Quelle reconnaissance professionnelle ? - L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005

 

Entretien

Actualités

Profession

VAE, délégations de compétences, recherche infirmière, Jean Castex, directeur de la DHOS et Danielle Toupillier, son adjointe, répondent aux questions de L'Infirmière magazine.

Dans quelles mesures la VAE va-t-elle représenter une évolution positive pour les infirmières ?

Jean Castex : Tout d'abord, je rappelle que la loi a créé un nouveau droit individuel, celui de faire valider les acquis de son expérience (VAE) pour l'accès aux titres et aux diplômes, notamment ceux à finalité professionnelle. Pour ce qui concerne les infirmières déjà diplômées, exerçant des fonctions dans le champ de certains diplômes d'infirmières spécialisées, tels que puéricultrice ou infirmière de bloc opératoire, c'est une possibilité qui sera prochainement offerte aux intéressées de faire reconnaître les compétences ainsi acquises dans la durée.

Ceci pourrait permettre plus facilement, au cours d'une carrière, de changer de métier, sans avoir à refaire un parcours de formation complet quand les compétences sont réelles et qu'elles ont été validées par un jury. Les personnes devront alors acquérir les compétences manquantes, soit par un parcours de formation, soit par un parcours complémentaire d'expérience.

Où en sont les délégations de compétences ? Quel est le calendrier ?

La première vague d'expérimentations, au nombre de cinq, est terminée. Une évaluation a été faite par la DHOS et l'observatoire du Pr Berland. Les premiers résultats sont très satisfaisants et un rapport d'évaluation sera publié par Yvon Berland dans le premier semestre 2006.

Par ailleurs, nous sommes en train de préparer un deuxième arrêté qui s'appliquera à la deuxième vague d'expérimentations, au nombre de dix. Ces expérimentations concernent particulièrement les infirmières. Cette deuxième vague d'expérimentations se déroulera jusqu'à la fin 2006 et le rapport d'évaluation est attendu au cours du premier semestre 2007. Les attentes et les enjeux liés à la délégation de compétences sont très importants. Nous ne sommes pas aujourd'hui dans l'optique de relancer une troisième vague, à moins que certaines expérimentations complémentaires soient vraiment nécessaires. La généralisation de ces expérimentations devrait avoir lieu en 2007-2008.

Infirmière experte, infirmière clinicienne, infirmière référente ou infirmière de pratiques avancées... Comment et quand comptez-vous reconnaître ces infirmières (déjà reconnues par les établissements) au niveau statutaire, salarial ? À quand la reconnaissance des consultations infirmières ?

Certaines infirmières approfondissent en formation continue l'activité qui est de leur initiative : elles aident ainsi leurs collègues à mieux prendre en charge les patients. Ceci relève d'une modalité du métier qui permet aux plus expertes d'aider les plus jeunes ou celles qui arrivent dans un service, en leur fournissant une sorte de tutorat d'accompagnement à la fonction. Celui-ci permet, en situation, de transférer des savoir- faire d'une génération à l'autre et de contribuer à l'évolution des pratiques professionnelles, dont on ne peut que se réjouir. Par ailleurs, vous savez que la consultation fait partie des activités que nous sommes en train d'expertiser dans le cadre de la suite donnée au rapport du professeur Yvon Berland. Cependant, aucune activité paramédicale n'est à ce jour prise en compte dans le calcul du tarif à l'activité.

L'exercice de la profession d'infirmière exige un renouvellement des connaissances dans un champ professionnel spécifique passant obligatoirement par la recherche. La France est aujourd'hui le seul pays européen à ne pas avoir les moyens de mettre en oeuvre la recherche en soins infirmiers. Pourquoi ce retard ? Comment comptez-vous aider les infirmières qui ont mis en place de vrais travaux de recherche ?

Danièle Toupillier : Au sein du milieu hospitalier, la prise d'initiative d'un groupe d'infirmières travaillant sur des sujets tels que « la recherche sur la charge en soins dans tel type de prise en charge » n'est pas qualifiée de recherche, mais d'étude.

Il est vrai que la recherche en soins infirmiers en France n'est pas très présente au regard des productions et des publications dans d'autres pays. Vous avez cependant des personnes qui y travaillent : la revue Recherche en soins infirmiers contribue notamment à l'avancée dans ce domaine. Le faible nombre d'infirmières engagées dans des formations de haut niveau peut expliquer en partie ce retard. Il est possible que la France n'ait pas encore mesuré l'importance de la question, ainsi que l'apport que pourrait avoir une recherche efficace. Il me semble que les travaux en cours sur la question du LMD pour les professions de santé devraient au moins permettre de s'interroger plus clairement, ensemble, sur cette question. Vous savez que la recherche demande des chercheurs et qu'il faut pour cela une solide formation universitaire.

Pourquoi les textes de la nouvelle gouvernance accordent si peu de place aux soignants, qui représentent 70 % du personnel hospitalier ? N'y a-t-il pas là un risque pour la réussite du changement de l'hôpital ? Qu'en est-il de la place du directeur des soins au sein du comité exécutif ?

Premier point, la communication sur la nouvelle gouvernance s'est déroulée - et probablement de manière excessive - sur le registre d'un rééquilibrage entre les administratifs et les médicaux. Beaucoup de personnels infirmiers ont l'impression que la loi du plus grand nombre n'a pas été appliquée... Il n'en est rien !

Deuxième point important, tout ce qui n'est pas dit dans les textes est autorisé. Les personnels soignants sont incontournables dans les conseils de pôle. C'est pourquoi les cadres supérieurs de santé (ou le cadre de santé s'il n'y a pas de cadre supérieur) et la sage-femme qui assiste le médecin responsable du pôle sont membres de droit du conseil de pôle. Les personnels sont élus et participent à l'élaboration du règlement intérieur, ainsi qu'aux tableaux de bord pour la gestion du pôle : organisation, gestion des moyens structurels et des ressources humaines. Nous avons voulu faire un signe manifeste à la profession infirmière. Le texte est au conseil d'État, il devrait sortir avant la fin de l'année.

De plus, les soignants participent aux projets institutionnels tels que les projets d'établissement, de pôle, de service. Ils procéderont aussi à l'élaboration du projet de soins et à sa mise en oeuvre ; à celle du contrat interne et à sa mise en oeuvre. Enfin, la commission de soins infirmiers, élargie aux médico-techniques et aux rééducateurs, va être partie prenante de l'évaluation des pratiques professionnelles.

Concernant les directeurs de soins, ils ne font pas partie du comité exécutif. Cependant, un bilan a déjà été réalisé et, à ce jour, un point essentiel se dégage : dans plus de 80 % des établissements qui ont participé à l'expérimentation, le directeur des soins est membre du conseil exécutif. La DHOS recom- mande qu'il fasse partie du conseil exécutif.

Quand seront évaluées les expérimentations des organisations en pôles dans les 103 hôpitaux sélectionnés ? Sur quels critères ? Cette expérimentation ne risque-t-elle pas de devenir la règle ? Quelle démarche d'évaluation avait été fixée avant le début de ces expérimentations ?

Une première synthèse de 28 pages, ainsi qu'un complément, ont déjà été faits sur les 103 établissements qui ont participé à l'expérimentation. Il faut considérer que ces établissements sont partis de rien puisqu'aucun cadre de droit n'existait. Les textes qui viennent de sortir corrigent au moins à 80 % les difficultés rencontrées lors de l'expérimentation. D'ici 2007, ces établissements devraient avoir corrigé les difficultés éprouvées lors du démarrage de l'expérimentation.

Comment encourager les infirmières à travailler dans le secteur psychiatrique, particulièrement difficile et en crise ? Quelles solutions le gouvernement va-t-il apporter sur la question de la formation des infirmières à la psychiatrie ?

Le plan santé mentale actionne plusieurs leviers complémentaires pour rendre ce secteur attrayant : le renforcement des moyens humains, l'amélioration des conditions matérielles d'exercice, par le volet investissement du plan et le volet formation, surtout, dans une logique de continuum entre formation initiale et continue, au profit d'une logique de formation tout au long de la vie.

Sur la formation, un enjeu majeur : permettre une meilleure adaptation des contenus de formation à l'exercice infirmier en psychiatrie, dans une période cruciale de renouvellement générationnel fort, avec la nécessité d'anticiper une vague de départs à la retraite importante des professionnels dits de l'ancien diplôme (infirmiers de secteur psychiatrique avant le diplôme unique de 1992).

L'action sur la formation initiale a porté sur une meilleure application des contenus de psychiatrie dans les Ifsi, très inégalement mis en oeuvre (action en cours, circulaire de juillet 2004). Sur la formation continue, nous disposons de deux leviers, avec une formation de consolidation des savoirs et la mise en oeuvre du tutorat, fondés sur une logique de transmission de savoirs cliniques par des infirmiers expérimentés au profit des nouveaux infirmiers en psychiatrie, qu'ils sortent d'école (sic) ou qu'ils viennent d'une autre discipline. Celui-ci sera opérationnel en région début 2006. Le projet de mise en oeuvre a été soumis à concertation des organisations professionnelles le 14 novembre 2005.

La formation consolidation des savoirs est en place depuis 2004. Et puis, l'Association nationale de formation hospitalière (ANFH), à laquelle 85 % des établissements adhèrent, a développé comme l'une de ses trois priorités pour l'année 2006 une formation d'adaptation à l'emploi infirmier qui devrait durer de trois à six mois. Les modules et les thématiques de cette formation sont élaborés en ce moment même. Cette formation est financée sur les crédits de formation continue des établissements.

Avez-vous pris connaissance de l'étude Presst/Next ? Qu'allez-vous faire pour réduire la pénibilité du travail et pour garder les infirmières plus d'une dizaine d'années ?

Jean Castex : Oui, j'ai pris connaissance des travaux réalisés sur la santé et la satisfaction des soignants au travail. Cette étude, qui s'est déroulée dans de nombreux pays en Europe et en France, indique clairement que des améliorations sont à apporter aux conditions de travail des soignants. Je ne puis que souscrire à cette analyse.

Nous avons mis en place, dès 2002, des contrats locaux d'amélioration des conditions de travail (CLACT), dotés de moyens financiers très importants. Nous allons amplifier cet effort dans les années qui viennent mais nous avons besoin, pour cela, d'approfondir les expériences en cours dans les établissements, afin de mieux cibler notre action.

Je prendrai des initiatives dans ce domaine une fois que j'aurai recueilli les propositions des organisations syndicales.

Il existe également d'autres études et je vous engage à regarder les documents publiés en novembre 2004 par l'Observatoire de la démographie des professions de santé (Documentation française). Ces travaux montrent que les infirmières ont une durée de vie professionnelle beaucoup plus longue que celle que vous évoquez, puisque les chiffres sont autour de 28 ou 30ans selon les secteurs d'exercice. Il faut donc apporter des nuances à des données qui ont longtemps circulé sans vérification.

Par ailleurs, la Drees vient de publier une étude dédiée aux premières années de travail des jeunes infirmières. Les données recueillies montrent que ces jeunes ne se sentent pas toujours « mal » à leur travail et souvent mieux que d'autres jeunes de même niveau d'études.

Je crois qu'il ne faut pas avoir d'avis trop tranché sur les conditions d'exercice qui peuvent, en effet, être plus ou moins difficiles. Nous pourrions aussi en France nous pencher sur le concept américain de « magnet hospital », c'est-à-dire ces hôpitaux qui attirent et retiennent davantage leurs personnels parce que ceux-ci s'y sentent bien ».

profil

Curriculum vitæ

> Jean Castex est un ancien élève de l'Ena. Il exerce les fonctions de directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) depuis janvier 2005. Auparavant, il a été président de la chambre régionale des comptes d'Alsace (octobre 2001-janvier 2005), responsable du groupe hospitalier des juridictions financières (coordination des contrôles sur les établissements de santé), secrétaire général de la préfecture du Vaucluse (1er septembre 1999-14 octobre 2001). Entre septembre 1996 et août 1999, il fut directeur départemental des affaires sanitaires et sociales du Var.

> Danielle Toupillier est diplômée de l'ENSP. Depuis avril 1998, elle travaille à la direction des hôpitaux puis à la DHOS en tant que chef de service, adjointe au directeur. Elle a aussi été secrétaire générale de l'établissement français des greffes (de novembre 1994 à avril 1998). Elle a été directeur du centre hospitalier d'Orsay de 1986 à 1990.