fragilisé) ; sécher soigneusement les pieds et les espaces interdigitaux ; bannir la chirurgie de salle de bains : pince courbe, ciseaux pointus, limes en fer ; retirer la kératose à l'aide d'une pierre ponce naturelle ou faire appel à l'infirmière ou au pédicure ; ne jamais utiliser de crème corricide ; en revanche, hydrater les pieds avec une crème spéciale pieds ; veiller à la qualité et au confort des chaussures.

Consulter le médecin dès qu'une plaie apparaît. Sur un pied à risque, une nécrose d'orteil peut se développer en une nuit à la suite d'une simple ampoule ou d'une petite coupure !

En cas de déplacement, les patients éduqués doivent disposer d'une « ordonnance d'antibiotiques de sécurité » précisant les conditions dans lesquelles il faut y avoir recours. Par exemple : à n'utiliser qu'en cas de plaie, si la plaie suinte, si l'orteil ou le pied enfle et/ou rougit... Ceci permet aussi au pharmacien de demander à voir la plaie et de diriger le patient vers un médecin si celle-ci lui paraît justifier un suivi médical.

1- Les diabétiques à risque podologique présentent dans 55 % des cas une neuropathie, dans 10 % des cas une artériopathie et dans 34 % des cas un pied mixte neuro-ischémique. Dans près de 90 % des cas, ces patients ne ressentent donc pas la douleur.

2- Source : Dr Sophie Jacqueminet, « Stratégies devant une ulcération du pied diabétique », Gériatries n° 27, novembre-décembre 2001.