Cap bien-être dans le Finistère - L'Infirmière Magazine n° 210 du 01/11/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 210 du 01/11/2005

 

la Mapa de Pont-Aven

24 heures avec

Dans cette cité célébrée par les peintres, une maison de retraite à taille humaine fait tout pour que les résidents bretons se sentent ici chez eux. Malgré le manque de moyens.

Il pleut en ce matin d'été. Dans le hall de la maison de retraite(1), quelques aînés, à pied ou en fauteuil roulant, se dirigent doucement vers la salle de restaurant. Sur les murs, une exposition de photos anciennes retrace les fêtes folkloriques du siècle dernier. Nous sommes au coeur du Finistère, dans le joli village de Pont-Aven, la cité des peintres. Ici, la plupart des résidents sont originaires de la commune ou des environs et se connaissent tous. Ils partagent une histoire commune et, pour certains, parlent breton. Moyenne d'âge des 70 résidents : 89 ans. Trente-sept d'entre eux ont plus de 90 ans.

« Nous sommes dans un établissement privé à but non lucratif. La mairie est propriétaire des lieux, explique Anne-Marie Poilvez, la directrice. La Fondation Massé-Trévidy, dont le siège est à Quimper, en est le gestionnaire. Cet établissement est un Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) depuis la signature de la convention tripartite le 1er avril 2003. Des conventionnements nous lient donc à la mairie de Pont-Aven concernant l'accueil des personnes âgées et l'embauche du personnel. »

Pas de routine !

À 8 h 30, la plupart des résidents sont attablés pour le petit-déjeuner. Tout est calme. Depuis octobre 1994, Brigitte le Maout est infirmière coordinatrice. « Quand je suis arrivée, des infirmières libérales intervenaient auprès des résidents. Des moyens supplémentaires ont été accordés dans le cadre de la signature de la convention tripartite. De ce fait, les libérales n'interviennent plus pour les soins d'hygiène. Nous sommes donc trois infirmières à assurer le suivi médical avec l'aide du Dr Drogo, médecin coordonnateur et treize aides- soignantes réparties sur le jour et la nuit qui prennent en charge la dépendance. C'est très difficile de se rendre compte de la densité du travail ici. Il faut s'adapter car on ne peut rien prévoir en fonction des résidents. Ce n'est pas du tout routinier. En cas d'urgence (si on découvre au petit matin un résident sur le sol par exemple), il faut revoir tout le planning de la matinée. Ici, la priorité c'est le résident. On essaie de garder au maximum en tête l'importance de son bien-être. »

« Mexico, Mexico ! »

Un bien-être perceptible d'emblée. Vers dix heures, dans le coin lecture, M. Le Naour parcourt Le Télégramme, le quotidien régional. Il est né à Nizon, un petit hameau à moins d'un kilomètre de là. « On est bien ici, c'est tranquille », lance-t-il. Vanessa Neny, animatrice, fait la tournée des chambres et propose à tous de participer à la lecture du journal à voix haute. Un rituel du matin auquel participent une dizaine de personnes. Ils prennent ainsi le pouls du monde et de la région. Mais pas question de lire les nouvelles sans évoquer la vie des villages. Les aînés n'hésitent d'ailleurs pas à reprendre la jeune femme à l'accent du Sud sur la prononciation de certains noms bretons.

Dès 11 h 30, certains résidents sont déjà attablés dans la salle de restaurant pour le déjeuner. Comme l'indique le tableau du programme de la semaine, une animation est prévue sur le thème du Mexique. « Quand quelqu'un a une idée, annonce la directrice, on n'hésite pas à l'exploiter. Il y a une association très active de bénévoles, "les amis de la Mapa", qui organise régulièrement des animations en collaboration avec Vanessa. On fait tout un travail de mémoire au préalable sur le thème choisi. » Ce midi, le groupe d'animation, chapeaux immenses et costumes bigarrés, ne ménage pas sa peine pour mettre de l'ambiance. Marie-Josée le Tallec, à la tête de la joyeuse équipe se lance dans une fracassante reprise de Mexico, le classique de Luis Mariano. Et la salle de reprendre. Certains résidents sont aux anges. D'autres, plus absents.

Angoisse de mort

Tous les résidents ne prennent pas leur repas dans la salle du restaurant. L'aile Émile-Bernard, pavillon un peu en retrait, relié à l'accueil par un couloir vitré, est réservée aux personnes désorientées ou souffrant de la maladie d'Alzheimer. Douze d'entre elles vivent là. La prise en charge y est spécifique. Depuis deux ans, un psychothérapeute, Bernard Sensfelder, intervient une fois par semaine. « Je suis venu ici la première fois en 1995 comme formateur pour le personnel, se souvient-il. La directrice a cherché ensuite quelqu'un pour animer des groupes de parole. Ce que j'ai fait avant de travailler avec les patients. Nous partons du principe que les aînés qui délirent présentent une véritable angoisse de mort. On travaille donc sur l'ambiance des lieux et sur cette frayeur. Nous considérons qu'ils sont conscients de ce qui se passe mais que leur comportement leur échappe. On a constaté que quand on leur parle, ils arrêtent de délirer. Ce n'est pas magique mais il se passe des choses. Il est important de les recadrer dans la réalité. Ils souffrent tous des mêmes peurs. »

En ce début d'après-midi, c'est l'heure de la sieste. Dehors, le soleil pointe enfin ses rayons. Tout est calme. Dans l'aile Émile-Bernard, Anne-Marie Merdi, aide-soignante de formation est ici « maîtresse de maison » depuis un an et demi. Visiblement, cette jeune femme adore son travail.

« C'est du cas par cas, explique-t-elle. Mon rôle est "d'être avec... et de vivre avec..." des temps de la journée avec bien entendu des temps de surveillance, de repas, d'aide à la toilette. Il est primordial de leur témoigner de l'attention. Nous devons les rassurer en permanence pour éviter que l'agressivité ne monte. Quand je pars vers 16 h 15, on peut sentir une certaine tension apparaître. Dès que je rencontre un patient Alzheimer, j'essaie de comprendre ce qui lui est arrivé. Il ne faut surtout pas les suivre dans leur délire. Je connais bien ces résidents et je me sens vraiment à l'aise dans ce service. » Et à voir Anne-Marie s'occuper d'une vieille dame aux cheveux d'argent, à qui elle rend le sourire, on est certain qu'elle est parfaite dans ce rôle.

« Qui est Bébel ? »

C'est l'heure du goûter. Le trajet vers la salle de restaurant reprend pour tout le monde. Un peu plus tard, Vanessa recommence la tournée des chambres pour proposer un « Questions pour un champion » aux résidents. L'activité remporte un franc succès.

Une bonne vingtaine de personnes, majoritairement des femmes, comme c'est le cas dans toute la résidence, assistent à ce rendez-vous quotidien. Les questions fusent et la plupart trouvent les réponses. « Allez, dites-moi, quel acteur français surnomme-t-on Bébel ? » Chacun y va alors de son petit commentaire. Pendant ce temps, dans la salle des infirmières, Céline Rannou, diplômée depuis un an et demi, se prépare à délivrer quelques soins dans les chambres. « Ça a été une belle opportunité de trouver un poste ici, raconte-t-elle. C'est difficile pour les infirmières de trouver un emploi en Bretagne car la région est très demandée. J'avais bien apprécié les stages que j'ai effectués en maison de retraite et j'étais désireuse d'exercer dans ce milieu. »

Travail infirmier dense

Pour Anne-Marie Poilvez, ce travail infirmier est essentiel. « On parle beaucoup de la dépendance dans les maisons de retraite mais il ne faut pas ignorer le côté santé et la prise en charge médicale du résident. Les pathologies sont nombreuses. Et parfois lourdes : Parkinson évolué, cancers... »

Brigitte le Maout, qui est l'infirmière coordinatrice, évoque les nombreux contacts avec tout le personnel médical et paramédical. « Mon travail est très dense, on court après le temps, il faut parfois jongler avec les horaires et surtout bien gérer son temps. Les ratios de personnels sont justes. » Un problème que la directrice ne dément pas. « Recruter du personnel qualifié, lance-t-elle, reste une vraie "galère" dans les domaines du soin et de la cuisine. C'est dû à la pénurie de personnel qualifié sur le marché du travail à laquelle s'ajoutent les problèmes de logement à Pont-Aven et nos grilles horaires qui ne sont pas attractives. Les tutelles en ont conscience mais l'enveloppe reste la même. L'extension de la résidence en 2006 avec la création d'une deuxième aile pour les personnes désorientées devrait permettre un renforcement de moyens. »

La canicule de 2003 n'a pas entraîné de problèmes majeurs ici. Le climat océanique aidant, il a fait chaud mais avec toujours un peu de vent. De plus, la résidence est idéalement située dans un environnement boisé et assez ombragé. « En 2003, nous avons vécu avec le soleil et suivi de près l'hydratation de tous, observe la directrice. Cet été, une enveloppe "canicule" de 5 000 euros a été octroyée. Elle a permis le renforcement des équipes. Mais ces moyens-là, il faudrait pouvoir nous les donner sur toute l'année. »

Comme partout dans l'univers gériatrique, la Mapa de Pont-Aven rencontre bien entendu quelques problèmes, notamment en ce qui concerne la gestion du personnel. Mais par sa dimension humaine, son cadre accueillant, la gentillesse de son personnel, cet établissement finistérien est décidément bien loin de certains tristes clichés véhiculés sur les maisons de retraite.

1- Résidence de la vallée de Pénanros, Kerentrech, 29930 Pont-Aven. Tél. : 02 98 08 18 88.

Mél : penanros@fondation-masse-trevidy.com.