Éviter les erreurs (Première partie) - L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005

 

sécurité des soins

Cours

Apprendre des erreurs, un credo appliqué depuis fort longtemps aux secteurs à risque : aviation, centrales nucléaires, etc. Cette approche est apparue, pour les soins, dans les années 60. Dans certains pays, elle s'est beaucoup développée à l'hôpital au cours des années 90. Elle arrive en France, où elle pourra prendre diverses formes.

Deux études ont montré que les « événements indésirables » concernaient 3 à 4 % des hospitalisations de patients. Elles ont été menées dans le Colorado et l'Utah d'une part(1), à New York d'autre part(2). Parmi ces événements, 7 % dans la première étude et 14 % dans la seconde ont conduit à la mort du patient. Ces études conduites aux États-Unis montrent que la moitié des événements indésirables auraient pu être évités.

LE PRIX DES ERREURS

Ces chiffres ont été rapportés au nombre des admissions dans les hôpitaux des États-Unis, soit plus de 33 millions par an. Chaque année, 44 000 patients mourraient d'une erreur dans ce pays, selon la première étude. Ils seraient 98 000 selon la deuxième. Même en prenant le chiffre le plus bas, l'erreur à l'hôpital tuerait plus que les accidents de voiture (43 500 morts), le cancer du sein (42 000) ou le sida (16 500).

À elles seules, les erreurs de médicaments provoqueraient 7 000 morts par an. Une étude faite dans un hôpital universitaire américain montre que deux patients pour 100 admissions subissent une erreur de médication évitable. Cela entraîne un surcoût annuel de 2,8 millions de dollars pour cet établissement de 700 lits.

Chiffrer le prix des erreurs paraîtrait indécent si ce constat ne donnait des arguments de poids en faveur de la prévention. Le calcul du coût total des conséquences des erreurs doit prendre en compte les gains perdus, la production domestique perdue, les coûts du handicap et des soins. Il se situe entre 17 et 29 milliards de dollars aux États-Unis, plus de la moitié correspondant aux coûts de santé.

DÉFINITIONS DE L'ERREUR

Des définitions concordantes de l'erreur ont été développées, dans de nombreux pays, par les équipes travaillant sur les méthodes ergonomiques visant à les prévenir.

Référence souvent citée, James Reason(3) distingue deux sortes d'erreurs :

- l'action correcte ne s'est pas déroulée comme prévu, il s'agit d'une erreur d'exécution ;

- l'intention originelle n'est pas correcte, il s'agit d'une erreur de planification.

De telles erreurs peuvent survenir à toutes les étapes d'un processus de prise en charge par une équipe ou un réseau pluricatégoriel : diagnostic, traitement, soins, prévention. L'erreur a été aussi définie dans un rapport de la Food and Drugs Administration sur l'erreur médicale aux États-Unis, intitulé L'Erreur est humaine(4). Elle y est présentée comme l'échec d'une action planifiée à accomplir comme prévu ou l'utilisation d'une mauvaise stratégie pour atteindre un but.

UNE ENQUÊTE NATIONALE

En France, l'Enquête nationale sur les événements indésirables graves liés aux soins (Eneis) a été menée dans 292 unités de 71 établissements de santé(5). Elle est coordonnée par le CCECQA (Comité de coordination de l'évaluation clinique et de la qualité en Aquitaine) à Bordeaux. L'échantillon de séjours était constitué de 8 754 patients, suivis pendant une période maximale de sept jours, soit au total 35 234 journées d'hospitalisation. Cette enquête a été réalisée, dans chaque service, par un binôme constitué d'une infirmière réalisant la détection des événements avec l'aide du cadre infirmier du service, et d'un médecin, chargé de les confirmer et de les analyser.

Définitions. Cette enquête porte sur les événements indésirables graves (EIG). L'événement « indésirable » est défini comme « un événement défavorable pour le patient, consécutif aux stratégies et actes de diagnostic, de traitement, de prévention, ou de réhabilitation ». Un événement est considéré comme évitable si l'on peut « estimer qu'il ne serait pas survenu si les soins avaient été conformes à la prise en charge considérée comme satisfaisante au moment de la survenue de cet événement ».

Les EIG ne sont pas nécessairement causés par une « erreur ». Nombre d'entre eux sont « la conséquence de risques inhérents aux processus de soins ». L'appréciation du rapport bénéfice/risque donnant lieu aux décisions de soins peut être jugée satisfaisante. Seuls certains EIG peuvent donc être considérés comme « évitables ».

Dans l'enquête Eneis, les événements indésirables ont été considérés comme graves quand « ils étaient susceptibles d'entraîner une prolongation de l'hospitalisation d'au moins un jour, s'ils pouvaient être à l'origine d'un handicap ou d'une incapacité à la fin de l'hospitalisation ou, bien sûr, s'ils étaient associés à une menace vitale ou à un décès ». Ainsi, cette étude traite des erreurs, mais pas seulement. En outre, elle laisse de côté celles qui n'ont pas eu de conséquences sérieuses ou dramatiques.

Résultats. Au cours de ces 35 000 journées d'hospitalisation observées dans l'enquête, 255 événements indésirables graves, survenus lors de celles-ci, ont été identifiés. Parmi ces derniers, 95 ont été considérés comme évitables, soit 35 %. La majorité des EIG ayant causé une atteinte cutanée (allergies cutanées, escarres), un retentissement psychologique ou des douleurs ont été jugés évitables. Des EIG relevaient ainsi de préjudices psychologiques exprimés par les patients ou leurs proches. Ils étaient notamment causés par « des reports de soins non prévus ou des défauts d'information ». Pour un patient de 57 ans hospitalisé, par exemple, un cathétérisme rétrograde n'a pas été réalisé à cause d'un problème d'étanchéité de l'endoscope découvert après l'anesthésie générale.

Les douleurs évitables peuvent être suscitées « par des retards de diagnostic ou des défauts d'organisation dans la lutte contre la douleur ». Un homme de 20 ans présentait une douleur lombaire liée à une fracture du rachis non diagnostiquée aux urgences. Elle fut donc à l'origine d'un retard de traitement.

Les auteurs citent aussi le cas d'une femme de 96 ans déclarant souffrir de « douleurs intenses non soulagées par le traitement morphinique habituel lors de soins d'ulcères variqueux ».

Ces EIG ne sont pas circonscrits à certains types de service. Ils apparaissent dans l'ensemble des établissements de santé. Mais ils touchent davantage les patients fragiles et âgés.

Analyse des causes latentes. L'enquête Eneis analyse aussi les causes latentes des EIG repérés dans l'enquête. Les causes de 41 événements indésirables ont été analysées. Parmi eux, 35 ont été jugés évitables. Des causes latentes ont été identifiées pour 23 EIG évitables et pour 12 EIG peu évitables.

Parmi ce total de 35 EIG pour lesquels des causes latentes ont été retrouvées, 14 sont survenus dans un contexte de changements récents :

- onze changements concernant l'équipe ;

- deux changements concernant le matériel ;

- deux changements dans l'environnement. Pour un EIG, deux changements différents se sont additionnés.

Principales causes latentes. Les principales causes latentes ont été regroupées en six catégories. Selon les auteurs, les catégories les plus fréquentes sont les « tâches à accomplir », les « facteurs individuels concernant les professionnels impliqués dans la survenue de l'événement » et les facteurs liés à l'environnement. Dans chacune d'elles, les causes ont été classées par ordre décroissant de fréquence. Voici la liste des principales causes latentes d'événements indésirables graves, selon cette enquête.

Facteurs liés aux tâches à accomplir. 26 EIG avec causes latentes repérées :

- absence de protocoles ;

- planification des tâches non adaptée ;

- retard de prestation des examens ;

- défaut d'accessibilité de l'information ;

- difficulté dans la recherche d'informations auprès d'un autre professionnel ;

- protocoles non adaptés ;

- soins ne relevant pas du champ d'expertise du service ;

- protocoles inconnus.

Facteurs individuels. 17 EIG avec causes latentes repérées :

- insuffisance d'échange d'informations entre les professionnels et le patient ;

- connaissances théoriques des professionnels insuffisantes ;

- mauvaise disposition physique et mentale ;

- défaut d'aptitude des professionnels ;

- défaut de qualité de la relation avec le patient ou sa famille ;

- défaut de qualification des professionnels chargés du soin ;

- insuffisance d'échange d'informations entre les professionnels et la famille.

Facteurs concernant l'environnement. 16 EIG avec causes latentes repérées :

- charge de travail importante ;

- fourniture ou équipement non disponible ou inadapté ;

- formation ou entraînement insuffisant des professionnels ;

- conditions de travail difficiles ;

- locaux inadaptés ;

- fourniture ou équipement défectueux ;

- fourniture ou équipement mal utilisés.

Facteurs liés à l'équipe. 12 EIG avec causes latentes repérées :

- défaut de communication interne ;

- collaboration insuffisante entre les soignants ;

- supervision inadaptée des médecins ou des autres personnels ;

- mauvaise composition de l'équipe ;

- conflit ou mauvaise ambiance au sein de l'équipe.

Facteurs liés à l'organisation. 12 EIG avec causes latentes repérées :

- défaut de coordination entre les services ;

- gestion des ressources humaines s'avérant inadéquate ;

- défaut d'adaptation à une situation imprévue ;

- changements récents d'organisation interne ;

- mauvaise définition des responsabilités et des tâches ;

- défaut de coordination dans le service ;

- procédure de sortie du patient inadéquate.

Facteurs liés au contexte institutionnel. 9 EIG avec causes latentes repérées :

- ressources sanitaires insuffisantes ou défectueuses ;

- absence de culture de signalement des situations dangereuses ;

- contraintes financières propres à l'hôpital concerné ;

- sécurité et gestion des risques non perçues comme des objectifs importants ;

- faiblesse des échanges ou des relations avec les autres établissements.

Nous verrons dans le passage suivant que les études ergonomiques sur les erreurs ont conduit à dépasser la recherche d'un fautif pour analyser un ensemble de causes qui concourent à un dysfonctionnement dans un système souvent complexe.

Cette première étude française sur les erreurs à l'hôpital tend à revenir aux approches antérieures qui, ne menant pas assez loin l'analyse des causes, restent focalisées sur la faute. Malgré ces réserves, l'enquête Eneis constitue néanmoins la première évaluation d'une telle ampleur dans ce domaine en France.

ERREURS ET ERGONOMIE

Les premiers travaux sur l'infiabilité datent du début du XXe siècle. Ils ont porté sur les erreurs dans l'aviation militaire. Il fallait expliquer des pertes d'avion survenues sans qu'une défaillance technique ou un tir ennemi n'ait causé l'accident. Les tableaux de bord des avions présentaient des informations importantes comme l'altitude, la vitesse ou l'état du stock de fuel. Les pilotes ne repéraient pas des signaux importants sur le tableau de bord. Ils pouvaient confondre les voyants, interpréter un cadran ou un niveau avec la logique d'un autre, ou encore ne pas bien lire une donnée. On a constaté que des informations présentes n'étaient pas vues. La taille des lettres ou des chiffres ne convenaient pas. Le contraste entre les différentes couleurs ne permettait pas la lisibilité. Certaines zones riches en informations étaient balayées du regard, sans que celles-ci ne soient vues.

L'ergonomie de langue française. Après la seconde Guerre mondiale en France, Alain Wisner a travaillé comme ergonome dans le laboratoire d'ergonomie de la régie Renault, puis est devenu responsable du laboratoire d'ergonomie du Conservatoire national des arts et métiers. Il développe alors les méthodes d'observations ergonomiques précises du travail, afin de comprendre les interactions des différents facteurs dans les modes opératoires mis en oeuvre. Appliquée à l'hôpital et au soin, cette méthode d'observation comprend aussi la consignation de tous les actes effectués, minute par minute, au cours de journées ou de séquences de travail(6). Elle est précieuse pour comprendre le rôle des interruptions, de l'environnement, des activités et des interférences dans les soins. Après la création de sociétés d'ergonomie en 1950 en Angleterre (Ergonomics research society) et en 1959 aux États-Unis (Human factor society), la Société d'ergonomie de langue française (Self) est fondée en 1962.

De la faute à la pluricausalité. Pendant longtemps, l'erreur humaine n'a pas été étudiée. Elle était abordée comme signe d'une « mauvaise » formation de l'agent. Des études plus pertinentes apparaissent dans les années 70, avec les travaux de Faverge, Leplat et Cuny. Elles vont donner lieu à des discussions documentées et à d'importants progrès dans la façon d'aborder la prévention des erreurs.

On a d'abord fait appel aux analyses statistiques des accidents pour établir des liens entre des facteurs liés aux caractéristiques individuelles des accidentés (âge, ancienneté, qualification, formation, etc.), à l'environnement technique et au type d'organisation dans lequel ils survenaient.

Si cette approche permet d'évaluer le niveau global de sécurité d'une organisation, elle ne suffit pas à expliquer le pourquoi et le comment d'un événement indésirable. Elle est inadaptée pour proposer des mesures de prévention qui tiennent compte des besoins des opérateurs.

Les auteurs des premières recherches sur l'erreur humaine se sont d'abord focalisés sur les aptitudes, afin de caractériser les inaptitudes individuelles des agents et prévoir leur prédisposition aux accidents.

Il s'agit de sélectionner les agents dans une perspective psychotechnique. Ces premiers travaux ont fait l'objet de fortes critiques pour des raisons éthiques, pour leur méthodologie (population non homogène, importance relative des risques) et pour la non-prise en compte de facteurs intrinsèques à la situation de travail(7). Cette approche tend en outre à limiter le champ d'analyse de l'événement indésirable, en restant centrée sur l'individu comme élément défaillant, dont on présuppose la responsabilité. L'appréhension sera accentuée en cas d'actions en justice. Cette logique s'attache à souligner la négligence, le manque de discipline, l'inattention, l'inconscience, l'irresponsabilité, la démotivation.

De la multiplication des règles au camouflage. Dejours rappelle que cette approche conduit à un renforcement de la règle et du contrôle, de la discipline et de la sanction(8). Non seulement elle ne permet pas de remonter aux causes d'erreurs, mais elle provoque des stratégies de « camouflage » des erreurs par les agents, qui évitent de risquer d'être rendus responsables de tels événements.

L'étude des erreurs a donc été bouleversée par l'approche systémique. L'homme devient alors un élément d'un système plus complexe, l'accident étant considéré en tant qu'événement particulier du système homme/machine. Ce dernier inclut tous les composants et accessoires nécessaires à l'action comme aux soins, ainsi que l'entretien adapté des matériels, notamment les procédures de contrôle, les affichages, les logiciels, la logique opératoire, les labels et recommandations.

L'erreur n'est plus traitée comme un phénomène à part ou comme le simple produit d'une cause, mais comme la conséquence d'interactions entre les divers composants du système. Ce progrès dans l'analyse ouvre la voie de la pluricausalité des erreurs et des accidents.

Apports et limites des règles. Maintes organisations ont opté pour la production de règles et recommandations nombreuses, afin de renforcer la fiabilité. Mais Leplat(9) a montré que l'élaboration et la mise en oeuvre de règles de sécurité restent des activités délicates, dont la complexité est souvent sous-estimée. Des questions de compatibilité entre ces règles nouvelles et de plus anciennes peuvent se poser. Les règles peuvent avoir été élaborées peu à peu, par additions successives, à la suite d'incidents par exemple, sans que la cohérence entre elles ait fait l'objet d'une réflexion poussée. Elles peuvent avoir été édictées par différents niveaux de la hiérarchie, voire par différentes organisations (sous-traitance...). Elles peuvent générer des contradictions entre les objectifs de production et de maîtrise des coûts d'une part, ceux de sécurité d'autre part.

Leplat rappelle que l'application de règles de sécurité n'a rien à voir avec une simple exécution. Elle nécessite une activité de décision pour établir des compromis entre la sécurité et la somme des tâches à réaliser.

En fonction d'événements non prévus par les règles officielles, les agents vont devoir élaborer de nouvelles règles pour réaliser les tâches qui leurs sont assignées.

L'ARBRE DES CAUSES

La méthode de l'arbre des causes est particulièrement adaptée à l'analyse des dysfonctionnements évitables ayant concouru à la survenue d'une erreur. Le développement de la recherche ergonomique s'est en effet traduit par celui d'outils et méthodes d'analyse comme « l'arbre des causes »(10, 11). Cette méthode a été conçue comme un outil pour l'étude des accidents de travail. Elle s'est beaucoup développée parce que les méthodes plus anciennes d'analyse des accidents ne permettaient pas d'établir des démarches de prévention des risques aussi pertinentes. De nombreuses entreprises l'ont retenue pour mieux appréhender les accidents du travail et lutter contre eux. La méthode permet à un groupe pluricatégoriel de produire une analyse sur des événements indésirables, grâce à sa méthode simple et rigoureuse. Elle est aisément transposable pour l'analyse des erreurs. Elle requiert l'apprentissage d'un système de recueil d'informations et celui de principes d'analyse. Ces derniers sont fondés sur la répétition, à chaque étape du recueil, de la question : « Mais qu'a-t-il fallu pour... ? ».

Le recueil. Le recueil des informations ayant trait à une erreur ou une « presque erreur » doit permettre de décrire son déroulement en termes concrets et objectifs. Cela revient à reconstituer le scénario de l'erreur, afin d'identifier les différentes branches de l'arbre des causes sur lesquelles il serait possible d'agir afin d'éviter qu'elle se répète. Comme pour les accidents, ce recueil devrait toujours s'effectuer sur les lieux même de l'erreur. Il sera réalisé le plus tôt possible après sa survenue.

La personne ou, mieux, le groupe de travail qui effectue la recherche des données sur l'événement, collecte un grand nombre de faits.

Pour éviter d'en oublier, on utilise un cadre d'observation qui décompose la situation en plusieurs éléments.

- L'individu (I), c'est-à-dire les caractéristiques du soignant ayant agi de manière impropre (novice ou non dans le service et avec le matériel utilisé, fatigué ou non, durée de la journée de travail préalable à l'incident...).

- La tâche (T) : l'activité du soignant, ce qu'il fait.

- Le matériel (MA) : les moyens techniques (appareils, machines...), les produits utilisés (médicaments, dialysat, produit sanguin...).

- Le patient (PA) ayant subi l'erreur et ses caractéristiques (âge, connu ou inconnu du soignant, agité ou inconscient, etc.)

- Le milieu (MI) : cadre de travail, bruit, éclairage, température, organisation et relations dans l'équipe...

Lors du recueil des données, on distinguera deux types de faits.

- Le fait inhabituel : fait qui diffère du déroulement habituel du travail, qui ne correspond pas forcément au déroulement théorique et prescrit, mais à une variation.

- Le fait permanent ayant participé à la production de l'erreur.

L'enquête part du fait ultime : l'erreur. Elle ne s'arrête pas aux premières causes trouvées, mais remontera le plus loin possible dans la recherche des dysfonctionnements. Lors de ce recueil, on s'attachera toujours à collecter des faits concrets. On évitera les interprétations et les jugements de valeur.

Construire l'arbre des causes. L'arbre des causes est une représentation graphique de l'enchaînement logique des facteurs qui ont provoqué l'erreur.

Pour construire l'arbre, on utilise le code graphique suivant :

- un rond, pour un fait inhabituel (variation) ;

- un rectangle, pour un fait permanent ;

- une ligne continue, pour une liaison vérifiée ;

- une ligne discontinue, pour une liaison hypothétique à vérifier.

À chaque étape de la constitution de l'arbre des causes, on se pose, de façon systématique et pour chaque fait, les questions suivantes :

- qu'a-t-il fallu pour que ce fait apparaisse ?

- a-t-il fallu autre chose ?

Les réponses à ces questions conduisent, en dessinant l'arbre, à trois types de liaisons :

- une chaîne : un fait et un seul antécédent ;

- une conjonction : un fait et plusieurs antécédents ;

- une disjonction : plusieurs faits et un seul antécédent.

Analyser les causes. La construction de l'arbre peut conduire :

- à exclure certains faits, qui n'ont pas joué de rôle, en fait, dans la production de l'accident que l'on analyse ;

- à s'interroger sur certains points, omis ou examinés de manière insuffisante, durant l'enquête. Ainsi, l'arbre des causes met l'accent sur les relations existant entre les faits, c'est-à-dire l'enchaînement logique de cause à effet. Il ne se contente pas de la succession chronologique des faits dans le temps.

Élaborer des mesures. En travaillant avec un arbre des causes, on réexamine chaque enchaînement de faits, de droite à gauche. On s'efforce de trouver les mesures susceptibles d'empêcher une nouvelle survenue d'événement indésirable, ou d'en diminuer les conséquences. Ces préconisations, ne pouvant relever de la seule bonne volonté de l'infirmière, gagnent à être le fruit d'un travail pluricatégoriel. Une liste de mesures sera ainsi élaborée. Dans un hôpital, il est possible, en recueillant une cinquantaine de fiches issues d'une dizaine de services, de repérer les facteurs de risques les plus fréquents, en ne recherchant jamais à identifier le soignant ayant réalisé, in fine, l'acte erroné. Cela permet d'apprendre des erreurs, sans culpabiliser les soignants, souvent hantés par la crainte de l'erreur, en montrant que des causes similaires occasionnent les mêmes dysfonctionnements. Cela permet surtout de construire une politique de sécurité pour tous. Préconisations et actions de prévention ayant été déterminées, leur suivi sera effectué.

1- Thomas E. J., Studdert D. M., Burstin H. R. et col. Incidence and types of adverse events and negligent care in Utah and Colorado. Med. Care, 2000, 38 (3), 261-271.

2- Brennan T. A., Leape L. L., Laird N. M. et col. Incidence of adverse events and negligence in hospitalized patients : results of the Harvard medical practice study I. N Engl J Med, 1991, 324 (6), 370-376.

3- Reason J. Human Error. New York, Cambridge University Press, 1990.

4- Kohn LT, Corrigan JM, Donaldson MS. Committee on Quality of Health Care in America, To Err is Human : building a safer health care system. Institute of Medicine, Washington, National Academy Press, 2000.

5- Michel P., Quenon J.-L., Djihoud A., Tricaud-Vialle S., de Sarasqueta A.-M., Domecq S., Jaury B., Cases C. Les événements indésirables graves liés aux soins observés dans les établissements de santé : premiers résultats d'une étude nationale, Études et résultats. 2005, 398, 1-15.

6- Estryn-Béhar M., Ergonomie hospitalière : théorie et pratique. 1996, Estem.

7- Faverge J.-M. L'homme agent d'infiabilité et de fiabilité du processus industriel. Ergonomics, 13, 3, 301-327.

8- Dejours C. Le Facteur humain. 1995, Puf, collection « Que sais-je ? »

9- Leplat J. About implementation of safety rules. Safety Sciences, 1998, 29, 198.-204.

10- Cuny X. et Krawsky G. Pratique de l'accident du travail dans une perspective socio-technique de l'ergonomie des systèmes. Le Travail Humain. 1970, 33 (3-4), 217-228.

11- Leplat J. et Cuny X. Les Accidents du travail. 1974, Puf, collection « Que sais-je ? »

Les actes liés aux EIG

Sur les 255 événements indésirables graves de l'enquête Eneis détectés pendant l'hospitalisation, 49 % étaient liés à une intervention chirurgicale et 27 % à des produits de santé, notamment des médicaments (19,5 %). Les infections liées aux soins concernaient 24 % des EIG. Plus du quart étaient des infections du site opératoire (5 %).

Parmi les 47 événements évitables survenus lors de la prise en charge thérapeutique, et pour lesquels une erreur a été identifiée, la moitié étaient la conséquence d'erreurs de réalisation des soins (23 EIG). Il s'agissait aussi d'indications erronées (9 EIG) et de retards dans la mise en oeuvre des soins (15 EIG).

131 unités de 66 établissements combattent les erreurs

Une équipe d'infirmières et de chercheurs de l'université de Caroline du Nord, aux États-Unis, a présenté ses travaux sur les erreurs et les « non-observances » au 1er Congrès mondial sur les systèmes de santé, l'ergonomie et la sécurité du patient, du 30 mars au 2 avril 2005, en Italie, à Florence.

Reprenant les définitions classiques de l'erreur, ils définissent en outre les non-observances (violations). Ce sont « des déviations - non répréhensibles - mais délibérées de pratiques acceptables et nécessaires ».

Parmi les causes possibles de transgressions, ils citent la perception d'une surcharge de responsabilités dans divers domaines, la pression temporelle, des objectifs stratégiques auxquels il faut donner une priorité plus grande.

Pour que ces non-observances causent des échecs ou de mauvais soins, il faut que le soignant :

> adopte sciemment une stratégie qui est incompatible avec le protocole communément accepté pour réaliser cette action ;

> et que l'exécution de cette planification produise une conséquence non intentionnelle qui ne permet pas d'atteindre le but escompté, ou nuit au soignant, au patient ou au système d'organisation.

Ces travaux ont porté sur 131 unités de soins de 66 établissements. Un coordinateur de l'étude était formé dans chaque établissement. Les résultats montrent que les climats favorables à la sécurité ou aux erreurs sont liés à certaines caractéristiques au sein des équipes : la possibilité de discuter ouvertement des erreurs ou non, la charge de travail et une attitude des cadres orientée vers la prévention.

Qu'est-ce que l'ergonomie ?

« L'ergonomie est la mise en oeuvre de connaissances scientifiques relatives à l'homme et nécessaires pour concevoir des outils, des machines et des dispositifs qui puissent être utilisés par le plus grand nombre avec le maximum de confort, de sécurité et d'efficacité. »

Définition de la Société d'ergonomie de langue française.

Les savoir-faire de prudence

Traditionnellement, les experts en sécurité et les managers considèrent que l'essentiel de la sécurité est assuré par un ensemble cohérent et complet de procédures écrites, de recommandations, de prescriptions, et par la stricte observance de celles-ci par les agents. Dans cette logique, une bonne campagne de sécurité revient à marteler les consignes essentielles de prévention des risques et à rappeler aux agents les bons comportements.

À l'inverse, Cru et Dejours, en partant d'études de situations de travail, ont caractérisé des « savoir-faire de prudence » dès 1983. C'est un ensemble d'attitudes, de comportements, de façons d'opérer, qui vont dans le sens de la sécurité. Selon Llory & Llory, ces savoir-faire de prudence sont « constitués d'un ensemble de techniques, de tactiques, de stratégies » qui visent à « assurer pratiquement, concrètement la sécurité dans les conditions de travail ». Ils soulignent que ces savoir-faire concrétisent les demandes de la sécurité prescrite, complètent celles-ci ou la redoublent.

« Human factors »

Aux États-Unis, l'ergonomie s'est développée sous l'appellation « Human Factors ». Elle se fonde sur l'étude de l'usage des matériels et appareils par leurs utilisateurs. Elle implique l'observation et l'analyse des interactions des capacités, des attentes et des limitations humaines avec l'environnement et l'organisation du travail.

Ce nom rappelle que l'ergonomie érige en principe le respect des caractéristiques humaines (human factors) dans la conception des locaux et des organisations. Elle vise à concevoir des matériels, des postes et des organisations du travail que les utilisateurs puissent utiliser avec satisfaction, en toute sécurité, dans des conditions réalistes. Dans le soin, elle atténuera le risque d'erreurs.

Trois types de liens de cause à effet

On bâtit l'arbre des causes de façon progressive, en remontant pas à pas, à partir de l'erreur.

Il peut comprendre trois types de liaisons.

> La chaîne : un fait produit un effet.

> La conjonction : les faits (y) sont des faits indépendants les uns des autres, même s'ils ont contribué à l'apparition de X. Il n'existe aucune relation directe entre y1, y2, y3 et y4. Il n'est pas nécessaire que le chariot n'ait pas de rebord pour que le joint de dilatation ne soit pas plat.

> La disjonction : les faits x1 et x2 sont des faits indépendants l'un de l'autre, même s'ils ont tous deux la même origine y.

Il n'existe en effet aucune relation directe entre x1 et x2. Pour que le déménagement de deux chambres, nécessaire à l'obtention d'une chambre à un lit, se produise, il n'est pas nécessaire que le retard pour l'injection d'un anticoagulant survienne.