Les spécialistes, de quoi au juste ? - L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005

 

Vous

Vécu

Enfin une rubrique tout entière dédiée à votre prose. Empreints d'humour, d'émotion, de tendresse, vos témoignages sont désormais publiés dans la rubrique « Vécu ». Les textes peuvent être adressés via notre messagerie électronique (atronchot@groupeliaisons.fr) ou par courrier. À vos stylos !

Je suis né en avril 2004, qu'ai-je fait avant ? Je ne sais plus, tout ça n'avait finalement pas d'importance, je l'ai su en avril 2004, un lundi. Paris, pour moi, c'était la Tour Eiffel, les Champs-Élysées, pas cet immense bâtiment tout gris ou peut-être d'une autre couleur mais dans ma tête, il était gris. Loin de ma Normandie, près des spécialistes... Spécialistes, de quoi au juste ?

mine renfrognée

En avril 2004, je suis tombé malade, quelques mois après, je suis allé à Paris me faire soigner par des spécialistes. Ma mère est infirmière, elle m'a dit que c'était mieux, tout le monde m'a dit que c'était mieux, sauf Élise, ma petite soeur, mais elle a 12 ans, et on ne l'a pas beaucoup écoutée, sauf moi, car ça m'arrangeait.

Les spécialistes ont une mine renfrognée, parlent peu et pourtant on les écoute beaucoup. J'ai fait comme tout le monde, j'ai écouté les spécialistes, et comme ils parlaient peu, j'ai surtout regardé. Hiérarchie des silences, hiérarchie des spécialistes, certains manient le bistouri, d'autres non, mais les vrais spécialistes, je l'ai compris plus tard, ne se salissent pas les mains. Tels des juges de paix, ils observent, toisent, scrutent et rendent leur sentence, implacable. Au début, on serait presque flatté de susciter autant d'intérêt, surtout chez une personne aussi unanimement respectée. Cependant, on déchante bien vite.

brève apparition

L'intérêt du spécialiste décroît très rapidement. Après son jugement lapidaire, comme s'il avait peur de changer d'avis, on ne le voit plus. Hospitalisé, je passe entre les mains des infirmières, aides-soignantes, médecins, etc. Mais le spécialiste a disparu. Naïf, je m'en étonne : « Le Pr X va-t-il passer me voir ? » Une aide-soignante me glisse, l'air entendu : « Ne vous inquiétez pas, ici, on a l'habitude, on va bien s'occuper de vous. » « On », c'est qui vous voulez, l'interne qui passait par là, l'infirmière qui donne un traitement, l'aide-soignante pour une toilette, mais pas le spécialiste, lui, il a fait son boulot, le patient, il le consomme au début, quand il est mûr pour un diagnostic. Mais le malade qui geint, s'interroge, a peur, se décourage, questionne, il laisse ça aux autres, lui n'est pas fait pour ça. Le doute pourrait l'ébranler, et un spécialiste ébranlé n'aurait plus foi en son diagnostic, n'inspirerait plus le respect intimidé dans l'oeil des malades et des hommes en blanc, bref, serait bon pour la retraite. Le doute n'est pas pour lui, il le tolère chez les autres, comme on le ferait avec une maladie honteuse, mais il évite de le côtoyer, par crainte de la contagion.

pas de réponse

Comme je vous l'ai dit, ma mère est infirmière et je sais qu'on insiste bien sur la relation au patient, l'écoute, le savoir-être, que sais-je ? Eh bien, je crois qu'il faut peut-être insister encore. Moi, quand je posais une question sur un traitement, ce n'était pas pour qu'on me décrive par le menu les cépages, le processus de vinification ou l'appellation d'origine contrôlée, les détails techniques, je m'en fichais pas mal... Je souhaitais une réponse claire sur ses chances d'efficacité.

Et cette réponse, je ne l'ai pas obtenue, ni du spécialiste (parfaite réincarnation du courant d'air), ni des autres qui ne souhaitaient pas se prononcer, vous comprenez, ça dépend des individus, faut voir, chacun réagit différemment au traitement, le médecin passera vous voir... Le médecin, lequel ? Moi, je ne sais plus qui est qui...

Enfin, je ne me plains pas, j'ai quitté l'hôpital. Mais personne (pas même le spécialiste qui a pour l'occasion égaré son jugement lapidaire) ne peut me dire si je suis toujours malade...