Le méningocoque menace la Seine-maritime - L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005

 

santé publique

Enquête

Depuis 2003, la Seine-Maritime enregistre un taux anormalement élevé de cas d'infection invasive à méningocoque (2,7 pour 100 000 contre 1,16 en France). Principal agent incriminé : le méningocoque de groupe B.

Urgences de Dieppe, 16 h 30, au mois de juillet. Des parents accompagnés de leur enfant arrivent aux urgences. Ce dernier souffre d'une forte fièvre depuis quelques jours, et ses parents soupçonnent une infection invasive à méningocoque, pathologie bien connue dans la région. L'enfant est immédiatement pris en charge par l'infirmière, qui lui applique un masque avant qu'il ne soit ausculté par le docteur Arnaud Dujardin. C'est le médecin urgentiste du Smur, de garde ce jour-là. Après un rapide diagnostic, l'enfant est transféré en pédiatrie. Il s'agit d'une suspicion d'infection invasive à méningocoque (IIM), qui va faire l'objet d'examens plus approfondis, permettant de poser le diagnostic.

Depuis le début de l'année, les professionnels de santé ont eu 30 cas, dont deux décès. « C'est beaucoup mieux qu'en 2003 où nous avions eu 32 cas dont 8 décès. C'était très lourd », se souvient le Dr Claire Sesboüé, médecin inspecteur de santé publique à la Ddass, en charge de ce dossier. Plusieurs bactéries responsables de cette infection des méninges, touchant le cerveau et la moelle épinière, ont été identifiées.

Maladie parfois fatale

Parmi les douze sous-groupes connus, les Neisseria meningitidis A, B, C, Y et W135 sont responsables d'IIM. « On parle d'infection invasive à méningocoque, c'est-à-dire de la présence de la bactérie dans les méninges (méningite), dans le sang (septicémie), ou dans une autre localisation (articulation, péricarde, liquide pleural) ou la présence de taches purpuriques sur la peau », note le Dr Stéphanie Robaday, interne au CHU de Rouen. La méningite n'est qu'une des formes d'IIM, dont les cas les plus graves sont le Purpura fulminans, ou septicémie méningococcique foudroyante, qui peut entraîner le décès.

Les symptômes du Purpura fulminans sont des taches violacées, souvent accompagnées d'un état de choc. Mais cette forme d'infection invasive à méningocoque peut aussi débuter par un état fébrile. Durant l'hiver 2004, Virginie Grenu-Gueit, infirmière au Smur, se souvient d'un jeune patient arrivé aux urgences de Dieppe pour une simple fièvre : « On l'a fait entrer et en l'auscultant, nous avons vu les taches purpuriques, se souvient-elle. Nous l'avons aussitôt "techniqué", en appelant le médecin du Smur. »

Les taches purpuriques sont violacées, punctiformes ou ecchymotiques, d'une dimension variant entre un et plusieurs millimètres. Elles peuvent s'étendre rapidement et prendre un aspect nécrotique. « Elles envahissent souvent les membres inférieurs, les pieds », remarque un infirmier du centre hospitalier de Dieppe. Mais elles peuvent aussi s'étendre très rapidement à l'ensemble du corps, ce qui nécessite toujours d'examiner le patient déshabillé. « L'extension rapide du Purpura ou son aspect nécrotique est un facteur de gravité imposant une prise en charge médicalisée immédiate et une injection d'antibiotique dès le domicile du patient, avant même tout prélèvement », note le Dr Stéphanie Robaday. La septicémie méningococcique se caractérise par un rash hémorragique et un collapsus circulatoire rapide, dont l'issue peut être fatale. Les survivants peuvent avoir de graves séquelles, d'ordre neurologique, sensoriel, des nécroses des tissus pouvant conduire à une amputation.

Urgence médicale

À leur début, les infections invasives à méningocoque peuvent passer presque inaperçues. De simples maux de tête accompagnés d'une légère fièvre peuvent être les premiers symptômes qui poussent les gens à consulter. « Ça peut ressembler à une infection saisonnière banale, sans signes évocateurs d'une infection invasive à méningocoque, explique le Dr Claire Sesboüé. C'est pour cette raison qu'il faut être extrêmement vigilant sur l'évolution. » De l'avis de tous les professionnels de santé habitués à traiter les infections invasives à méningocoque, la rapidité d'intervention est déterminante. La méningococcie est toujours une urgence médicale, souvent prise en charge par les équipes du Smur.

En France, on dénombre une trentaine de décès par IIM, et la létalité de cette affection ne diminue plus depuis plusieurs années. Il semblerait qu'il y ait des tranches d'âge chez les personnes infectées par cette bactérie virulente. Dans le département de la Seine-Maritime, les 15-19 ans sont particulièrement touchés. « C'est une maladie grave et d'autant plus préoccupante qu'elle touche les jeunes. C'est un problème de santé publique ! », souligne le Dr Claire Sesboüé.

« Nous observons globalement deux tranches d'âge, précise-t-elle. Nous avons les tout petits enfants de moins de deux ans et une très grosse représentation des adolescents et des jeunes adultes. » La saison joue également un rôle. Durant l'automne et l'hiver, l'incidence des cas est plus élevée. « En Normandie, la période de mauvais temps commence tôt et s'achève avec le printemps, et nous observons une corrélation des cas au moment des épidémies de grippe », fait remarquer le Dr Claire Sesboüé. Les infections invasives à méningocoque se transmettent par la salive : émissions de postillons, éternuements, baisers. Le temps d'incubation s'étale entre deux et dix jours, avec une moyenne de quatre jours. Céphalées, raideur de la nuque, fièvre, vomissements, photophobie, état confusionnel, sont les symptômes les plus courants qui doivent inciter une personne à venir consulter son médecin traitant ou à se rendre, sans plus attendre, dans un service d'urgence hospitalier. Chaque minute est précieuse.

Masque et gants

Avec la fréquence des cas, les professionnels de santé ont acquis de l'expérience. Lorsqu'une personne se présente aux urgences, avec un symptôme d'IIM, l'infirmière d'accueil et d'orientation prévient immédiatement le personnel soignant. Le patient revêt un masque avant même d'avoir franchi la porte des urgences, tandis que les professionnels de santé qui « techniquent » enfilent masque et gants. Ces simples mesures sont des moyens de prophylaxie applicables aux médecins et infirmières qui prennent en charge un patient. « Le risque majeur, c'est la salive du patient, avec un contact direct par émission de postillons », observe Morgan Vauclin, infirmier au CH de Dieppe. Après un premier diagnostic et selon son état de gravité, le malade est orienté dans un service adapté. Une série de bilans est immédiatement réalisée, pour isoler la bactérie et identifier le sérogroupe : ponction lombaire, hémoculture, recherche d'antigènes solubles dans le LCR, le sang et les urines, et la PCR (polymérase chaîne réaction). « Des prélèvements bactériologiques sont effectués : ponction lombaire, hémoculture sont réalisés pour isoler le germe responsable, mais ne doivent en aucun cas retarder le traitement antibiotique. Si la ponction lombaire n'est pas réalisable, on peut pratiquer une biopsie cutanée », indique le Dr Stéphanie Robaday.

Déclaration obligatoire

Aujourd'hui, la prise en charge des infections invasives à méningocoque fait l'objet de protocoles au niveau national, avec des circulaires réglementaires qui sont le fruit de consensus d'experts. « Les cas d'infections invasives à méningocoque sont à déclaration obligatoire auprès des autorisés sanitaires que nous sommes pour deux raisons, explique le Dr Claire Sesboüé. Tout d'abord pour en assurer le suivi épidémiologique, et parce qu'il est nécessaire de mettre en place dans l'entourage du patient une prophylaxie dans les plus brefs délais, autant que possible dans les 24 à 48 heures après le diagnostic, et en tout état de cause, au plus tard dans les dix jours après le dernier contact avec le cas(1). Lorsque nous sommes en présence d'un cas, nous recherchons dans l'entourage du patient les personnes qui ont été en contact proche, répété et prolongé avec ce dernier », poursuit-elle.

Les personnes ayant été en contact direct sont alors identifiées. « C'est déterminant pour savoir qui doit être traité ou pas, explique le Dr Claire Sesboüé. Parmi les adolescents, population le plus à risque, ces enquêtes sont souvent difficiles. » Entre les amis, les petits copains et copines, celles et ceux qui ne le sont plus, l'analyse des relations est compliquée pour retrouver les personnes susceptibles d'avoir été exposées et appliquer un traitement prophylactique. « On dénombre différents types de méningocoque, les plus fréquents appartiennent au groupe C et B. Il n'existe pas actuellement de vaccination de masse, car le vaccin est actif sur le groupe C et c'est le groupe B qui est de loin le plus fréquent, rappelle le Dr Stéphanie Robaday. Les sujets contacts doivent recevoir un traitement prophylactique par rifampicine orale dans les plus brefs délais. »

Depuis 1987, une souche particulière est responsable des excès d'infections invasives à méningocoque. Très suivie au niveau épidémiologique depuis 1997, le méningocoque de type B est responsable de 90 % des cas en France. Le sérotype B14 P1-7,16 est le plus fréquemment rencontré en Seine-Maritime, et notamment autour de Dieppe, depuis 2003. Cette souche, isolée pour la première fois en 1989 dans ce département, est responsable de l'augmentation d'incidence observée en 1997 et de celle observée depuis 2003.

Aujourd'hui, le nombre de cas d'IIM n'est plus cantonné à Dieppe et ses alentours. Depuis début 2005, on assiste à une étendue des cas liés au sérotype B14 P1-7,16 dans le département de la Seine-Maritime. Ils se sont déplacés dans la région de Fécamp, du Havre et Rouen. « Ce qui est inquiétant, souligne le docteur Sylvie Zahaf, médecin chef des urgences au centre hospitalier de Dieppe, c'est la fréquence des cas. Mais j'ai le sentiment qu'aujourd'hui, les gens sont beaucoup plus informés qu'avant et n'hésitent plus à venir consulter. »

Information, prévention

Face à la fréquence des cas et en l'absence de vaccins contre le méningocoque du groupe B, la Ddass a lancé une vaste campagne d'information et de formation à l'attention du personnel de santé et du grand public. Cette campagne a été réalisée dans un premier temps auprès des médecins généralistes, des pédiatres, dans les centres de protection maternelle et infantile, chez les pharmaciens, en milieu hospitalier, et dans tous les lieux publics où l'on peut trouver des informations sur le thème de la santé. Les autorités sanitaires ont insisté sur la nécessité de posséder de la Rocéphine®, dans la trousse d'urgence des médecins traitants, en cas d'urgence. Le grand public et plus particulièrement les jeunes ont également reçu une plaquette d'information sur les infections invasives à méningocoque. Chaque classe scolaire de la région de Dieppe, primaire, secondaire, a eu connaissance de l'information.

« Avant Noël 2004, une plaquette a été remise à chaque enfant, accompagnée d'une note explicative pour les parents », indique le Dr Claire Sesboüé. Cette même distribution, avec des modalités un peu différentes, a également été organisée dans les villes du Havre et de Rouen. À l'automne 2005, une nouvelle campagne sera diffusée, juste avant l'arrivée de l'hiver où ce département risque de connaitre de nouveaux cas. Ce document, réalisé par la Ddass de Seine- Maritime, les partenaires médicaux, et le ministère de la Santé et des Solidarités, rappelle ce que sont les infections invasives à méningocoque, leurs symptômes, qui appeler en cas de suspicion. « C'est une piqûre de rappel en quelque sorte, glisse le Dr Claire Sesboüé. Nous sommes passés de huit décès en 2003 à deux décès en 2005, même si l'année n'est pas achevée ! Il y a une vaccination des populations en cas de méningocoques A, C, Y et W 135. Nous avons quelques cas de C et de temps en temps du Y ou du W 135. Mais notre problème, c'est le B. C'est pour cette raison que nous restons très vigilants ! »

1- Conformément aux directives de la circulaire DGS/SD5C/2002/400 du 15 juillet 2002.

épidémiologie

LA SEINE-MARITIME TOUCHÉE

Depuis janvier 2004, 699 cas ont été répertoriés sur l'ensemble du territoire français, les Dom-Tom inclus, ce qui porte le taux d'incidence à 1,16 pour 100 000 habitants. Parmi tous ces cas d'infections invasives à méningocoque, 360 cas concernaient le sérogroupe B - soit 51,5 % des cas, 197 le C, 25 le W, 27 d'autres sérogroupes et 90 inconnus. Le département de la Seine-Maritime reste fortement touché, avec une hyper-endémie surtout située sur Dieppe et ses alentours. Dans ce département, en 2005, le premier cas a été répertorié le 5 janvier et le 30e cas avéré le 1er septembre. Paris, deuxième département touché, dénombrait 28 cas en 2004.