Il était une foi(s), à Pogradec... - L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005

 

albanie

Reportage

Orges, jeune garçon albanais, souffre d'insuffisance rénale. Tous les deux jours, depuis deux ans, il passe la frontière pour se rendre dans un hôpital en Macédoine où il subit une dialyse. Carnet de route.

Tout a débuté mi-juillet 2004, quand sur un coup de tête, je décide de suivre deux amies, Maryvonne, Rosalie et ses deux enfants, Carmen et Félix, dans leur périple à destination de l'Albanie, la Bulgarie et la Roumanie.

Pour moi, le voyage a vraiment commencé lorsque nous sommes montés dans un wagon de marchandises en Albanie à Tirana, pour nous rendre à Pogradec, petit village situé au bord du lac Ohrid à la frontière macédonienne. Environ sept heures de trajet pour parcourir 150 km.

Regards intrigués

Dans ce wagon, nous faisons la connaissance d'Ilia, le barman de ce train. Vêtu d'un marcel bleu, il arbore en permanence un sourire tendre et facétieux. Bien vite, il nous offre un café turc dans sa petite cabine. Pendant qu'un homme, affalé sur une banquette, dort à points fermés, dans la chaleur ambiante... Un peu plus loin, Elton, le fils d'Ilia, torse nu, grands yeux clairs, un peu timide, parcourt les wagons avec un carton rempli de sucreries qu'il vend aux passagers.

Des familles de gitans montent et descendent, les hommes boivent accoudés au bar, les enfants chahutent, les femmes assises sur des sacs nous lancent des regards intrigués. Carmen et Félix, assis par terre, les jambes dans le vide, regardent défiler le paysage. Je photographie des voyageurs, que je fais poser sur le mur rouillé du wagon. Des rires résonnent, c'est l'attraction.

Insuffisance rénale

Plus tard, avec l'aide d'un ami parlant un anglais maladroit, nous avons l'occasion de converser plus longuement avec Ilia. Son fils aîné, Orges, âgé de 18 ans, souffre d'insuffisance rénale. Depuis plusieurs années, tous les deux jours, il passe la frontière, afin de se rendre dans un hôpital en Macédoine, pour y faire sa dialyse.

Pogradec : terminus du train. Une vieille gare au bout des rails. Le lac est là, plus imposant que ce que nous avions imaginé. Ilia nous propose de loger chez lui pour la nuit. Il nous guide à travers les ruelles du petit village à flanc de montagne. Des habitants nous sourient.

Maman silencieuse

Nous sommes présentés à la femme d'Ilia, Liliana, petite, mince, les traits tirés, le regard inquiet. Le fils malade, Orges, casquette sur la tête, a la peau mate et sèche. Ce soir-là, Liliana nous a soigneusement préparé le dîner. Puis, alors que sa petite famille part se coucher, elle nous rejoint dans le salon, notre chambre d'une nuit. Elle s'assied sur le bord de mon lit, sans prononcer un mot. Elle reste là, silencieuse, un long moment, à nous écouter et nous regarder.

Deux années d'angoisse

Ilia, lui, ne tarde pas à se confier. « Les premiers signes de dysfonctionnement rénal sont apparus dès ses quatre ans. Les médecins ont diagnostiqué des calculs rénaux. Avec nos petites épargnes, j'ai amené mon fils en Hongrie en 1991 pour les lui faire enlever. Nous y sommes restés sept mois. L'impossibilité de traitement en Albanie nous a contraints à prendre le chemin de la Grèce. En 1994, nous avons traversé la montagne et marché des kilomètres entiers pour arriver à Thessalonique, où Orges a subi d'autres traitements par les rayons. Deux années d'angoisse et de douleurs. Après mon travail, j'accompagnais mon fils à l'hôpital pour les séances de rayons destinées à bombarder ses calculs rénaux. »

Vers la Macédoine

« Au bout de quelque temps, nous sommes revenus en Albanie. De retour au pays, Orges a pu être scolarisé, mais son état de santé a empiré. L'hémodialyse est devenue urgente. Nous avons frappé aux portes du ministère de la Santé pour trouver une solution, sans espoir en retour. Le rêve de transplantation à l'étranger, même si j'étais prêt à donner un de mes reins, n'a pas pu être réalisé. Sans autre solution, la clinique d'hémodialyse de Tirana, la capitale, étant au complet, nous avons dû nous tourner vers celle de Struga en Macédoine, qui a accepté de soigner notre fils. La famille a tout sacrifié pour la survie d'Orges, la fatigue des longs trajets, les problèmes financiers. »

Rituel de survie

« Aujourd'hui, Orges a 18 ans, sa vie est ponctuée par les séances de dialyse qui le maintiennent en vie. Il accomplit trois fois par semaine ce rituel de survie en parcourant les 40 kilomètres qui le séparent de la clinique. C'est tôt le matin qu'il doit quitter le village, muni d'un visa temporaire pour pouvoir traverser la frontière macédonienne. La famille assume tous les frais. Il vient de passer son bac hôtelier à Pogradec, mais n'a pas eu la possibilité de poursuivre ses études plus loin, les traitements lui prenant tout son temps.

Le mardi, le jeudi et le samedi sont toujours les jours de sursis pour Orges, jusqu'à ce que quelqu'un lui offre une meilleure solution pour prolonger ses jours. Des promesses, il y en a eu sans garanties de solution réelle(1). Le ministère de la Santé n'a pas donné d'espoir, nous attendons toujours pourtant. Orges pourrait faire cette opération en France, moyennant 50 000 euros. Il ne reste plus qu'à s'adresser à l'état et aux hommes d'affaires, qui peuvent nous aider à faire cette transplantation, en nous aidant financièrement », conclut le père d'Orges.

Détresse, joie de vivre

Les deux jours que nous avons passés chez eux m'ont semblé hors du temps. Leur détresse et leur joie de vivre m'ont touchée. Il nous fallait poursuivre notre voyage, malgré leur envie de nous garder plus longtemps. Le coeur serré, nous leur avons fait nos adieux à la frontière macédonienne. De retour en France, je décide de repartir seule... -

1- Orges aura 19 ans bientôt. Aujourd'hui, il est toujours sous dialyse. Ses mini-reins ne tiendront plus longtemps. Son père est compatible. Il ne lui manque que l'argent et le visa pour une transplantation en France. Si vous avez la moindre idée pour lui venir en aide, contactez Javotte Boutillier (bjavotte@yahoo.com).