Ne pas perdre le Nord... - L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005

 

l'équipe infirmière de La Ravaude

24 heures avec

À Roubaix, dans le Nord, les infirmières de l'équipe mobile La Ravaude rencontrent des personnes en situation précaire souffrant de troubles psychiques. Elles favorisent l'accès aux soins des plus démunis.

Ce jeudi matin, Stéphanie Denivry, infirmière de La Ravaude(1), traverse Roubaix au volant de sa voiture. Roubaix, une ville de briques du Nord de la France, une ville saignée, vidée, une ville désertée de ses industries, Roubaix, le chômage, la précarité, la souffrance...

Stéphanie arrive devant les portes du foyer Areli, un foyer de travailleurs migrants, des hommes au chômage, déracinés et seuls, dans cette ville qui ne leur offre plus rien.

Consultations infirmières

L'infirmière est accueillie par Chandary Luangrath, travailleuse sociale dans le foyer. Chandary lui raconte ce qui s'est passé, lui parle de ceux qui vont mal. Stéphanie écoute et conseille Chandary. Elle connaît tous les résidents de ce foyer, qu'elle visite deux fois par semaine. En sortant du petit bureau d'accueil, Stéphanie salue cordialement les résidents, qui fument une cigarette à l'extérieur du bâtiment. Après des poignées de mains et quelques paroles échangées, elle prend de sombres escaliers pour monter dans les petits appartements.

Au foyer Areli, trois hommes partagent des appartements. Ils disposent tous d'une petite chambre et d'une cuisine commune pour les repas. Elle va voir Moussa, Ibrahim ou Kader, des hommes qui ne lui semblaient pas en très grande forme lors de sa dernière visite. « Je vois les résidents en consultation individuelle dans leur chambre. C'est à moi de décider de la fréquence de ces consultations, il n'y a pas de règle puisque cela dépend avant tout des besoins de la personne. Cela peut être tous les deux jours, une fois par semaine ou une fois par mois. »

Le rôle de Stéphanie consiste à repérer les personnes à risques, mais surtout amener la personne en souffrance psychique à accéder aux soins proposés par le secteur. C'est parfois difficile et long.

Les consultations de Stéphanie offrent aussi un soutien psychologique à ces personnes. C'est aujourd'hui le jour du « groupe d'expression » au foyer Areli, un groupe que Stéphanie a mis en place il y a quelques mois pour permettre aux résidents de prendre la parole. Ce jeudi matin, une dizaine d'hommes ont choisi de participer au groupe d'expression. La matinée débute par une sorte de débriefing de la dernière séance, au cours de laquelle Stéphanie avait invité un intervenant de l'association Aides. Certains écoutent, d'autres parlent, les échanges peu à peu s'animent autour de la table. Du VIH et de la prévention, on en vient à parler des rapports avec la famille, les enfants, du bled, du déracinement... Cette matinée est animée par Stéphanie, accompagnée de la travailleuse sociale, mais aussi d'une animatrice et d'une infirmière de l'ANPAA 59 (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie 59). C'est pour les personnes en situation d'exclusion, sujettes à des conduites d'addictions, que Stéphanie a mis en place ce partenariat avec l'ANPAA. Il leur favorise ainsi l'accès aux soins en alcoologie.

« Ravauder »

Outre Stéphanie, trois autres infirmières travaillent à La Ravaude, créée par le Dr Jean-Yves Alexandre, médecin chef du CMP de Roubaix centre. Ce nom fait référence au passé industriel textile de Roubaix : « Ravauder » dans le textile consistait à raccommoder, à reprendre les liens d'une trame d'un tissu. Les quatre infirmières de La Ravaude travaillent à mi-temps pour le dispositif et à mi-temps pour le CMP (centre médicopsychologique) de Roubaix, auquel elles appartiennent.

Deux psychologues cliniciennes, dont Houria Manaa, coordinatrice du dispositif, font également partie de l'équipe. Les postes des psychologues sont financés par la Ddass et par l'EPSM de Saint-André. Chaque secteur roubaisien a quant à lui déployé les moyens d'un mi-temps de poste infirmier psychiatrique sur le dispositif.

Agir sans prescription

L'équipe mobile de La Ravaude compare son activité à un véritable travail de maillage. But affiché : créer ou restaurer le lien entre les personnes suivies dans le secteur social et les soins médicopsychologiques dispensés dans les CMP. « Nous souhaitons éviter un effet de marginalisation, voire une stigmatisation des usagers et de l'équipe de La Ravaude », précise Houria Manaa. La Ravaude ne souhaite pas devenir une sorte de CMP pour exclus, et le dispositif ne possède pas de lieu spécifique (l'équipe se réunit cependant tous les quinze jours dans un des quatre CMP de Roubaix), ni de médecin intervenant, pas même d'assistante sociale. « Il est évident que les personnes en situation de grande précarité ne vont pas forcément penser à aller consulter un psychiatre », remarque Catherine Coquel, une autre infirmière de La Ravaude. Les infirmières interviennent dans différentes structures sociales, comme des foyers d'hébergement pour travailleurs mais aussi pour femmes seules avec leurs enfants, des CHRS (Centres d'hébergement et de réinsertion sociale) ou encore au domicile des personnes en situation précaire vivant dans des logements sociaux. S'agissant des visites à domicile, les infirmières ont la possibilité d'intervenir sans prescription médicale, alors que celles-ci sont d'usage pour les prises en charge habituelles en CMP. « Nous avons de fait une marge de manoeuvre très large dans notre pratique », estime Catherine Coquel.

Distanciation

Le partenariat avec les travailleurs sociaux est très important : ce sont eux qui signalent aux infirmières les personnes en souffrance psychique. « Notre rôle premier est un travail d'évaluation par des entretiens individuels. Il s'agit de caractériser, de définir la problématique, afin de permettre une orientation et d'établir éventuellement un projet de soin, global mais individualisé. Ce travail est toujours en relation avec l'équipe éducative existante », souligne Catherine Wangermee, infirmière. Dans l'ensemble, l'entrée de la psychiatrie dans les structures sociales a rencontré un accueil favorable de la part des travailleurs sociaux. Car l'équipe de La Ravaude se présente aussi comme un lieu ressource pour les professionnels de terrain en apportant une disponibilité d'écoute téléphonique. « Nous avons de plus en plus de résidents qui arrivent avec de gros problèmes psychologiques. Nous sommes souvent démunis, car nous n'avons pas la formation pour comprendre », reconnaît Laurent, éducateur dans un CHRS.

Permanence en CHRS

Les infirmières et psychologues de La Ravaude, extérieures à l'institution d'appartenance du travailleur social, peuvent aider les professionnels à se recentrer sur leur mission par un travail de distanciation, de réflexion sur leur cohérence méthodologique. « Un des aspects de nos interventions est de faire connaître le travail de secteur et d'améliorer la représentation de la santé mentale, tant auprès des usagers que des professionnels. Il s'agit dans tous les cas d'instaurer une relation de confiance en nous présentant comme interlocuteur privilégié, comme infirmière référente de la mission précarité », poursuit Catherine Wangermee.

Changement de décor ce jeudi après-midi. Deux infirmières de l'équipe de La Ravaude, Catherine et Michèle, se rendent dans un imposant CHRS, dénommé Accueil fraternel roubaisien. Tous les jeudis, au moins une infirmière de La Ravaude assure une permanence dans le plus gros CHRS roubaisien, qui accueille près d'une centaine d'hommes sans domicile fixe. L'intervention de l'équipe mobile commence par une réunion avec les éducateurs du service social. Un cahier de liaison La Ravaude est à la disposition des éducateurs, lesquels notent au fil de la semaine leurs éventuelles observations, ou encore les demandes de rendez-vous de la part des usagers.

Suivi

Lorsqu'ils estiment qu'un résident présente une souffrance psychologique, les éducateurs l'orientent soit vers la permanence infirmière, soit vers la permanence de la psychologue de La Ravaude, laquelle intervient également dans le CHRS. C'est dans une petite pièce dédiée aux consultations infirmières que Catherine et Michèle reçoivent individuellement les résidents du foyer. L'objectif reste le même : amener la personne en souffrance psychique à accéder aux soins proposés par le secteur ou encore assurer le suivi des personnes ayant été prises en charge par le secteur. Les éducateurs sont en première ligne pour repérer les personnes qui ont un traitement et les signaler aux infirmières. Les médicaments étant interdits de circulation dans les locaux du CHRS, ce sont en effet les éducateurs qui remplissent eux-mêmes les piluliers !

Psychotiques

« Nous n'avons même pas une infirmière dans notre établissement, mis à part les professionnelles de La Ravaude. La Ddass ne semble pas se rendre compte que les gens à la rue peuvent avoir de sérieux problèmes de santé », déplore Laurent, éducateur dans ce CHRS. S'agissant des populations en grande précarité comme ces hommes accueillis en CHRS, l'équipe de La Ravaude a évalué à 30 % le taux de personnes présentant ou ayant présenté des troubles nécessitant des soins psychiatriques. Certes, la précarité n'entraîne pas forcément de pathologie psychiatrique. Plutôt une souffrance psychique. En revanche, un certain nombre de psychotiques font aussi partie des personnes en précarité. « On rencontre énormément de gens relevant de la psychiatrie dans ce CHRS », relève Catherine Wangermee. Avec la politique de fermeture des lits, des psychotiques sont sortis de l'hôpital. Ils n'ont pu trouver les moyens de s'insérer socialement et ce sont aussi ces personnes que l'on retrouve dans la rue. » Pour l'équipe de La Ravaude, il semble évident que l'évolution de la politique hospitalière devrait entraîner de nouvelles pratiques pour la psychiatrie. Les hôpitaux peuvent se vider, mais la souffrance psychique reste plus que présente dans notre société...

1- La Ravaude, centre médicopsychologique, 74, avenue de la Fosse aux Chênes, 59100 Roubaix.

Tél. : 03 20 28 25 71. Fax : 03 20 28 25 79.

Houria Manaa, psychologue clinicienne, coordonnatrice de La Ravaude : 06 08 04 72 65.