Les usagers battent la campagne - L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005

 

Médias

Éthique

Surannée ? Trop autoritaire ? La récente campagne de la Fédération hospitalière de France, destinée à lutter contre les incivilités des patients à l'hôpital, suscite la controverse.

« Nous ne voulons pas jeter de l'huile sur le feu, prévient d'emblée Nicolas Brun, coordinateur du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), qui rassemble 23 associations d'usagers et de patients. Cependant, avec ses affiches la FHF vient de remettre à jour un concept erroné : d'un côté, le soignant fort de son savoir et de son pouvoir ; de l'autre, le malade qui doit prendre son mal en patience et se taire. Dès lors, quelle peut être la place du dialogue dans cette relation ? »

valeurs communes

Au coeur de la controverse, la première campagne de communication initiée, en septembre dernier, par la Fédération hospitalière de France (FHF) pour lutter contre les incivilités des usagers de l'hôpital à l'endroit des professionnels de santé(1). Trois visuels témoignent, sur un ton caustique, que si l'attente est longue, ce n'est pas parce que les soignants vaquent à leurs loisirs favoris mais qu'ils travaillent pour le bien des patients. Un slogan accompagne le tout : « On fait notre maximum. Restez poli, au minimum. » Deux lignes en caractère plus discret rappellent que « toute agression physique ou verbale envers le personnel hospitalier est passible de poursuites judiciaires ».

Pour Jean Vils, chargé des droits des usagers et des relations avec les associations à l'Hôpital européen Georges-Pompidou, la relation entre usagers et soignants ne peut se borner à opposer les droits et les devoirs des uns aux droits et devoirs des autres. « Ce n'est pas en s'appuyant sur un humour grinçant et culpabilisant, dit-il, que la prise en charge des patients et les conditions de travail des personnels vont s'améliorer. À mon sens, plutôt que de pacifier les rapports, ce type de communication ne fait qu'attiser les tensions. Je m'étonne que Claude Évin(2) l'ait cautionné sans concertation préalable. »

rassurer les soignants

Philippe Miet, qui anime la réflexion éthique au sein de l'Association des paralysés de France (APF), avance une hypothèse pour justifier la posture rigide adoptée par la FHF, sans nier les débordements de la part de certains usagers. « J'ai la sensation que cette campagne vise d'abord à rassurer les soignants. D'une part, elle justifie qu'ils travaillent, mais qui en doute ? D'autre part, en donnant ou rappelant que les usagers avaient des droits, les textes réglementaires, parus depuis quelques années, ont rééquilibré l'asymétrie entre soignants et soignés, et je crois que cette incursion du droit dans la relation est globalement mal vécue par eux puisqu'elle remet en cause leur pouvoir. » Et de conclure : « Ces affiches ne signifient qu'un constat. Il serait primaire d'en rester là. Il faut reconstruire sur des bases partenariales afin de déterminer un message commun. » Usagers et professionnels de santé auront, sans doute, tout à y gagner.

1- « La FHF contre l'incivilité », L'Infirmière magazine n° 209, octobre 2005, p. 14.

2- Claude Évin, ex-ministre de la Santé, est président de la FHF.

TÉMOIN Éliane Thieffry, cadre supérieur infirmier.

« Un message pertinent »

« L'hôpital n'est pas le seul espace où les incivilités ont cours, c'est un phénomène de société. Cependant, rappeler aux usagers que même dans un contexte difficile pour eux, ils doivent conserver un minimum de politesse et de bienséance à l'égard des soignants me semble aujourd'hui pertinent, estime Éliane Thieffry, cadre supérieur infirmier des urgences de l'Hôpital européen Georges-Pompidou. Certes, les affiches de la FHF et le message qu'elles véhiculent peuvent interpeller, voire choquer, mais n'est-ce pas là leur vocation ? Pour ma part, je les apprécie comme un outil de médiation pouvant servir à engager le dialogue entre les usagers et les soignants. Et parmi ces derniers, certains seront peut-être aussi enclins à se questionner sur leur comportement qui, parfois, peut être à l'origine d'incivilités. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'isolément une incivilité ne porte pas forcément à conséquence mais lorsqu'on y est quotidiennement confronté, ce qui est le cas des soignants, elle dévalorise la personne elle-même, son travail et l'institution. »