En consultation, les hommes se font violence - L'Infirmière Magazine n° 210 du 01/11/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 210 du 01/11/2005

 

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Horizons

Seules deux consultations spécialisées dans les violences conjugales existent en France. Souvent contraints par la justice, les hommes y reçoivent un suivi médical, mais aussi des conseils pratiques pour désamorcer leur agressivité.

« Dernièrement, nous avons reçu un homme qui était en garde à vue suite à la plainte déposée par sa femme pour les coups très violents qu'il lui avait portés, raconte le psychiatre Roland Coutanceau, président de la Ligue française de santé mentale et initiateur de deux consultations spécialisées en violences conjugales, proposées à Paris et à l'antenne de psychiatrie et de psychologie légales de La Garenne- Colombes. D'une quarantaine d'années, au chômage, il vivait cette situation pour la première fois. Ce type est plutôt anxieux, immature, désorganisé par l'absence de travail, même assez charmant en dehors de ses coups de gueule. Par la violence, il exprime une insatisfaction, une agressivité, qu'il a retournée contre la seule chose qu'il "maîtrise", son couple. Pour sa femme, la plainte était le seul moyen de poser un acte, même si elle voulait la retirer. »

acte minimisé

Un autre homme, récemment accueilli à la consultation de La Garenne-Colombes, a lui aussi frappé très violemment sa femme. Déprimé parce que sa famille était menacée d'être mise à la porte de leur logement, il en voulait à sa femme de ne pas l'avoir suivi quand il souhaitait acheter un appartement quelques mois plus tôt. Quand ce dernier minimise l'acte, alors qu'il s'avère être coutumier d'une violence chronique, d'autres cités par le docteur Coutanceau estiment qu'ils ont été « provoqués », que finalement, leurs femmes « méritent » d'avoir été frappées... Autant d'histoires qui deviennent banales dans un pays où l'on sait qu'une femme sur dix déclare avoir été victime de violences conjugales, que, tous les quinze jours, trois femmes meurent des suites de telles violences(1).

obligation de se soigner

Banales, sauf dans ce lieu si spécial, le seul en France avec la consultation ouverte à Paris en mai 2005 à recevoir des hommes violents. Ces prises en charge se font principalement dans le cadre d'une obligation de soins imposée par un juge, soit à la sortie du tribunal, quand il n'y a pas incarcération, soit pendant ou après l'incarcération. Mais cette consultation ne s'est pas montée en un jour. Premier constat : les hommes concernés ne viennent pas spontanément demander des soins. « La plupart banalisent leurs gestes, observe Roland Coutanceau. Il faut donc une plainte pour pouvoir déclencher une démarche de soins. L'obligation de soins, même courte, permet de travailler une demande d'aide pas toujours présente, et donc d'amorcer une alliance thérapeutique. » Second constat logique : il faut que les juges imposent ces soins pour qu'ils consultent. C'est là que le bât blesse. Confrontée à un parquet de Nanterre qui ne pratique pas l'obligation de soins, l'équipe du Dr Coutanceau reçoit très peu d'auteurs de violences conjugales. C'est ce qui explique la création d'une seconde équipe à Paris il y a quelques mois pour travailler avec le parquet de la ville, qui avance dans ce sens.

évaluation et suivi

Nicole Harcaut et Georgie Olivier sont deux des trois infirmières de secteur psychiatrique exerçant à l'antenne de psychiatrie et de psychologie légales de La Garenne-Colombes. Cette unité intersectorielle a compté dans ses rangs des infirmières depuis sa création en 1991. Elles animent les thérapies de groupes proposées à des exhibitionnistes, pédophiles, hommes violents...

Présentes depuis plus d'un an, ces deux professionnelles coaniment chacune avec un psychologue un groupe pour personnes exhibitionnistes. Mais elles participent, comme le reste de l'équipe, aux évaluations de toutes les personnes accueillies à l'antenne. Ce travail commence au téléphone. « Il faut décrypter les raisons de leur appel, comprendre la problématique, savoir s'ils sont envoyés par la justice, explique Georgie Olivier. Pas facile car ils appellent fréquemment du bus ou d'un autre endroit, une manière de nous faire comprendre que s'ils téléphonent, c'est uniquement parce que le juge les y a obligés. Ils jouent les innocents. » L'évaluation permettra de mettre en place un suivi individuel ou, dans la majeure partie des cas, un suivi de groupe. Cette étape s'effectue en binôme, entre une infirmière et un psychiatre ou un psychologue.

aide concrète

Pour Nicole Harcaut, l'approche infirmière a vraiment sa place dans cette consultation : « Nous, on est dans le concret, dans l'immédiateté. À travers notre aide pour gérer leur problème au quotidien, en leur expliquant le rapport à la loi, en abordant leur relation avec leur femme, en privilégiant l'ouverture aux autres... on va les aiguiller pour favoriser la compréhension de leur acte. Gérer leur problème au quotidien, c'est aussi leur donner des ficelles pour qu'ils parviennent à désamorcer leurs pulsions. Ici, on utilise notre savoir-faire d'infirmière de secteur psychiatrique dans un autre cadre que la psychiatrie générale puisqu'on n'est pas dans la pathologie mentale. Et le travail est surtout basé sur le groupe qui se réunit toutes les deux semaines et dans lequel on fait le lien entre les participants. Ce qui n'est pas toujours facile, puisqu'il faut tenir compte de l'organisation personnelle de chacun (ils ne sont pas tous présents à chaque séance). »

Les rapports avec les éducateurs, les contrôleurs judiciaires ou encore avec le service pénitentiaire d'insertion et de probation occupent également une bonne place dans l'emploi du temps. L'arrivée des deux collègues à l'antenne de psy légale a représenté pour elles un renouveau professionnel certain. « À l'antenne, on garde notre identité d'infirmière psy !, se félicite Georgie Olivier. Venir ici m'a permis d'éviter la saturation si j'étais restée dans un service classique. Et puis c'est un nouvel horizon. Avant, on ne voyait que des névrosés ou des psychotiques. Aujourd'hui, on rencontre de nouvelles problématiques pour lesquelles on met en place une prise en charge plus sereine. » Un cadre d'exercice bien différent, reconnaît Roland Coutanceau : « Dans ce cadre de travail, tous les professionnels sont en situation plus active, stimulante. C'est une tout autre pratique. »

Le cadre de travail est innovant, mais le public n'est pas sans poser question aux deux infirmières. « Au départ, on se demande ce qu'on va trouver, précise Georgie Olivier. Être en contact avec des hommes qui manifestent une agressivité envers les femmes est tout de même particulier. »

1- Enquête nationale menée en 2000, publiée en 2003 par la Documentation française.

témoignage

Proposer des mesures créatives ! »

Roland Coutanceau, psychiatre, propose ses solutions au problème de la violence conjugale.

« Au nom du respect de la liberté individuelle, la société ne s'autorisait pas à aller jusqu'à la mise à distance du mari, comme le prévoit désormais la loi de janvier 2005, remarque Roland Coutanceau(1). Aujourd'hui, le problème interpelle davantage, sort de la sphère privée - beaucoup de gens estimaient qu'il s'agissait avant tout d'une affaire entre adultes, dont l'intimité devait être respectée !

L'affaire Cantat/Trintignant a marqué les consciences... Il faut proposer des mesures créatives, comme l'éviction du conjoint du domicile conjugal(2), pour que les auteurs perçoivent la limite à ne pas dépasser et changent.

Il existe une minorité d'hommes qui comprennent d'eux-mêmes. Un éventail de mesures doit être disponible, de l'admonestation à la médiation en passant par les soins, voire l'incarcération.

Pour moi, trois axes permettent d'être efficace : la judiciarisation, l'obligation de soins et la thérapie de groupe. L'obligation de soins permet un traitement systématisé. La thérapie individuelle va marcher si la personne est sincère, ce qui n'est pas le cas de la majorité. Si elle est dans le déni, le travail en groupe va la surprendre, la toucher. Elle va profiter de ceux qui s'autocritiquent davantage. Je veux souligner également que mon expérience m'a montré que le premier pas pour qu'une femme s'en sorte, c'est d'en parler à son entourage. Sinon, cela favorise la passivité. Quand les proches savent, on voit un net basculement. »(3)

1- Le Défi de l'intimité. À paraître chez Odile Jacob.

2- Comme le prévoit la loi relative au divorce entrée en vigueur le 1er janvier 2005.

3- Un guide, La Lutte contre les violences au sein du couple est disponible pour tous ceux qui sont en contact avec des victimes.

contact

- Antenne de psychiatrie et psychologie légales. Tél. : 01 46 49 16 41 ou contact@psylegale.com.

Catalogue des formations sur

http://www.psylegale.com.

- Ligue française de santé mentale.

Tél. : 01 42 66 20 70 ou sur http://www.lfsm.org.

- Numéro azur sur les violences conjugales : 0810 09 86 09.