Unité sous haute tension - L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 211 du 01/12/2005

 

malades dangereux

Enquête

L'unité pour malades difficiles de Villejuif est une des quatre UMD de France. Ses 75 infirmières tentent de canaliser la violence de « ces patients très spéciaux » quand les équipes de prison ou de secteur n'y arrivent plus. Mais entre sécurité et soins, l'équilibre est bien difficile à trouver.

Depuis qu'en avril dernier un patient s'est échappé de l'unité pour malades difficiles Henri-Colin avant d'être rattrapé par des infirmiers, l'hôpital psychiatrique Paul-Guiraud de Villejuif est entré dans une zone de turbulences.

À la mi-octobre, le constat saute encore aux yeux du visiteur : banderoles demandant le départ du directeur et affiches syndicales « décorent » l'entrée du site et les allées menant aux différents bâtiments. Cette évasion a déclenché un conflit qui perdure encore aujourd'hui entre les soignants et la direction. D'un côté, des infirmiers, en grève en septembre, qui n'acceptent pas que cinq des leurs soient menacés de sanction pour « défaut de surveillance » suite à cet épisode. En face, le directeur qui enclenche la procédure disciplinaire et convoque ces derniers devant le conseil de discipline.

Fin septembre, le conseil d'administration se prononce contre le principe de la sanction. Quelques jours plus tard, le conseil de discipline conseille d'interrompre la procédure. Malgré cet avis, qui est généralement suivi par la direction, le directeur convoque chacun des cinq infirmiers le 7 novembre. Résultat : deux des cinq infirmiers écopent d'un blâme(1).

«Porte explosée»

En réalité, quand le directeur parle de sanction, le personnel soignant évoque les questions de fond : l'évolution architecturale de l'unité depuis sa restructuration commencée en 2003 pour humaniser les lieux, la réorganisation du travail qui l'accompagne et surtout le manque de personnel... Un sujet récurrent puisque déjà, début 2005, une grève avait éclaté sur ce dernier point.

Le rapport rédigé après la fugue du patient (la troisième en dix ans, la première depuis la rénovation de l'unité) par l'agence régionale de l'hospitalisation d'Île-de-France avait d'ailleurs pointé l'absence d'infirmier dans la salle commune au moment des faits. Mais elle avait également noté que « le nombre d'infirmiers est très variable selon les jours ». La faiblesse des matériaux y est aussi constatée. L'agence régionale concluait dans son rapport à une double responsabilité, institutionnelle et personnelle. Mais seuls les infirmiers sont poursuivis...

Étonnant quand le financement initial des travaux, pris sur le budget propre de l'hôpital, n'a pas permis d'installer des portes en aluminium qui ont dû être remplacées par des portes en PVC. Le type de porte qui a été « explosée », selon les termes utilisés dans un tract de l'intersyndicale, par l'évadé.

« Gardiens de prison ! »

Pour l'équipe de 75 infirmiers qui travaille actuellement à l'unité Henri-Colin (selon les chiffres donnés par la direction des soins), c'est le ras-le-bol. « Je suis toujours intéressée par ce travail, confie Annick Naturel, infirmière psychiatrique à l'UMD depuis 15 ans. J'ai toujours du plaisir à voir les patients repartir mieux, pas guéris, mais mieux. C'est plus au niveau de l'organisation, de tout ce qui nous tombe dessus, que ça ne va pas. On nous demande de plus en plus, avec de moins en moins de personnel. Désormais, on nous demande de rester devant les patients qui sont en isolement pendant leur déjeuner. Les deux autres soignants se retrouvent donc seuls pour surveiller tous les autres ! Du coup, on prend des risques tous les jours. Et s'il y a un clash, on est incriminés ! On nous demande d'être des gardiens de prison, de surveiller. Par contre, parler, accompagner, faire un travail de soins efficace, on ne peut plus. »

La plus ancienne UMD

L'enjeu est pourtant de taille. Quels qu'ils soient, les patients ne sont pas voués à rester ad vitam eternam à l'UMD. Ils en sortiront et retourneront, le plus vite possible, parfois un mois après, parfois deux ans plus tard, en secteur ou en prison.

Villejuif est la plus ancienne des quatre UMD de France(2). Construite il y a un siècle, l'unité se trouve tout au fond de l'hôpital Paul-Guiraud. Un haut mur d'enceinte l'isole du reste de l'établissement. Après l'accueil administratif muni d'une porte métallique avec interphone, l'unité pour malades difficiles s'ouvre sur quatre pavillons en brique rouge.

Ces bâtiments se répartissent les différents types de patients selon une prise en charge qui se veut séquentielle. L'unité des « entrants » précède le pavillon intermédiaire (où l'équipe est mixte, ce qui n'est pas vrai dans celle des entrants), avant que le patient soit transféré dans le pavillon de ceux qui vont sortir. La quatrième entité est réservée en temps normal aux femmes, où sont prises en charge celles qui arrivent, celles qui sont stabilisées et les pré-sortantes. « Mais l'unité des pré-sortants hommes étant actuellement en travaux, nous avons des hommes dans notre unité, déplore Annick Naturel. Cela déstabilise notre travail. »

Sauts-de-loup

Chaque pavillon a une cour sécurisée. Les travaux récents ont remplacé les sauts-de-loup par de grandes grilles. « Le sentiment général est que l'on regrette ces sauts-de-loup, souligne Annick Naturel. Avec la vue sur le parc, on n'avait pas l'impression d'être en cage ! Du point de vue de la sécurité, c'était surtout les femmes qui sautaient le petit muret et se laissaient tomber dans le trou mais, vu la profondeur de ce trou, deux mètres environ, elles ne pouvaient pas remonter. Si on nous avait demandé notre avis, les sauts-de-loup auraient été conservés. » Les murs d'enceinte devraient être surélevés. Des détecteurs de présence par infrarouge devraient être également installés. Autre nouveauté : chaque infirmier devrait être équipé d'un bip, a priori pour la fin de cette année. Tous ces travaux devraient être financés par les moyens octroyés dernièrement par l'ARH.

Redonner confiance

Ici, l'équipe accueille des patients dangereux, tous hospitalisés d'office(3). L'unité pour malades difficiles comme dernier recours. Des malades dangereux, pour eux-mêmes mais surtout pour les soignants. « Quand une équipe nous contacte pour nous faire part d'un cas, c'est qu'elle se trouve dans l'incapacité de le canaliser, observe Antonio Sia, infirmier psychiatrique à l'UMD depuis 1987, affecté à l'unité des entrants. Dernièrement, une équipe d'un CHS de Bretagne nous a demandé de prendre en charge un patient qui avait été mis en isolement et qu'elle ne pouvait plus en faire sortir. Il présentait constamment des troubles de l'humeur, un état de délire avec des menaces vis-à-vis des soignants. Après l'accord du préfet, des infirmiers nous l'ont emmené. Il arrive parfois que le patient soit entravé. Le plus souvent, il a bénéficié d'un traitement sédatif. À nous de lui redonner confiance dans les blouses blanches pour qu'il puisse sortir de l'UMD et retourner en secteur. Les personnes que l'on reçoit n'ont plus du tout confiance dans les soins. Logique quand ils ont passé des semaines en isolement avec le plateau qu'on leur pousse avec le pied et un seau pour pisser ! »

Réelle souffrance

Si les trois quarts des patients viennent d'un secteur psychiatrique, le quart restant arrive de prison. Localisée dans une région qui compte de grosses prisons (Fresnes, Santé, Fleury-Merogis...), l'UMD reçoit naturellement cette population chez qui on connaît aujourd'hui une forte prévalence de pathologies psychiatriques(4). Mais, depuis ces dernières années, le nombre de détenus admis à Henri-Colin augmente.

Qu'ils viennent de prison ou de secteur, ils sont en majorité psychotiques. Et anosognosiques, c'est-à-dire qu'ils ne reconnaissent pas ou minimisent leurs troubles. « Il y a une réelle souffrance chez eux, explique Antonio Sia. Certains pensent qu'on n'est pas des vrais infirmiers. D'autres entendent des voix. Des patients nous menacent directement, comme cela m'est arrivé récemment. À nous, soignants, de retranscrire leurs propos en montrant une certaine tranquillité. Pas de rapports de force inutiles. Notre présence et l'observation sont très importantes. »

« Gardiens de prison ! »

« Je ne crois pas au coup de tonnerre dans un ciel serein, fait observer Antonio Sia. Si un clash se produit, ce sera une suite de micro-événements. Pour les éviter, on essaie d'expliquer tout ce qu'ils sont en mesure de comprendre. Les raisons de leur présence à l'UMD, un lieu qu'ils vivent comme une exclusion, le traitement qui leur est donné. Progressivement, on établit le contact. En psychiatrie, on ne soigne pas à cinq mètres ! Les patients voient tous les jours un des cinq psychiatres de l'unité. Et nous, on les laisse venir. Ils s'expriment comme ils veulent. On ne va pas les voir en leur disant "alors, vous ne voulez pas me parler aujourd'hui ?" Quoi qu'ils disent, on entrera toujours dans leur chambre. Bien évidemment, jamais seul. Ainsi, on leur montre qu'on sera toujours là. Si vous laissez faire un patient qui n'a plus sa liberté de choisir, vous le contraignez encore davantage. »

Sa collègue, Annick Naturel corrobore ses propos : « Le fait d'être enfermé sécurise le patient. » Exemple : un patient actuellement soigné dans l'unité était sous contention depuis plusieurs jours quand il a été transféré. « Au bout de trois quarts d'heure, il était apaisé », remarque Antonio Sia.

Recrutement épineux

Une structure sécurisée, un nombre pertinent de soignants et une compétence en psychiatrie, voici le triptyque particulier sur lequel repose le fonctionnement de l'UMD. Mais cette combinaison est aujourd'hui mise à mal. Avec la restructuration qui va arriver à son terme, le nombre de patients devrait augmenter pour occuper effectivement les 80 places.

Jusqu'au début des travaux et la fermeture successive de chaque pavillon, on dénombrait seulement une soixantaine de patients, en moyenne, pour une question de salubrité. Entre-temps, de nombreux départs à la retraite n'ont pas été remplacés. Ce qui ne va pas arranger le problème du recrutement, déjà épineux avant la restructuration et qui a provoqué la fermeture d'une des quatre unités. « Pourtant, le nombre est un élément de réalité indéniable même pour des patients délirants prêts à passer à l'acte », précise Antonio Sia. Avec des règles strictes de sécurité à respecter, il faut aussi être assez nombreux pour que des soignants se consacrent à des activités. Baby-foot, ping-pong, lecture... pour les entrants. L'unité 36, celle des femmes, propose des ateliers peinture, collage ou la pratique de jeux vidéos, une activité qui oblige à scinder l'équipe, car le grand écran se trouve à l'étage. Résultat : impossible de la proposer si les soignants ne sont que quatre.

Le nombre, cette spécificité de l'UMD, est plus que remise en cause par les autorités sanitaires. « Aujourd'hui, nous sommes deux infirmières et deux aides-soignants pour s'occuper de treize patients dans notre unité. On serait donc en surnombre puisque les autorités veulent un rapport d'un soignant pour six patients ! », proteste Annick Naturel.

1- Concrètement, cela se traduira par une baisse de leur prime annuelle et un ralentissement net de leur évolution de carrière. Selon le syndicat Sud santé, les deux infirmiers vont faire appel de cette décision auprès du tribunal administratif.

2- Les trois autres sont Montfavet (qui reçoit des femmes comme Villejuif), Cadillac et Sarreguemines, pour un total de 400 places.

3- Selon les termes de l'arrêté du 14 octobre 1986.

Il s'agit bien de traiter un état psychiatrique dangereux.

4- Sur 60 000 prisonniers, plus de 13 000 sont affectés par des pathologies mentales

témoignages

POURQUOI TRAVAILLER EN UMD ?

Antonio Sia est diplômé seulement depuis deux ans lorsqu'il demande sa mutation pour l'UMD. Travaillant alors en secteur à Paul-Guiraud, il connaît l'existence de cette unité si particulière : « J'étais curieux de voir le travail que l'on pouvait effectuer auprès d'un patient qu'on ne parvient plus à prendre en charge ailleurs ». Pour sa collègue, Annick Naturel, l'arrivée à Henri-Colin traduisait la volonté de marquer une rupture professionnelle. « Je travaillais alors en secteur, auprès des grabataires, des chroniques... C'était un peu toujours les mêmes patients, donc assez frustrant. J'ai eu envie de voir des malades différents, avec un éventail de pathologies plus large. À l'Ifsi, on nous avait dit qu'il fallait avoir une expérience avant d'aller en UMD. C'est encore plus vrai aujourd'hui qu'il n'y a plus de spécialisation en psychiatrie. Ceux qui nous rejoignent maintenant ont conscience de cette différence de préparation et souhaitent apprendre auprès des plus expérimentés. »