« Je donne, donc je suis... » - L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005

 

Vous

Vécu

Enfin une rubrique tout entière dédiée à votre prose. Empreints d'humour, d'émotion, de tendresse, vos témoignages sont désormais publiés dans la rubrique « Vécu ». Les textes peuvent être adressés via notre messagerie électronique (atronchot@groupeliaisons.fr) ou par courrier. À vos stylos !

Donner, un verbe qui fait trembler certains, rire d'autres, et qui laisse parfois indifférent. Et pourtant un verbe plein d'espoir, de sourire, de larmes, de peurs et de souffrance. Un vrai poème à lui tout seul. Le don, le partage sans limite, l'empathie, l'ouverture aux autres, la crainte et à la fois l'excitation de se jeter dans un monde inconnu où le risque de ne rien recevoir fait frémir. Le verbe « donner », je l'attribuerais à la formation que je suis. Je veux être infirmière. Je veux soigner, je veux aider, je veux écouter, je veux entendre. Je travaille dans un univers où règnent la maladie, la souffrance, la douleur, la peur, la mort. Je rencontre des enfants sans parents, des femmes battues, des hommes paralysés, des personnes âgées en mal d'affection, des cancéreux, des séropositifs, des sidéens, des amputés et des gens qui attendent la dernière seconde. Alors, quelle est la place du don dans cet univers-là ?

ça m'épuise

Depuis presque un an et demi, j'apprends à soigner. À soigner avec le même regard pour tout le monde. Cela est très difficile. Il y a l'injustice, la crainte d'être jugée sur son travail, la peur de mal faire et puis et surtout l'impuissance. Cette impuissance que je ressens à chaque fois que mon soin est inutile, qu'il est mal fait, que le patient cache sa douleur quand je suis près de lui, à chaque fois que j'essaie de trouver les bons mots et que finalement j'ai envie de prendre mes jambes à mon cou et de courir tellement mon perfectionnisme me ronge. Dans ces moments-là, le don est comme invisible, très peu palpable. Je l'offre mais je ne m'en aperçois pas et ça m'épuise.

Mais quand l'enfant crie, quand la femme enceinte vient de perdre son bébé, lorsque je reçois un merci, un sourire, un regard plein de reconnaissance, une poignée de mains ou même que je vois encore un visage détendu, alors là, je peux toucher du doigt le don. Le partage est intense, ça fait grandir le coeur, le fait bondir, me transporte dans une galaxie de joie, cela me rassure et fait disparaître mes craintes et incertitudes. La paix entre en moi et me donne force et courage pour lutter et continuer à donner, sans limite.

Dans mon univers, donner est indispensable, voire vital. Je donne, donc je suis, pour moi, c'est une philosophie. Un guide qui permet de ne pas oublier pourquoi je suis là, pourquoi je me bats pour réussir ma formation, pourquoi je prends des risques quand je me laisse psychologiquement toucher par les flots d'émotions que je vis. Donner est une affirmation, non une question car le don n'attend rien en retour. J'ai grandi depuis que j'ai commencé l'école, j'ai appris à donner d'une façon différente, de manière désintéressée. J'ai pris de l'assurance, mais je m'aperçois aussi que j'ai des limites, que je ne peux pas tout donner, que je ne peux pas me donner.

un des plus beaux métiers

Donc, dans mon univers, donner est le verbe qui conjugue les actes de mon futur métier. J'en suis très fière car il fait partie de moi. Sans lui, je ne ferais pas ce que je suis en train de faire aujourd'hui. Il me permet de me rendre utile, de me rendre efficace, joyeuse, confiante, de mieux me connaître mais également de mieux connaître le monde qui m'entoure.

Ce que j'espère, c'est qu'il restera ma force tout au long de mon parcours, qu'il ne m'abandonnera pas, que je puisse donner le plus longtemps possible sans oeillères, sans souffrance, sans résistance et sans contrainte, avec la même conviction que le métier que j'apprends est l'un des plus beaux du monde.