Signe de vie... - L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 209 du 01/10/2005

 

Anne Ménager

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Rencontre avec

Infirmière et sourde ? Un handicap, diraient certains. Mais la rencontre avec Anne Ménager, infirmière au CHU de Nantes, donne la sensation inverse. Depuis huit ans, elle cultive sa « différence » et multiplie les activités pour aider les autres. À l'hôpital et au sein de l'association Fais-moi signe.

Quand Anne Ménager accepte de parler d'elle, de son parcours professionnel et de sa « différence », terme qu'elle préfère à « handicap », pour évoquer sa surdité, ce n'est assurément pas par nombrilisme. Plutôt par altruisme. Car s'il n'y avait pas ce projet de créer une unité spécialisée dans l'accueil des personnes sourdes qu'elle espère tant à Nantes, pas sûr qu'elle aurait répondu favorablement à nos questions. Pourquoi ? Cette jeune infirmière de 31 ans, originaire de Rochefort-sur-Loire, est la discrétion même. Depuis ses cinq ans, lorsqu'elle est devenue sourde à la suite d'une méningite, Anne avance, chemine pour occuper toute sa place, patiemment, sans chercher à brûler les étapes, croyant plus aux petits pas qu'aux grands discours. Exemple ? Depuis trois ans au CHU de Nantes, dans le service de gériatrie, son poste de travail n'est toujours pas adapté. Pourtant, téléphoner - ce que ses parents l'ont habituée à faire - au milieu d'une salle de soins ou suivre dans de bonnes conditions les transmissions nécessiterait un matériel adéquat. Mais Anne en est convaincue : « Tous ces besoins ne pouvaient pas être satisfaits tant que j'étais contractuelle. Pour moi, l'important était d'avancer en évitant de faire des fautes. » L'avenir lui aura donné raison : l'appareillage pour le téléphone est en cours d'installation.

connaître ses limites

Être consciente de ses limites, ne pas se mettre en danger professionnellement : Anne a acquis très tôt cette philosophie. C'est un médecin qui l'a mise en garde... tout en l'encourageant à poursuivre son parcours de formation. Anne venait alors d'obtenir son bac en sciences médicales et sociales au lycée professionnel de Chemillé (Maine-et-Loire).

Flash-back. En primaire, Anne est suivie en orthophonie par le Centre d'action médicosociale précoce, pour apprendre à lire sur les lèvres. Elle bénéficie également de cours de soutien. Pendant ses années de collège, elle est accompagnée par un institut spécialisé. Ses études se déroulent sans anicroche. Et c'est à cette époque qu'elle se découvre une âme altruiste. Elle décide alors d'« aider les autres », et se dirige vers un BEP sanitaire et social. Une fois le diplôme obtenu, Anne choisit d'intégrer une école d'aide-soignante. Manque de chance, elle est encore trop jeune pour accéder à cette école. Ses professeurs l'encouragent alors à poursuivre ses études pour décrocher le bac, avec comme objectif de devenir infirmière. Ce projet, le médecin qui lui a fait passer sa visite d'embauche pour travailler l'été comme agent hospitalier au CHU d'Angers l'estime à sa portée. « À condition d'éviter la pédiatrie, les urgences, la réanimation où les transmissions sont non écrites, se souvient Anne. Pour lui, l'important était que j'évite toute faute professionnelle. »

bénévole à l'afm

Le défi la motive. Une affaire d'habitude. Rien ne lui est acquis, depuis qu'elle est née. Surtout lorsqu'on a une « différence » vécue par la société comme un handicap. Elle est reçue dans les huit Ifsi tentés. Son choix se porte sur celui de Saumur, « car c'est une petite promo, les échanges avec les intervenants y étaient facilités ». Les premiers stages se déroulent sans problème. En effet, Anne connaît déjà l'univers de l'hôpital grâce à ses jobs d'été. En deuxième année, prendre la tension artérielle s'avère en revanche un obstacle. Tous les services ne sont pas équipés d'un appareil électronique. Après avoir sollicité l'aide d'un audioprothésiste et d'un électro-acousticien pour concevoir l'outil adéquat, Anne obtient finalement un financement de l'Agefiph(1).

Anne, hyperactive ? La question mérite d'être posée. En marge de ses études harrassantes en Ifsi, elle trouve encore suffisamment de temps et d'énergie pour s'engager comme bénévole à l'Association française contre la myopathie (AFM). Cette expérience lui vaudra son premier emploi d'infirmière, décroché le soir de son diplôme. L'AFM a un projet novateur : la création de logements pour des personnes myopathes lourdement handicapées. Au-delà de la découverte d'une pathologie « que l'on n'apprend pas à l'école », souligne Anne, ces huit mois vont surtout révéler en elle le goût de l'action. Une aptitude qu'elle va pouvoir cultiver à l'hôpital de Beaupréau, près de Cholet. L'établissement est en pleine période de restructuration. On propose à Anne de travailler en soins de suite. Rapidement, elle participe à la création de 30 lits de long séjour, à la médicalisation du service, à la mise en place du dossier de soins, et même à l'encadrement de l'équipe, en tant que « faisant fonction ». Une aubaine : « Jeune diplômée, je ne pensais pas travailler de cette manière. Et puis, l'intégration dans la commune, comme au travail, a été bonne. On me considérait comme quelqu'un d'exceptionnel. Une infirmière sourde, ça ne se voit pas tous les jours ! »

communiquer avec les enfants sourds

Pour se rapprocher de son mari, sourd également, Anne décide de rejoindre Nantes. Le CHU nantais est une grosse « usine », qui ne se manie pas comme un hôpital local. En trois ans, l'activisme de cette jeune maman n'a tout de même pas failli. Surtout depuis la lecture d'un article de L'Infirmière magazine qui lui apprend l'existence de pôles régionaux pour personnes sourdes. Dans sa région des Pays-de-la-Loire, il n'en existe pas. Anne est pourtant persuadée de leur utilité. Un groupe de travail est constitué. Anne en fait partie, bien entendu. « Il y a beaucoup de priorités », avoue-t-elle. La première serait pour elle de rejoindre le service ORL. Anne pourrait y mettre en pratique ses compétences et une idée qui lui tient à coeur : améliorer la relation entre les enfants sourds et l'infirmière. « Pour cela, il faut utiliser le mode de communication de l'enfant », estime-t-elle.

1- Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées.

moments clés

- 1997 : DE à Saumur après un BEP puis un bac pro sanitaire et social.

- 1998-1999 : bénévole à l'AFM (huit mois) puis au CHU d'Angers en rééducation fonctionnelle (six mois).

- 1999 : elle rejoint l'hôpital de Beaupréau, près de Cholet.

- Depuis 2002 : elle exerce au pôle gériatrique de l'hôpital Bellier (CDD pendant deux ans avant d'être stagiairisée en août 2004), au CHU de Nantes. Elle fait la rencontre de l'initiateur des pôles régionaux pour l'accueil des personnes sourdes et s'implique dans la création d'une telle unité à Nantes.

- Depuis 2003 : elle occupe le poste d'administratrice de l'association Fais-moi signe. Cette association propose entre autres en Loire-Atlantique un service de médiation aux personnes sourdes et malentendantes.