Un havre de paix pour les victimes du sida - L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005

 

afrique du sud

Reportage

À Johannesburg, Nkosi's Haven accueille les femmes atteintes du sida et leurs enfants. Un lieu pour se reconstruire et oublier l'ostracisme qui touche les victimes du virus.

Lolo et Sweetepie partagent le même lit, assises l'une près de l'autre. Les deux amies de 21 et 19 ans ne se sentent pas très bien mais pas de quoi passer la journée allongées. Sur le matelas voisin, Maguy, 25 ans. Les traits tirés, le corps décharné, elle a de la peine à se lever. Le sida.

Dans cette maison à la lisière de Berea, un quartier chaud de Johannesburg, la maladie est omniprésente. Les mères de Lolo et Sweetepie, y ont succombé il y a respectivement trois et quatre ans et Zodwa, la soignante, est, elle, séropositive.

Les numéros 23 et 25 de Mitchell Street, propriétés de l'association Nkosi's Haven (« Le refuge de Nkosi »)(1), n'abritent que des femmes et leurs enfants frappés par le virus. Avant d'être recueillies par l'organisation sud-africaine, celles-ci ont subi la tragique escalade du sida dans ce pays : rejet social, abandon familial, perte d'emploi, misère économique. Car malgré un taux de prévalence à 27 % chez les adultes, le sida reste largement tabou dans la patrie arc-en-ciel, surnom de l'Afrique du Sud. Et ce sont les femmes qui en souffrent le plus. Accusées d'avoir contaminé leur entourage, elles se retrouvent souvent rejetées de leur foyer, malades, et sans aucune source de revenu.

Duo improbable

La mère du petit Nkosi, qui a donné son nom à l'organisation, avait vécu ce dénuement. Trop faible, elle avait dû abandonner son bébé en 1990. Gail Johnson, une rousse flamboyante, alors à la direction de l'établissement de santé où l'enfant avait été placé, avait recueilli ce petit garçon de deux ans, séropositif à la peau noire. Leur duo si improbable dans l'ancienne patrie de l'apartheid, s'est alors battu pour les droits des séropositifs, créant, en 1999, Nkosi's Haven, un lieu où les mères atteintes par le virus et abandonnées de tous, peuvent veiller sur leurs enfants.

Depuis, le sida a continué son inexorable progression en Afrique du Sud ; l'ONG s'est agrandie pour accueillir 12 mères et plus de 40 enfants. Et Nkosi est mort. Comme 14 pensionnaires de Mitchell Street, dont le quatrième enfant de Zodwa, un bébé emporté par la maladie l'année dernière. « J'ai déprimé, je ne savais plus quoi faire. Mon assistante sociale m'a alors proposé de prendre des cours de soin à domicile. » Trois mois d'études et elle peut donner les premiers soins, administrer les médicaments, proposer une bonne nutrition et gérer sa toute nouvelle infirmerie. Pour Zodwa, c'est la révélation : « J'adore ce travail. Quand les gens arrivent à Nkosi's Haven, ils sont malades, dans un mauvais état. Et au bout de quelques semaines d'une nourriture équilibrée, ils peuvent courir dans tous les sens ! »

Autogestion

Mais la bonne nutrition seule ne peut combattre le sida. L'arrivée des antirétroviraux en avril 2004, a apporté une bouffée d'espoir à Nkosi's Haven... et des journées très rythmées pour Zodwa. « Chaque matin je me lève tôt pour donner les antirétroviraux à 7 h à deux enfants séropositifs, explique-t-elle, puis je prépare leur petit-déjeuner, et je les envoie à l'école. Ensuite, je m'occupe des mères. Près de dix d'entre nous sont sous antirétroviraux. Je leur fais à manger, et chacune part vaquer à ses occupations sauf celles qui sont trop malades. Ces occupations se partagent entre le ménage, la cuisine, la blanchisserie et la surveillance des enfants. Car la philosophie de Nkosi's Haven est l'autonomie : les femmes recueillies doivent gérer leur maison elles-mêmes.

Stigmatisation

Au fond du grand jardin empli de jeux pour bambins, les pensionnaires de Nkosi's Haven peuvent venir discuter avec Heather, la psychologue du centre, dans son bureau aux murs recouverts de dessins d'enfants. « L'histoire des personnes qui ont atterri ici est souvent très dure, rappelle la psychologue. Certains enfants ont été infectés parce qu'ils ont été sexuellement abusés. Ils ont vu la longue agonie de leur famille. Leurs mères ont connu l'extrême pauvreté, la violence physique et morale, beaucoup ont été violées. La stigmatisation est encore très importante car, au départ, cette maladie a touché les homosexuels et fut associée au sexe. J'essaie de leur faire comprendre le sida. »

Et ça marche. Pour Zodwa, qui est à Mitchell Street depuis cinq ans, la transformation a été radicale. Lorsqu'elle évoque la fondatrice, Gail Johnson, ses yeux s'illuminent. « Ce qu'elle fait est formidable, je lui serai toujours reconnaissante. »

1. http://nkosi.iafrica.com/