Les troubles sexuels du patient dialysé - L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005

 

néphrologie

Conduites à tenir

La dépression qui guette le patient dialysé est souvent la cause d'une inhibition de sa sexualité. Psychothérapie ou traitements médicamenteux, associés à la présence attentionnée du soignant, peuvent y remédier.

Parler des troubles sexuels de l'insuffisant rénal dialysé, voilà un exercice fort difficile pour le personnel infirmier des services de néphrologie et des centres de dialyse. Pourtant, sa proximité et ses compétences lui permettent de jouer un rôle indéniable dans la prise en charge de ces souffrances. En dédramatisant le problème, il peut conduire le malade, homme ou femme, à rompre ce silence et l'informer des différentes prises en charge psychologiques et médicales qui s'offrent à lui. La sexualité est un sujet tabou, notamment chez une population atteinte d'insuffisance rénale terminale, dont l'objectif est de survivre.

MANQUE DE FORMATION

« Nous n'avons pas toutes les connaissances requises pour aborder ce sujet », observent les infirmières du service de formation des patients à la dialyse de l'Aura, à Paris. « Ce sujet n'est pas souvent abordé, il est traité très succinctement, une formation serait nécessaire », souligne Patrick Vaillant, cadre infirmier du service de néphrologie A à l'hôpital Necker. « Nos patients sont essentiellement préoccupés par leur dialyse. Ils ne discutent pas de cela. Ils doivent en parler avec leur médecin », poursuit une autre infirmière. Alors que, selon le Dr Forêt, « le patient a plus de facilités pour évoquer ce problème avec son infirmier qu'avec son médecin ».

Une prise de conscience s'impose. D'après le Dr Forêt, les rares études de qualité de vie réalisées chez les patients insuffisants rénaux traités par dialyse, ont révélé que 70 % de ces patients présentent des troubles de la sexualité.

Chez la femme, cette plainte correspond à une diminution de la libido, une sécheresse vaginale induite par un défaut de production des fluides de lubrification, et donc à une diminution de la fréquence des rapports. Chez l'homme, elle s'apparente à des dysfonctionnements érectiles et également à la diminution du désir.

CONSÉQUENCES DU TRAITEMENT

Anxiété. Les causes identifiées comme susceptibles de perturber la sexualité sont plurifactorielles. L'étiologie de ces troubles peut être de type psychogène. L'un des premiers facteurs psychogènes est l'anxiété. Le patient dialysé, conscient qu'il est atteint d'une maladie mortelle, a pour principales préoccupations sa survie et le devenir de ses proches. Il vit dans cette angoisse, le risque de mourir, convaincu que tout plaisir lui est désormais interdit. C'est pourquoi cette anxiété suscite inévitablement une inhibition du désir, associée chez l'homme à des troubles de l'érection.

Dépression. De même, l'humeur dépressive du dialysé, réactionnelle à un état de dépendance, est un phénomène qui diminue inévitablement la libido. Ses reins ne fonctionnent plus, il n'urine plus. Un constat d'impuissance est ressenti : il n'est plus capable de se faire vivre. De plus, l'atteinte narcissique du patient urémique perturbe sa sexualité. Son corps est synonyme de déchets. S'il est traité par hémodialyse, la vue de son propre sang à l'extérieur de lui, la présence d'une fistule artério-veineuse, provoquent des souffrances psychiques qui inhibent le désir. S'il a opté pour un traitement par dialyse péritonéale, le péritoine traversé par le cathéter, symbole pour certains hommes d'un pénis imaginaire, altère la zone érogène représentée par la ceinture abdominale. Enfin, l'insuffisance rénale a pour incidence une diminution de la masse musculaire, très souvent localisée au niveau des muscles fessiers, qui accentue l'inesthétique d'une zone érogène.

Frigidité, impuissance. Ces dysfonctions se traduisent chez la femme par une frigidité, alors que chez l'homme, le fait d'être dans l'impossibilité d'uriner est associé à tort à l'idée de ne pouvoir éjaculer, donc d'être impuissant. Cette confusion peut même induire des hallucinations : ressentir des impériosités urinaires. Un rêve bien érotique !

Une psychothérapie associée ou non à des traitements médicamenteux est d'un recours efficace. Chez la femme, des traitements locaux utilisant des lubrifiants ou des oestrogènes peuvent compenser certains troubles.

Anémie. D'autre part, l'altération des rapports sexuels peut être d'origine organique, précise le Dr Forêt. Indépendamment de l'âge du patient et des facteurs de risque de l'insuffisance rénale, tels que le diabète et les maladies cardiovasculaires, l'anémie est une des premières causes de ces troubles. Responsable d'asthénie, d'hypoxie et d'une diminution de la viscosité sanguine, elle diminue l'activité sexuelle. Mais l'apparition en 1990 de l'érythropoïétine a considérablement corrigé cet effet.

Baisse de la calcémie. Par ailleurs, la présence d'un hyperparathyroïdisme, due à une baisse de la calcémie chez ce type de patients, liée à une malabsorption intestinale du calcium, engendre des calcifications vasculaires disséminées dans les corps caverneux.

Hyperprolactinémie, diminution de la testostéronémie. De plus, l'hypogonadisme hypergonadotrope est observé chez les patients urémiques. Chez l'homme, il se manifeste par une diminution de la testostéronémie qui perturbe la fonction érectile. Chez la femme, ce déficit se traduit par une hyperprolactinémie, favorisée par l'hémodialyse qui diminue le taux plasmatique de zinc et de vitamine E et altère la libido. Dans ce cas, un traitement hormonal s'impose.

Du point de vue neurologique, l'érection peut être perturbée par une diminution du réflexe bulbo-caverneux induite par des neuropathies urémiques, autre complication invalidante de l'insuffisance rénale chronique. Ce trouble peut être corrigé par un vasodilatateur agissant spécifiquement sur les artères génitales.

Enfin, l'utilisation courante de médicaments chez les patients urémiques (anticholestérolémiants, antihypertenseurs) est inhibitrice du désir.

RÔLE INFIRMIER

Afin de répondre aux questions du patient dialysé avec beaucoup plus d'aisance, il est nécessaire avant tout d'approcher la sexualité dans sa globalité. En effet, il faut prendre conscience que la sexualité, telle que l'a définie Sigmund Freud, correspond à l'ensemble de désirs et de comportements qui conduisent au plaisir. Ainsi, il faut la détacher de sa relation bien trop étroite avec la génitalité. Car le plaisir apparaît dès le début de la vie, lorsque le nourrisson prend plaisir à téter le sein de sa mère. C'est la sexualité orale. Ensuite, entre deux et trois ans, elle sera suivie par la sexualité urétrale, le plaisir d'uriner, la sexualité anale, le plaisir de déféquer. Puis, dans sa troisième année, l'enfant découvre son anatomie et les plaisirs liés à ses organes génitaux. C'est la sexualité génitale. Après une période de latence, l'intérêt sexuel est réactivé à l'adolescence. À ce stade, la maturation génitale est acquise et provoque des changements extrêmement angoissants.

Apprendre à mieux connaître son patient. Afin d'optimiser la prise en charge de ces troubles, le soignant doit avant tout tenter de mieux le connaître. Chez le patient urémique, des mécanismes défensifs se mettent en place selon deux phases distinctes. Dans la phase passive, la sexualité s'oriente vers le psychisme. C'est la sublimation intellectuelle qui peut s'exprimer par exemple à travers l'écriture. Dans ce même axe de fonctionnement, la perte de la fonction vitale d'un rein amène bien souvent le patient à régresser vers une sexualité infantile. Ainsi, l'auto-érotisme, plus communément appelé masturbation, peut apparaître durant les séances de dialyse. Les infirmières, loin de juger le patient, doivent l'aider à relativiser cette situation. En effet, cet acte, dépourvu de connotation perverse, est nécessaire à son équilibre. En revanche, la phase active se caractérise par une véritable fuite afin d'éviter de penser à l'avenir.

Par ailleurs, suivant les cultures, une très grande diversité des pratiques et des valeurs attachées à la sexualité est observée. L'infirmière doit aussi les prendre en considération lors de ses échanges avec le patient. Ainsi, apporter de l'intérêt à certaines de ces attitudes peut, pour le patient, se révéler extrêmement bénéfique.

Observer le patient. L'infirmière doit être également attentive au comportement du patient. Comment mange-t-il, comment dort-il, comment se gratte-t-il ? Tout changement de comportements est à rapporter à l'équipe médicale de l'unité (néphrologue, psychologues, psychiatre) afin de mettre en place si nécessaire une prise en charge thérapeutique adaptée.

Si le patient présente une humeur dépressive, il faut l'aider à positiver les plaisirs qui sont à sa portée. Ainsi, le patient dialysé, contraint à des restrictions diététiques, peut présenter un plaisir anal plus développé. Il faut savoir l'écouter.

De même, le plaisir peut être rencontré dans la tendresse : le bon petit plat que l'on déguste en tête-à-tête avec son conjoint, la tendresse des soins, le coton passé délicatement avant l'injection, le brassard placé avec douceur lors de la prise de la tension artérielle. Le toucher véhicule des sensations qui incitent à la confidence. Une main maternelle et une oreille attentive peuvent se révéler bien utiles pour ces personnes en situation de détresse. De même, lorsque le patient dialysé utilise l'agressivité comme moyen de défense, la tendresse du soignant paraît, dans la mesure du possible, la solution la plus adaptée à ce type de souffrance.

Ainsi, toute souffrance peut être transformée en plaisir, toute douleur peut être érotisée, même la dialyse.

En effet, le patient ressent un certain plaisir à être conservé à la vie, à se soigner. C'est pourquoi il retrouve du plaisir à se gratter en se faisant mal, signe de son rattachement à la vie.

Ainsi, par ces différentes approches, le soignant permet au patient de dédramatiser le problème engendré par ces dysfonctions sexuelles, et l'incite à en parler d'autant mieux que la chronicité de la maladie génère des moments privilégiés, propices à ce type de confidences. L'humour, sans être licencieux, est un excellent moyen d'y parvenir. Mais il ne s'agit nullement d'entrer dans la sphère intime et d'accroître les traumatismes du malade. Si ce dernier parvient à raconter ses problèmes sexuels, l'infirmière, en observant une neutralité absolue, peut assurer un réel soulagement à ses angoisses.

Bousculer les tabous, permettre à toute femme et à tout homme dialysé de continuer à s'épanouir dans sa vie affective, font partie des objectifs de soins de l'infirmière des unités de néphrologie.

En savoir plus

> L'AFIDTN, Association française des infirmiers de dialyse, transplantation et néphrologie, propose de nombreuses formations sur son site. Les 13 et 14 octobre, à Toulouse, l'une d'elles sera consacré à « Dialyse et sexualité ». Inscription sur le site de l'AFIDTN (http://www.afidtn.com).

> Le RDPLF, Registre de dialyse péritonéale de langue française, a proposé en avril dernier une communication sur « la sexualité et la dialyse péritonéale », lors de son 8e Symposium (http://www.rdplf.org).

> EDTNA, European Dialysis & Transplant Nurses Association/ERCA, European Renal Care Association (http://www.edtna-erca.org).

> American Nephrology Nurses'Association (http://www.annanurse.org).