Éviter les erreurs (Seconde partie) - L'Infirmière Magazine n° 210 du 01/11/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 210 du 01/11/2005

 

sécurité des soins

Cours

Il faut apprendre des erreurs pour conduire une politique de sécurité des patients. L'étude du travail ou ergonomie, pratiquée avec les équipes, peut y contribuer. Elle nourrit les travaux sur la perception, la vigilance, la communication ou les horaires. Elle permet des recherches participatives sur les erreurs de médicaments, les alarmes et les commandes, l'architecture et les coactivités, les supports d'information.

La crainte des erreurs concerne un peu moins de 69 % des infirmières dans les dix pays d'Europe de l'étude Presst-Next(1). Cette appréhension est plus vive en France, où plus de 86 % des infirmières déclarent connaître la crainte des erreurs. Cette proportion y est encore plus grande (93 %), selon l'enquête de la Direction de la recherche de l'évaluation et des études statistiques(2).

PERCEPTION DES INFORMATIONS

Théorie mathématique, l'analyse en termes d'information aide à formaliser les communications entre des sources émettrices, hommes ou machines, et des récepteurs. L'information est émise par une source, sous forme de messages. Son unité de quantification est le bit. Il est égal à la quantité d'informations fournie pour le choix d'une alternative pour deux équiprobables. Sa probabilité d'émission, ou non, peut prendre deux valeurs distinctes, généralement 0 et 1.

Analyse des tâches infirmières. L'être humain peut être considéré comme un canal de transmission de l'information, dont la capacité simultanée est de l'ordre de 2 à 3 bits, selon les tâches, les situations et les sujets. Cela explique qu'il soit difficile, même pour une infirmière, d'avoir présent à l'esprit plus de sept séries d'informations en même temps. La connaissance de ces limites présidera à la conception et l'aménagement des locaux, notamment pour les transmissions orales, afin de réduire le « bruit » qui parasite la réflexion. Elle servira de critère à la conception des dispositifs de présentation d'informations. Elle est utile pour comprendre l'organisation du travail. Une infirmière peut ainsi travailler par plans de soins individuels tant qu'ils concernent au maximum six ou sept malades. Au-delà, l'infirmière se réfère à des regroupements de tâches : prélèvements, perfusions, injectables, médicaments oraux, pansements, préparations préopératoires...

Processus de prise d'information. La perception est constituée de l'ensemble des mécanismes de codage et de coordinations des sensations visant à leur donner une signification.

Trois mécanismes liés. Il est difficile d'établir une distinction nette entre la prise et le traitement de l'information. Dans une simple tâche quotidienne, de nombreux liens d'interdépendance lient ces processus. On peut toutefois distinguer grossièrement trois types de processus dans la perception.

Détection d'un signal ou d'une information. C'est sa « découverte » par le sujet au sein d'un « bruit » éventuel, susceptible de le masquer. La sensation se situe à ce niveau.

Discrimination. C'est identifier un signal ou une information parmi d'autres.

Interprétation. C'est la compréhension opératoire, l'intelligibilité, la signification que le sujet accorde à l'information, détectée et discriminée. Ces processus constituent rarement trois temps distincts.

Ce sont plutôt trois niveaux d'analyse. Car l'interprétation est toujours présente, même au niveau de la détection. En revanche, le sujet peut détecter l'existence ou l'apparition d'un signal sans être capable de l'identifier correctement ou de lui accorder une signification.

Dispositifs de signalisation visuelle et ergonomie. Il est rare qu'une prise d'informations soit rendue difficile, parce qu'elle se situe en-deçà du seuil limite de sensation : signal à peine visible, alarme sonore peu audible... En revanche, il est utile de connaître les gênes agissant sur la détection.

Recherche de l'information pertinente. L'évaluation du degré de pertinence des informations disponibles, pour un opérateur et pour une tâche donnés, est une phase cruciale de l'analyse du travail. Parmi toutes ces informations, certaines sont utiles, voire indispensables, quels que soient les modes opératoires utilisés. D'autres n'ont d'intérêt que dans certains cas. S'il faut faire des choix dans la présentation des informations, il importe de les hiérarchiser. Quelles sont les informations les plus importantes ? Où apparaîtront-elles le mieux ? Quant aux informations inutiles, voire gênantes, elles seront écartées au profit des prioritaires. Ceci vaut pour les cadrans, les supports papier, les panneaux d'affichage, la présentation sur écran... Ainsi, l'installation d'une salle de soins avec surveillance de scopes sera fondée sur une réflexion sur des emplacements au centre du champ de vision, des signaux visuels doublés de signaux auditifs, etc.

Normes Afnor et lisibilité. Les difficultés de discrimination du signal visuel ont fait l'objet de maintes études ergonomiques. En mai 1978, elles ont conduit à l'élaboration de la norme Afnor X 35-101 sur les « principes ergonomiques de signalisation applicables aux postes de travail ». Des chapitres de cette norme concernent les « conditions de détection » (4-3-1) et les « conditions d'identification » (4-3-2). Elles pourraient être appliquées à la lecture d'un appareil placé dans une chambre de réanimation. On ne placera un moniteur électronique au-dessus de la ligne horizontale passant par l'oeil que si l'appareil est regardé moins de 60 fois par heure. Mais on ne dépassera pas une hauteur située au-delà d'une ligne supérieure de 25° à l'horizontale, même dans ce cas. Cela n'est d'ailleurs possible que s'il s'agit d'un signal indicateur. S'il s'agit d'un signal avertisseur de danger, l'appareil ne peut être placé ni au-dessus de cette horizontale, ni au-dessous d'une ligne inférieure de 30° à cette horizontale. Sur un écran ou un cadran situé à plus de 50 cm de l'oeil, la taille des chiffres ou des lettres doit les rendre lisibles à cette distance. Ces caractères n'auront pas moins de 3,5 mm de haut, de 2 mm de large et de 0,3 mm d'épaisseur. S'ils doivent être lus à une distance supérieure à 1 m 25 - sur un appareil au-delà du lit d'un malade, par exemple - ces tailles seront respectivement de 3,5 mm et 0,5 mm. Enfin, un mauvais contraste avec le fond peut gêner (écran à cristaux liquides, par exemple).

Étude d'une fiche de radiothérapie du patient. La fiche de radiothérapie du patient du Centre médical Rambam, à Haïfa, en Israël, a fait l'objet d'une étude par l'institut de technologie Technion(3). Cette fiche est utilisée pour rassembler des informations et enregistrer les prescriptions de traitements.

Cette recherche comprenait :

- une analyse générale du travail dans l'unité de radiothérapie ;

- une analyse cognitive de la fiche de radiothérapie existante ;

- un travail de conception d'une nouvelle fiche.

L'analyse de cette fiche a mis en évidence de nombreuses incohérences entre sa présentation graphique, l'information requise et sa capacité à guider efficacement les procédures de travail. Ses déficiences pouvaient conduire à des erreurs nombreuses et parfois critiques.

L'analyse du travail a révélé que lorsqu'un élément ou un autre était inutile, la place correspondante était laissée vide sur la fiche. C'est une réponse naturelle et spontanée. Mais elle conduit à des ambiguïtés fâcheuses. Un lecteur peut assumer à juste titre que ce blanc signifie que cet élément n'est pas requis. Une autre interprétation, rare et dangereuse, revient à considérer que cet espace n'est pas rempli, car la prescription spécifique du traitement a été oubliée, au lieu de non nécessaire. L'ambiguïté entre « oublié » et « non requis » peut entraîner une exécution incorrecte du protocole du traitement requis. Les solutions trouvées aux difficultés d'usage cognitif ont servi de base à la nouvelle conception de la fiche.

VIGILANCE

Le mot vigilance, en ergonomie, désigne à la fois une activité et un état. C'est une activité opérationnelle du sujet engagé dans la détection de signaux imprévisibles et de basse intensité. Elle concerne l'attention sélective. C'est d'autre part l'état d'éveil vigile, caractérisé, au plan psychologique, par un niveau élevé de réceptivité vis-à-vis des stimulations de l'environnement, et par la capacité d'y répondre. Un niveau élevé d'activité nerveuse l'accompagne.

Il existe différents indicateurs physiologiques de la vigilance. La fréquence cardiaque ou la conductance cutanée sont influencées par la performance, sans lui être corrélée de façon proportionnelle. Le taux d'adrénaline sanguine ou urinaire diminue en même temps que la performance.

Signaux et stimuli. Les principaux facteurs affectant la vigilance sont la nature des signaux, les modalités de l'activité, l'état physiologique du sujet et l'environnement.

La « conscience professionnelle » ne suffit pas à enrayer la baisse de vigilance dans certaines situations de travail.

Les caractéristiques des stimuli favorisant l'éveil sont l'intensité, la nouveauté et la signification des signaux. Ils provoquent l'attention.

Torpeur et perte de la vigilance en anesthésie. Des « erreurs de fixation » ont été relevées en anesthésie. Un comportement inadapté du soignant persiste, alors que la situation se dégrade parfois de façon prononcée. Les signes critiques sont niés. C'est souvent la venue d'un collègue, faisant apparaître les signes négligés, qui tire le sujet de sa torpeur.

Modalités d'activité. L'attention est aussi affectée par les modalités d'accomplissement de l'activité. Dans les tâches de surveillance monotone, on observe une chute caractéristique de la vigilance et une baisse de la performance après une demi-heure de travail. Les pauses, même brèves, ont une influence bénéfique sur le maintien de la vigilance. Toute source de variation peut aussi briser la monotonie de la tâche, en particulier une activité motrice. Mais des « effets d'interférence » peuvent faire perdre en performance le gain de vigilance éventuel. Ainsi, ranger du matériel à usage unique pour le réapprovisionnement, la nuit, peut être une activité motrice trop complexe pour ne pas perturber la surveillance des scopes d'un poste de soins de réanimation cardiaque.

État physiologique du soignant. L'état physiologique du sujet affecte aussi la vigilance, qui subit des variations plus ou moins périodiques au cours de la journée. L'attention dépend d'abord de la qualité, de la durée et de l'horaire de la dernière période de sommeil. Par ailleurs, l'attention est basse juste après l'éveil et avant l'endormissement. Elle est maximale trois heures et dix heures après le réveil. Le niveau de vigilance est maintenu élevé plus facilement le matin que l'après-midi. Il semble suivre les rythmes nycthéméraux (jour/nuit) des fonctions végétatives (variation de la température centrale...).

Quand les agents de nuit ont froid vers 3 heures ou 4 heures du matin et luttent contre le sommeil, leur vigilance est faible. Une pause comportant une période de sommeil peut être organisée, les soignants se relayant, vers 2 heures du matin.

Cette pause peut améliorer la performance pour les soins réalisés en fin de nuit. Enfin, les journées de travail ne doivent pas être trop longues, afin d'éviter le déclin de la performance.

Vigilance et environnement. D'autres facteurs ont enfin trait à l'environnement. Les stimulations visuelles franches favorisent l'élévation ou le maintien de la vigilance. Les effets du bruit sont complexes. Celui-ci exerce un effet initial de stimulation, suivi d'un effet d'inhibition. La signification des sons joue aussi un rôle majeur. L'élévation de la température ambiante au-delà de valeurs optimales conduit à une baisse de vigilance. Les variations de l'attention liées à la température dépendent aussi du vêtement, de la tâche et des caractéristiques individuelles.

La présence d'autres personnes, même silencieuses et inactives, diminue la baisse de vigilance. Elle n'empêche pas l'endormissement si d'autres facteurs y conduisent. Les soignants soulignent toutefois l'intérêt d'être deux, la nuit, dans une unité.

Sait-on estimer sa propre vigilance ? La nuit, les estimations de la qualité de sa propre vigilance sont très imprécises. La méprise peut atteindre 50 % de la valeur réelle de l'inattention. Encore plus imprécise sur son étendue, elle peut atteindre 60 % de la durée réelle. Des bouffées d'ondes lentes ont été enregistrées chez des soignants travaillant de nuit et portant un holter EEG. Ils n'étaient pas conscients des baisses de vigilance enregistrées(4).

ERREURS DE MÉDICAMENTS

Un très grand nombre d'erreurs sont possibles à chaque étape, de la prescription à la prise d'un médicament.

Recherche participative. Une des premières études sur les erreurs de médication à l'hôpital a été publiée en 1960 par Safren et Chapanis(5). Ils voulaient étudier le « phénomène erreur » avec la participation des soignants. Cette recherche-action participative porte sur 178 erreurs de médication recensées sur sept mois.

Les trois quarts de ces erreurs étaient liés à des difficultés de communication, de transcription d'informations, de lecture des prescriptions et indications écrites. On observait une augmentation du taux d'erreurs aux heures de délivrance des médicaments (10 h, 16 h et 22 h). Mais le seul pic dépassant un total de 15 erreurs est l'horaire de 10 h (25 erreurs), le moment le plus stressant pour ces équipes. L'analyse des fréquences des interruptions montre que c'est à cette occasion aussi que les tâches interférentes et les pressions temporelles sont les plus gênantes.

Erreurs et lisibilité des étiquettes. La lisibilité des étiquettes de médicaments est souvent insuffisante pour les soignants les plus âgés. L'urgence et la multiplicité des tâches peuvent rendre inopérantes les procédures théoriques de vérifications multiples. Cette lisibilité de l'information sur les étiquettes laisse encore à désirer. Des recommandations ont été établies pour concevoir des informations, lues à moins de 50 cm, aisément perceptibles : lettres d'au moins 2,5 mm contrastant bien avec le fond, support non brillant. L'examen de l'étiquetage des médicaments de la pharmacie centrale d'un grand hôpital parisien avait été mené il y a quelques années. L'analyse avait porté sur 240 formes orales sèches et 364 médicaments injectables. Pour les formes sèches, l'analyse du support et de la taille des caractères montrait que seulement 36 % des présentations étaient adaptées, réunissant support non brillant et taille de caractères supérieure ou égale à 2,5 mm. Si l'on joint le critère de la présence d'une information unitaire complète, seulement 6 % des 240 produits convenaient. De même, la hauteur des caractères de 364 médicaments injectables était inférieure à 2,5 mm dans 63 % des cas. L'écriture directe sur l'ampoule pouvait gêner fortement. La présentation des médicaments s'est peu améliorée depuis cette étude.

« Presque erreurs ». En 2005, une étude basée sur le recensement et l'analyse des erreurs de lecture d'une étiquette, de choix du médicament ou de son dosage, était présentée au 1er Congrès mondial Système de santé, ergonomie et sécurité du patient, organisé à Florence(6). Elle était réalisée par le groupe « risque clinique » de l'hôpital Mugello, près de Florence, en Italie, dans le cadre de son programme d'évaluation des risques.

Ce groupe s'est attaché à identifier les principales tâches critiques. L'administration des médicaments a fait l'objet d'une attention particulière. Les « presque erreurs » ont été recensées. Un groupe pluricatégoriel réunissant des infirmières, des médecins et des pharmaciens, a été créé. Les recherches des causes ont notamment porté sur les erreurs de calcul, sur le dosage ou sous-dosage du traitement, et sur les modes d'administration.

Un cas de « presque erreur » survenu aux urgences a été consigné et étudié. La présentation du Lanoxin® en intraveineuse avait changé. Les boîtes d'ampoules de 0,5 mg/2 ml étaient remplacées par celles d'ampoules de 0,25 mg/ml. La presque erreur consistait à continuer d'administrer, par habitude, une demi-ampoule en intraveineuse au lieu d'une. Dans pareil cas, le fabricant devrait concevoir une ampoule de forme différente de la précédente. Par ailleurs, la nécessité d'améliorer l'aisance dans l'usage des unités de mesure (ml, mg, mEq), et celui des calculs simples comme les proportions arithmétiques, a été soulignée par le groupe.

ALARMES ET SÉCURITÉ DU PATIENT

Les alarmes auditives doivent favoriser la sécurité. Elles sont souvent mal conçues. Des études ergonomiques montrent qu'il existe trop de types différents d'alarmes sonores dans les blocs opératoires et les unités de soins intensifs. La charge et la complexité du travail dans les hôpitaux rendent pourtant cruciales la conception ergonomique de l'ensemble des alarmes d'un service.

Ergonomie des dispositifs de signalisation auditive. Les alarmes sont souvent trop nombreuses et difficiles à saisir et à mémoriser, donc à localiser en raison de leur structure acoustique. Certaines alarmes peuvent en masquer d'autres, à cause du manque de standardisation et de respect des normes.

Tests ergonomiques de reconnaissance des alarmes. Plusieurs recherches ergonomiques ont fait appel à des enregistrements présentés aux soignants. L'équipe de Loeb(7) n'observe que 34 % d'identifications correctes des alarmes par des anesthésistes et des infirmières anesthésistes. Un quart des erreurs (26 %) provenaient de similarités entre les sons d'alarmes distinctes. Une erreur sur cinq (20 %) résultait des similarités de fonctions et significations entre des alarmes. Selon Momtahan et Tansley, seulement 35 % des infirmières de salle de réveil et 22 % des anesthésistes font des identifications correctes(8).

Fausses alarmes. Dans une unité de soins intensifs généraux, O'Carroll(9) a relevé l'origine et la fréquence des alarmes pendant trois semaines. Seulement huit sonneries sur un total de 1 455 indiquaient un problème à risque potentiellement vital. Un grand nombre de fausses alarmes des moniteurs et des pompes à perfusion était noté. Une réponse commune aux fausses alarmes est de les rendre non fonctionnelles. Selon une étude de Mc Intyre(10), 57 % des anesthésistes canadiens interrogés ont reconnu avoir délibérément inactivé une alarme. Mais c'est un facteur sérieux d'accident. L'usage d'alarmes « intelligentes » ou de la standardisation peut concourir à améliorer la situation.

Norme Iso. Une norme Iso (TC 121/SC 3 N687) a été publiée en 1987 pour la spécification des alarmes utilisées en anesthésie et soins intensifs. Elle prône le respect de principes ergonomiques :

- un petit nombre d'alarmes sonores - moins de 10 - pour être mémorisées aisément ;

- des alarmes distinctes - par leur spectre sonore, leur rythme... - pour ne pas être confondues ;

- des alarmes audibles, c'est-à-dire entre 10 et 15 dB au-dessus du bruit ambiant ;

- un volume correspondant si possible au niveau d'urgence de la situation signalée. Les alarmes continues sont plus difficiles à mémoriser. Elles peuvent facilement masquer d'autres signaux et perturbent la communication verbale. Momtahan cite le cas de l'alarme d'un moniteur cardiaque masquant celle d'un oxymètre de pouls.

Dans maintes études, les erreurs d'identification des alarmes sonores n'ont pas eu de conséquences dramatiques grâce aux systèmes visuels aidant à l'identification des alarmes.

Mais ces difficultés constituent un risque, ainsi qu'une source de stress et d'augmentation des délais de réponses des infirmières. Beaucoup reste à faire pour mettre en pratique ce que l'on sait des alarmes dans les services.

ERGONOMIE DES COMMANDES ET MATÉRIELS

On peut distinguer deux types de problèmes en matière de commandes : le choix des « bons » dispositifs, et la compatibilité d'une commande et d'une signalisation associées. Une norme sur le choix des commandes (NF X 35-105) existe depuis 1981.

Compatibilité. Des systèmes de signalisation et de commande sont compatibles si la réponse des opérateurs est associée au signal correspondant avec le maximum de précision et de rapidité. Dans le cas d'un bouton et d'un affichage sur cadran, la manipulation du premier et le mouvement de l'autre doivent se faire dans le même sens et à la même vitesse. En effet, la compatibilité augmente en fonction du degré d'isomorphisme spatiotemporel (communauté de structure) entre l'ensemble des stimuli et l'ensemble des réponses associées.

Dans un même service, deux appareils doivent présenter la même association commande-action. Une infirmière a été jugée pour une erreur dramatique liée à la confusion des commandes entre deux nutripompes du même service. Le même mouvement de rotation d'un bouton correspondait à un débit en une heure pour l'une et en vingt-quatre heures pour l'autre.

Stéréotypes. La notion de stéréotype désigne une liaison sensorimotrice spontanée, fortement majoritaire dans une population, entre un type de signalisation et la réponse correspondante. Par exemple, près de 80 % des sujets associent l'augmentation désirée d'un flux (air, gaz, liquide, électricité) avec le sens de rotation des aiguilles d'une montre.

Au calme, un soignant a pu apprendre qu'un certain appareil comportait un bouton, pour lequel la rotation en sens inverse correspond à l'augmentation du flux. Même après un apprentissage solide, il suffit d'une situation perturbante (aggravation de l'état d'un malade, soins nombreux...) pour que le stéréotype l'emporte. On tourne ce bouton par erreur dans le sens des aiguilles d'une montre. De tels critères priment pour le choix et l'évaluation des appareils achetés.

HORAIRES ET ERREURS

Le recensement des erreurs et l'étude de leurs causes ont mis en évidence le rôle des horaires.

Rythmes biologiques et capacité de traiter l'information. La répartition des phases du sommeil est tributaire de synchroniseurs internes.

Accompagnant les variations de notre température, maintes fonctions dépendent de nos rythmes biologiques : fréquence cardiaque et pression artérielle, activité endocrinienne, synthèse des protéines, sécrétions d'hormones corticosurrénales et d'hormones de croissance, fixation en mémoire des événements et acquis du jour précédent, réduction du caractère émotionnel des décisions...

La réussite à des épreuves d'habileté gestuelle et cognitive suit aussi un rythme nycthéméral (jour/nuit). Les résultats à de tels tests s'améliorent depuis le matin au réveil jusqu'à un moment de l'après-midi. Ils sont suivis d'un abaissement progressif de cette qualité au cours du travail de nuit, jusqu'au minimum matinal.

Sommeil et vigilance. Les troubles du sommeil existent dans toutes les combinaisons d'horaires comprenant du travail de nuit, que les horaires soient variables ou fixes.

Non compensée, cette réduction du repos s'accompagne de perturbations de la récupération. S'accumulant au cours des nuits consécutives, la dette de sommeil affecte la vigilance, en perturbant l'attention, la performance et la capacité d'adaptation à une situation nouvelle.

Horaires de nuit, performance et erreurs. En général, une dégradation des performances, en particulier des temps de réaction, est notée durant le poste de nuit, spécialement entre 3 heures et 6 heures du matin.

Dégradation des performances observée la nuit. Les effets de l'horaire de travail sur les accidents et les erreurs sont complexes. Tout se passe comme si, la nuit, les accidents étaient plus rares et plus graves. Il faut souligner le rôle :

- de la fatigue, de la baisse nocturne de l'activité du système nerveux central ;

- du manque de précision dans la transmission des consignes au moment des changements d'équipes ;

- de l'existence de situations défectueuses ou dangereuses, insuffisamment compensées ou signalées lors du départ de l'équipe précédente ;

- de la plus grande difficulté à agir à temps en localisant l'origine des erreurs ou défauts pouvant provoquer des accidents.

EEG des infirmières de nuit et pratique du sommeil polyphasique. Des approches positives de la prévention de l'hypovigilance et du risque d'erreur, par la pratique du sommeil polyphasique, existent. Une étude menée en France par des infirmières a permis de comparer, à l'aide de holters EEG, la vigilance de deux groupes de neuf infirmières(4).

Celles du premier groupe pratiquaient, contre la somnolence, le sommeil polyphasique, contrairement à celles du groupe témoin. Chez les infirmières du groupe témoin, qui ne dorment pas, les tracés EEG de la première nuit montrent que huit infirmières sur neuf connaissent des troubles de la vigilance entre 2 heures et 4 heures du matin. Leur durée varie de 40 à 140 min.

Elles présentent des tracés d'endormissement, le plus souvent du stade III, parfois du stade IV. La seconde nuit, six sur neuf connaissent des troubles de la vigilance, d'une durée moyenne de 49 minutes, entre 2 heures et 4 heures du matin. Aucune n'est consciente de l'importance de son hypovigilance.

Pour éviter la somnolence, il était recommandé aux infirmières du premier groupe de pratiquer le sommeil polyphasique. Il s'agit de dormir aux moments d'hypovigilance : sommeil ultra-court (40 à 45 minutes) entre 1 heure et 2 heures du matin pour les « couche-tôt » ; entre 3 heures et 4 heures pour les « couche-tard ».

La première nuit, huit sur neuf peuvent appliquer cette consigne. Le sommeil dure en moyenne 75 minutes, entre 2 heures et 4 heures du matin. Les différents stades de sommeil sont atteints. La seconde nuit, neuf peuvent bénéficier d'un repos de 83 minutes en moyenne.

Face aux risques d'erreurs liés à l'hypovigilance, l'encadrement devrait, selon les auteurs, chercher à aménager un repos pendant le travail de nuit.

Horaires alternants et somnolence. Le travail en équipes alternantes est associé à une augmentation subjective, comportementale et physiologique de la somnolence(11). La somnolence est prononcée durant l'équipe de nuit. C'est un signal prévenant qu'un endormissement peut suivre. Il faut en tenir compte.

Les épisodes d'hypovigilance, et leurs conséquences, ont été décrits par 635 infirmières du Massachusetts(12). La somnolence au travail survient au moins une fois par semaine chez 35 % de ces infirmières travaillant en alternance la nuit, chez 32 % de celles de nuit fixe, et chez 21 % des infirmières du matin ou d'après-midi lors du travail occasionnel de nuit. En équipe du matin ou d'après-midi, ce problème concerne moins de 3 % d'entre elles.

Les accidents et erreurs survenaient deux fois plus chez les infirmières en horaires alternants avec nuit que chez celles travaillant le matin et l'après-midi (odds ratio presque doublé : 1,97). Il s'agissait d'erreurs de médication ou de procédure de travail, d'accidents de travail ou de voiture sur le trajet, liés à l'endormissement.

Mémoires et recherches. Les erreurs ne doivent pas rester un sujet tabou. Elles doivent faire l'objet de mémoires d'étudiants infirmiers et de cadres, mais aussi de recherches pluricatégorielles dans les services hospitaliers français.

Les « presque erreurs »

Au cours de 500 heures d'observations de 62 postes de huit heures, trois étudiants ont observé 114 « presque erreurs »(1) à l'hôpital Soroka, à Beer Sheva, en Israël. Leurs causes étaient environnementales pour 79 % des erreurs en néonatalogie, et pour 91 % en unités de soins intensifs pédiatriques. Les plus fréquentes provenaient de l'accumulation de matériel autour du lit (19 %), de la conception des équipements médicaux (21 %) et des documents à remplir (19 %). La charge physique et mentale de travail était la cause organisationnelle la plus fréquente. Les vices de communication restent le facteur humain le plus cité (27 % du total).

1- Tourgeman-Bashkin et col., 2005, publié dans(3).

Coactivités, erreurs et architecture

Il est fréquent qu'une infirmière se murmure à voix basse ce qu'elle fait pour limiter le risque d'erreurs. Des ergonomes ont analysé les activités en fonction de l'architecture, des coactivités et coopérations des soignants. Les personnes entrant et sortant du poste de soins entre 8 h 30 et 14 h 15 ont été observées par Sechi(1). Pendant les deux tiers de ce temps, de six à neuf personnes y sont présentes. La zone libre de mobilier de la partie arrière, dite « technique », mesure 4 m sur 80 cm. Quatre personnes au moins y sont présentes simultanément pendant plus de la moitié de l'observation. La zone avant, dite « administrative », mesure 4 m sur 3,50 m. Mais elle se trouve encombrée de chariots. Il est impossible de s'y asseoir face à face pour parler des malades. Deux sièges se trouvent devant la banque d'accueil. Au moins quatre personnes se trouvent dans cette zone durant les quatre cinquièmes d'une matinée d'observation. Six personnes, voire plus, s'y trouvent durant plus de la moitié du temps. Un aménagement permettra aux échanges et fonctions techniques de ne plus être antagonistes. En 2005, des observations ergonomiques menées dans des pharmacies de services ont mis en évidence les risques d'erreurs liés à des coactivités(2). Le poste de préparation des médicaments était situé dans un espace ouvert, près du poste infirmier. La nouvelle pharmacie de service est conçue avec un système de contrôle électrique des entrées pour favoriser un espace sans distraction durant la préparation des traitements.

1- Sechi, 1994, cité dans(4).

2- Straucher et col., 2005, publié dans(3).

Transmissions

Les transmissions ont été analysées dans un hôpital du sud de la France(1). Le service de pneumologie avait organisé des horaires coupés nécessitant cinq transmissions. Les transmissions pour chaque malade ne dépassaient jamais 43 secondes. Mais la durée totale des transmissions était de 1 h 58 par 24 heures. En pédiatrie dans le même hôpital, les transmissions duraient au total 1 h 06 par jour. Le temps moyen de transmission par malade y atteignait 54 secondes le matin, 82 l'après-midi et 78 secondes le soir. Un temps de parler d'un patient deux fois plus long favorise sa meilleure prise en charge globale. L'exiguïté des espaces où se déroulent les transmissions, ainsi que la fréquence des interruptions liées aux passages de personnes non concernées, devaient faire l'objet d'améliorations.

1- Cantet, 1994, cité dans (4).

Faut-il supprimer les tableaux muraux ?

Les tableaux ou planifications murales ont fait l'objet d'observations et analyses ergonomiques dans un service d'urgences de Floride(1). Les auteurs rappellent que l'usage de ces tableaux « a été spontanément développé par les soignants ». La mode de l'informatique pousse à les supprimer. Or, dans ces urgences organisées en cinq zones, ce sont les équipes des trois zones les plus débordées qui utilisent ces panneaux muraux blancs. Une des observations a porté sur l'usage du tableau en début de prise en charge d'un patient. Il est alors utilisé par l'infirmière de tri, le cadre infirmier, qui assigne les patients aux infirmières, le chef de service, qui les assigne aux médecins, et par la première infirmière et le premier médecin rencontrant le nouveau patient.

Les notations et symboles utilisés par les soignants ont été étudiés. Ces observations ont été complétées par des photos, des entretiens semi structurés avec les soignants et des groupes de travail. Ces tableaux constituent des aides individuels à la mémorisation des tâches. Ils favorisent une cognition partagée : infirmières et médecins font souvent des conjectures sur l'état d'un patient. Ils facilitent la planification et offrent des informations synchrones et asynchrones entre les membres de l'équipe. Ils favorisent une information générale sur la situation de l'équipe. « Cet établissement envisageait de remplacer ces tableaux par des tableaux d'ordinateurs, notent les auteurs. Nous avons pu conduire des observations similaires après les premiers remplacements. Elles permettront d'évaluer l'opportunité réelle de ces suppressions. »

1- Wears et col., 2005, publié dans(3).

Notes

1- Estryn-Béhar et col., Santé et satisfaction des soignants au travail en France et en Europe - Prévention des départs prématurés de la profession.

2- Le Lan et Baubeau, 2004, Les conditions de travail perçues par les professionnels des établissements de santé. Études et résultats, 335.

3- Auerbach et col., 2005, dans Healthcare systems Ergonomics and Patient safety - processions of the International conference HEPS, Florence, Italy, 30th march.

4- Anglade et col., 1994, cité dans Estryn-Béhar M., Ergonomie hospitalière : théorie et pratique, 1996, Estem.

5- Sarfen et Chapanis, 1960, A critical incident study of hospital medication errors, Hospitals JAHA, vol. 32-35, 53-68.

6- Banfi et col, 2005, publié dans (3).

7- Loeb et col., 1990, cité dans (4).

8- Momtahan et Tansley, 1989, cité dans (4).

9- O'Carroll, 1986, cité dans (4).

10- Mc Intyre, 1985, cité dans (4).

11- Akerstedt, 1988,, cité dans (4).

12- Gold et col., 1992, cité dans (4).

Risques et dossier informatisé du patient

La sécurité du patient dépend de l'accès rapide à l'information utile. Il en est ainsi pour les dossiers informatisés du patient. Les informations des systèmes de santé et de soins doivent être disponibles pour des utilisateurs ayant divers types de capacités, d'intérêts et d'expertise. Les informations du dossier informatisé du patient ne sauraient être moins accessibles que celles des autres documents électroniques.

Le nombre de pages écran devant défiler compte, comme le délai entre chacune. La conception de ce dossier doit au moins suivre les recommandations d'accessibilité pour les documents électroniques accessibles via Internet.

Elles relèvent de maints organismes, comme l'Initiative d'accessibilité Internet W3C-WAI (Web Accessibility Initiative), la Commission européenne ou le Congrès américain. Il faut adapter un outil comme le dossier électronique du patient à la diversité des utilisateurs, des tâches, des contextes d'usage, des médias d'accès. Une étude sur sa maniabilité a fait l'objet d'un consensus international établi par un groupe d'experts. Dans divers pays d'Europe, ces dossiers ont fait l'objet de diverses analyses méthodologiques.

Quatorze recommandations ont été retenues. Leur oubli rendrait impossible ou difficile à un ou plusieurs groupes d'utilisateurs l'accès à l'information du dossier. L'application de ces principes en est à ses débuts dans le secteur de la santé. S'appuyant sur des scénarios issus d'expériences déjà menées dans des hôpitaux européens, le projet IS4All est un des premiers d'une telle ampleur.