Pour les morts et pour les vivants - L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005

 

Chambre mortuaire

Éthique

Méconnues des soignants eux-mêmes, les chambres mortuaires des hôpitaux sont pourtant des espaces où l'éthique du soin est aussi présente et nécessaire que dans tout autre service(1).

« La mort est survenue chez une personne insérée dans la société, à savoir un tissu relationnel. Elle est morte dans son existence, mais pas dans son histoire, ni même dans sa chair dans l'immédiat, puisque nous nous occupons de son cadavre », écrit Marguerite Romiguière dans son mémoire Travailler en chambre mortuaire : un défi contre le déni de la mort(2). Pour l'ancienne cadre supérieur de santé, qui a elle-même dirigé la chambre mortuaire d'un hôpital parisien, un paradoxe demeure pourtant. Alors qu'une large majorité des personnes meurent aujourd'hui à l'hôpital, peu de soignants officient dans ces lieux encore trop souvent considérés comme « un peu à part » et où le soin serait absent.

Pis, selon elle, nombre d'hôpitaux ont, au fil des ans, fermé leur chambre mortuaire au profit de sociétés privées. « Comme si le travail accompli en chambre mortuaire se résumait à la gestion de flux de cadavres et au traitement administratif de dossiers. Au contraire, cette tâche réclame des compétences paramédicales évidentes », remarque Marguerite Romiguière.

Ainsi, accueillir et prendre en charge une personne morte, c'est d'abord examiner son état général comme cela est fait chez un patient. À ceci près que l'asymétrie de la relation (ni le corps ni l'esprit ne peuvent réagir) appelle, et peut-être plus encore qu'ailleurs, une réelle conscience professionnelle fondée sur une formation aux techniques de soins et sur l'expérience.

projets de soins

S'occuper des morts, c'est aussi se préoccuper des vivants, familles et proches. « Qui mieux qu'une infirmière est préparée à les recevoir et capable de conduire des entretiens s'inscrivant pleinement dans une démarche éthique du soin ?, interroge Marguerite Romiguière. Accueillir une famille, c'est entendre, et parfois décrypter ses demandes afin de négocier avec elle ce qui peut être fait et ce qu'il est impossible de faire. Sachant que l'on travaille souvent aux frontières du soin et du droit. » Parmi ses missions, le soignant doit en effet assurer aux familles l'accueil, la conservation du corps de la personne décédée et la préparation du départ du convoi funéraire, selon leurs souhaits et la réglementation en vigueur. Mais une famille n'est pas « un bloc », c'est un groupe d'individus. Certains sont prêts à entendre des choses, d'autres pas. Certains veulent savoir, d'autres pas. Dans ce contexte, c'est au soignant d'inciter les personnes à s'exprimer lorsqu'il les sent taraudées par une question ou une angoisse. Dès lors, pour Marguerite Romiguière, il est essentiel que le travail en chambre mortuaire fasse l'objet de projets de soins au même titre que tout autre service.

1- Voir le très beau reportage de Mathieu de France, «Soigner après la mort», paru dans L'Infirmière magazine n° 199, novembre 2004, pp. 34-39.

2- Disponible à l'espace éthique de l'AP-HP.

TÉMOIN

Odette Gausserand Infirmière à part entière

« J'ai travaillé durant près de trente ans dans des services de réanimation et d'urgences, j'ai donc été confrontée à la mort ainsi qu'au deuil des proches. Il y a quelques années, après avoir suivi un cursus universitaire dédié à la formation au deuil, j'ai eu pour projet de créer une consultation d'accueil, mais il n'a pas abouti. J'ai alors décidé de prendre un poste en chambre mortuaire, explique Odette Gausserand, infirmière responsable de la chambre mortuaire du CHU Bichat à Paris. Ici, la démarche éthique est semblable à celle d'un service de soins. Notre première responsabilité est de respecter la dignité du défunt pour lui-même et ses proches. Cela se traduit par une parfaite présentation du corps de la personne. Mon rôle est de faciliter l'entrée des proches dans le deuil, de les soulager des questions qui pourraient retarder cette étape. Il est essentiel que les endeuillés aient affaire à un soignant. La relation d'aide prend ici tout son sens. Écoute, disponibilité et empathie sont essentielles. Je me sens infirmière à part entière. »