« J'accueille les adolescents en situation de détresse » - L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005

 

Psychiatrie

Questions à

Créée en 1999, la Maison des adolescents, unité du groupe hospitalier du Havre, accueille des adolescents et des jeunes en situation de détresse. Nombre de structures qui s'ouvrent aujourd'hui s'inspirent de son expérience pionnière. Rencontre avec un des piliers de la maison.

Qu'est-ce qui a présidé à la création de la Maison des adolescents ?

Le besoin d'une structure de soins dédiée aux adolescents s'est fait jour au début des années 80. À la fin des années 90, outre l'augmentation des hospitalisations de jeunes, plusieurs indicateurs sanitaires - taux de suicides et de grossesses - sont venus rappeler la souffrance psychique des jeunes. Ce constat s'inscrivait dans un contexte économique, social et sociologique local difficile. Des acteurs locaux se sont réunis durant un an pour imaginer la prise en charge de cette souffrance. De cette synergie est née la Maison des adolescents. Affranchie de la sectorisation psychiatrique, elle accueille des jeunes âgés de 13 à 20 ans. Son activité s'articule autour de trois pôles : les consultations, les visites à l'hôpital et le CATTP(1).

Quel est votre rôle ?

Je fais partie de l'équipe mobile de la structure. Mobile, parce qu'à la demande du service de psychiatrie et de pédiatrie de l'hôpital du Havre, nous allons régulièrement dans ces unités à la rencontre des jeunes venant d'être hospitalisés. Nous établissons un premier contact et leur proposons de venir nous voir au sortir de leur séjour. Notre démarche ne les engage en rien, elle a pour vocation de réamorcer un dialogue et de leur laisser le temps de cheminer vers nous. Au sein de la maison, j'accueille les adolescents en première intention. Ils sont reçus par des infirmières, psychiatriques ou non, ou par des éducateurs spécialisés. Les entretiens cliniques sont fondés sur l'écoute et la relation d'aide. Quatre à six séances permettent aux jeunes de décrypter l'origine de leurs difficultés. Parfois, la prise en charge s'arrête là, mais elle peut se poursuivre. Je suis ainsi quelques jeunes depuis plus d'un an. À l'issue de cette première étape, et en fonction du diagnostic, je les oriente vers un ou plusieurs membres de l'équipe : psychiatre, psychologue, pédiatre, gynécologue, nutritionniste...

Quel est l'intérêt de la pluridisciplinarité ?

Elle est essentielle, car, si la prise en charge est individualisée, les réponses apportées aux jeunes patients sont le fruit d'une réflexion collective, d'un travail d'équipe et d'échanges permanents. Même en dehors des temps de réunion, nous ne parlons que d'eux. Chaque intervenant sait où en est son collègue, évitant ainsi le risque de s'enfermer dans une relation.

Quelles sont vos relations avec les parents ?

Je ne travaille pas avec les parents, par crainte de briser le lien de confiance avec le jeune. Certains membres de l'équipe le font, au moins lors du premier rendez-vous et avec l'accord du jeune. Ce choix résulte de trajectoires professionnelles différentes. Les parents qui le souhaitent peuvent être accueillis à l'Apa (Accueil parents d'adolescents) qui a été créé, en marge de la maison, il y a un an et demi.

Quel est aujourd'hui le profil de la file active ?

En 2004, nous avons accompagné plus de 1 000 adolescents. À l'origine, la structure avait été dimensionnée pour en prendre en charge 600... À l'automne 2005, nous comptions plus de 1 200 jeunes (dont 58 % de filles), les deux tiers ont entre 15 et 18 ans. Les troubles purement psychiatriques sont stables, seuls 5 à 7 % des jeunes vont entrer dans une filière de soins psychotiques. Quelque 16,2 % sont suivis pour des troubles scolaires, 19,3 % pour des troubles familiaux et 9,8 % à la suite d'une tentative de suicide.

Pourquoi un tel « succès » ?

D'une part, la Maison des adolescents est désormais identifiée par les professionnels. Environ 21 % des nouveaux arrivants sont orientés par l'Éducation nationale et près de 20 % par des médecins libéraux. D'autre part, le bouche à oreille fonctionne bien entre les jeunes. Vingt-cinq pour cent des ados viennent ici de leur propre initiative. Enfin, sans doute répond-elle à un besoin qui jusqu'à maintenant n'était pas satisfait. Les adolescents sont, en effet, en quête d'écoute et de dialogue. Ici, ils trouvent les deux.

1- Centre d'accueil thérapeutique à temps partiel.

Françoise Pigeon Infirmière de secteur psychiatrique

Diplômée en 1983, Françoise Pigeon exerce d'abord à Sotteville-lès-Rouen (76) dans un service de psychiatrie. Elle pratique ensuite au domicile des patients, puis en hôpital de jour. En 1993, elle rejoint le groupe hospitalier du Havre pour travailler en pavillons d'hospitalisation, puis aux urgences psychiatriques durant trois ans. Sensible aux maux des ados, elle rallie le CATTP(1), un des pôles de la Maison des adolescents, et en 2004, elle intègre l'équipe mobile.