Des renforts sur mesure - L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006

 

profession

Enquête

Le pool de remplacement de court séjour de l'hôpital de Roubaix constitue un service à part entière. Il prête temporairement main forte aux services de soins. Une charte définit le cadre de son intervention.

Pour faire face à l'absentéisme des agents hospitaliers, les DRH et directeurs des soins disposent de plusieurs stratégies. Les primes, aux effets limités. Le recours à l'intérim, qui revient très cher. Le dépannage entre services, voire entre établissements, relativement aléatoire et délicat en termes de polyvalence. Ou bien encore les pools de remplacement.

5 % pour le pool

« Au lieu de mettre 100 % du personnel sur le terrain, on n'en met que 95 % et les 5 % restants sont affectés au pool », explique Alain Messien, directeur des soins du centre hospitalier de Roubaix. Dans cet établissement du Nord, les directions des ressources humaines et des soins ont opté pour la constitution d'un service de compensation et de suppléance, autrement dit un pool. De deux, même... puisqu'une équipe est affectée au secteur médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) et une autre au long séjour. L'équipe MCO est composée de quinze infirmières, quinze aides-soignantes et cinq agents de service hospitalier, tous titulaires et volontaires. Toutes sont des femmes. Les unes ont choisi le pool par défaut : seules avec des enfants par exemple, pour avoir des horaires relativement fixes. D'autres souhaitent travailler en retrait des équipes au long cours et de leurs implications affectives. Certaines encore cherchent par ce biais un service où « s'installer » et quittent le pool... ou y restent faute d'avoir trouvé ledit service ou parce qu'elles s'y plaisent.

Leur mission : assurer les remplacements de moyenne durée, comme les arrêts maladie relativement longs (pour intervention chirurgicale ou dépression) ou les congés maternité, mais aussi « renforcer certaines équipes en cas de surcharge d'activité », précise Alain Messien, également responsable du pool. Un service peut y faire appel lorsque plus de 10 % de ses agents sont absents. Le remplacement fait l'objet d'un accord entre le cadre supérieur et le responsable du pool, sachant qu'un agent à plein temps n'est pas forcément remplacé sur la totalité de son horaire ni de son absence.

Grands stagiaires...

Au gré des affectations, de quatre à six mois, les membres du pool sont ainsi amenés à travailler dans quasiment tous les services de l'hôpital. « Cependant, nous avons exclu les services hyper-techniques comme la réanimation, les blocs ou la néonatalité, où on ne peut pas être efficace en seulement quelques semaines », précise Alain Messien. Car la polyvalence des infirmières de pool atteint ses limites dans des services très spécialisés : infirmières et aides-soignantes ne sont pas interchangeables. Polyvalence, multivalence... l'appartenance au pool exige une très forte capacité d'adaptation et donc un minimum d'expérience. Chaque nouveau poste implique un autre fonctionnement, de nouvelles procédures mais aussi, plus prosaïquement, de nouveaux codes pour les vestiaires, l'accès aux services informatiques, de nouveaux numéros de téléphone ou de bips à mémoriser en très peu de temps. Le tout assorti bien souvent d'un accompagnement minimum, ce qui donne parfois aux agents du pool l'impression désagréable de « débarquer » et d'être considérés comme de grands stagiaires...

Adaptabilité... à grande vitesse

Trouver ses marques rapidement est rarement facile. « Le premier jour, je cherche à comprendre le fonctionnement du service et pendant une semaine, je cherche le matériel et les médicaments dans les placards », raconte Laetitia, infirmière dans le pool depuis deux ans. « Il faut apprendre très vite et avoir une mémoire d'éléphant », renchérit Ouria, sa collègue aide-soignante. Après avoir intégré le pool, « je me suis étonnée de m'adapter aussi rapidement aux services », commente Sandrine, infirmière. Pour autant, les changements d'affectation de dernière minute compliquent la préparation que chacune mène intérieurement. On ne passe pas sans transition des urgences aux soins palliatifs...

L'exigence d'adaptabilité se traduit dans le recrutement du pool de Roubaix par le choix du volontariat, là où d'autres établissements optent pour un passage obligatoire des nouvelles recrues par le pool avant le choix d'une affectation. Alors, pour susciter les « vocations » ou en tout cas la motivation des soignants, il a fallu rendre ces postes particulièrement attrayants en termes de conditions de travail et, en l'absence d'avantage financier, offrir à leurs titulaires certaines garanties sur un point stratégique : les horaires de travail et les dates de congés. « Nous leur assurons de pouvoir prendre trois semaines de congé d'été sur la période des vacances scolaires, ce qui n'est pas évident ailleurs, remarque Alain Messien. Les horaires et les congés sont négociés au sein du pool, en fonction des agents du pool et non de ceux du service [d'affectation, NDLR] car, dans ce cas, les agents du pool sont souvent les derniers arrivés... » Et les derniers servis ? Parfois. Un des avantages liés au pool réside pourtant dans la possibilité pour ses membres de négocier certains horaires afin de travailler surtout le jour (ou la nuit) ou tout du moins de limiter la rotation en 3 x 8. Les agents ne peuvent pas, a priori, refuser une affectation mais s'ils doivent être mutés rapidement, « je leur garantis que pendant les quinze jours suivants, leurs horaires ne seront pas modifiés, précise le directeur des soins. Au besoin, le cadre supérieur modifie les horaires des autres agents ». Ce qui engendre quelques grincements de dents dans des services déjà en difficulté... Ensuite, les règles de fonctionnement doivent être les mêmes que pour les autres agents : le membre du pool n'est pas un « bouche-trou » !

Difficile de dire non

La question des horaires cristallise pour certains agents la problématique du pool. Il arrive en effet que les cadres des services leur demandent de changer d'horaire ou leurs dates de congés au nom de l'obligation de service, de la continuité des soins ou du casse-tête du planning... « Il faut savoir s'imposer », résume Karima. Sandrine y parvient, notamment parce qu'elle a choisi un horaire (la deuxième partie de journée) que la plupart des agents souhaitent éviter. Mais certains services en grande difficulté s'y prêtent peu. Et « on ne peut pas toujours dire non », ajoute Laetitia. « Quand on arrive dans un service, c'est qu'il est en difficulté, poursuit Nathalie. Cela nous donne l'impression d'avoir une mission importante : il faut que les collègues puissent récupérer leurs dizaines d'heures supplémentaires. Alors, c'est parfois difficile de défendre un jour de repos. » Les agents de pool à temps partiel sont d'ailleurs les plus touchés par les heures supplémentaires (théoriquement limitées à plus ou moins quinze heures)... qu'ils doivent récupérer ensuite dans le service suivant.

Chaque membre du pool dispose d'une fiche de suivi qui précise son profil en termes d'horaires (plein temps, 80 %, pas de nuits...), ses congés déjà fixés et les heures travaillées chaque mois dans les services. À partir de ces informations, le positionnement des agents du pool est mis à jour tous les mois sur l'intranet de l'hôpital. Le pool constituant un service à part entière, les agents négocient congés et jours de RTT avec leur responsable. Ils mènent aussi avec lui leur évaluation annuelle, sur avis des cadres avec lesquels ils ont travaillé.

Une charte de fonctionnement

Pour couper court aux difficultés d'interprétation du rôle des agents de pool et préciser les règles de fonctionnement de ce dépannage, une charte de fonctionnement du pool court séjour a été élaborée à la demande de ses membres. « En cas d'abus, souligne Alain Messien, les services risquent d'être privés de remplacement. » De leur côté, les agents du pool rappellent parfois qu'ils sont là avant tout pour dépanner et, si nécessaire, certains sortent la charte de leur sac afin de rappeler les principes de leur intervention. « Nous avons aussi modifié la façon d'affecter les agents [hors pool, NDLR], ajoute le responsable du service. Ils ne sont plus recrutés sur un service mais sur une fédération, la cardiologie, par exemple, et on demande aux cadres de faire en sorte que les agents fassent le tour des services de leur fédération. C'est particulièrement important dans les fédérations très techniques comme la chirurgie vasculaire. En cas de besoin, un agent absent peut ainsi plus facilement être remplacé par un de ses collègues et l'agent du pool peut être affecté dans le service considéré comme le plus simple à appréhender. »

Les agents du pool, éparpillés, se côtoient assez peu (deux rencontres par an) et sont relativement éloignés de leur hiérarchie puisqu'ils ne voient pas le directeur des soins aussi souvent que les infirmières d'un service croisent leur cadre. Cependant, le chef du service de remplacement a su visiblement se montrer disponible pour les agents du pool puisque ceux-ci peuvent faire appel à lui en cas de question, de difficulté ou lorsqu'un changement d'affectation s'impose. Mais au jour le jour, ils doivent faire face seuls à la pression de leurs collègues des services et des cadres qui peinent bien souvent à boucler leur planning.

Regard neuf

Les infirmières et aides-soignantes rencontrées constatent que leur passage dans les différents services leur forge une solide expérience, notamment technique. Sandrine est fière d'avoir surmonté son appréhension en réussissant son passage aux urgences pédiatriques : alors qu'elle ne voulait pas y aller, elle a regretté de le quitter !

Dans les services, les cadres apprécient souvent le regard neuf des agents de pool sur l'organisation. Pourtant, la succession d'affectations temporaires émousse généralement un peu la notion de travail d'équipe. « Lorsqu'on enlève la blouse, on referme plus facilement le vestiaire sur les soucis », reconnaît Laetitia. Cette « distance » ne dérange pas certains des agents du pool, qui préfèrent rester à l'écart de la vie d'un service et des relations entre agents. « Cela permet d'être moins dans l'affectif avec les collègues et plus professionnel », constate Ouria. « Et d'être plus près du patient », note Laetitia.

La mise en place de la nouvelle gouvernance au sein des hôpitaux risque de modifier un peu la donne. À l'hôpital de Roubaix, établissement expérimentateur de la nouvelle organisation interne, on imagine le fonctionnement du pool de demain, dans un contexte de plus grande autonomie des pôles en matière de ressources humaines. « Il pourrait y avoir une dimension "pool" dans chaque pôle », suggère Alain Messien. Plutôt que de demander à tous les agents de « tourner », il s'agirait de désigner dans chaque pôle des postes d'agents polyvalents bénéficiant en contrepartie d'avantages négociés. Mais la taille restreinte des pôles à l'échelle de l'établissement pourrait confronter rapidement les cadres à la difficulté de jongler avec les absences, les postes adaptés qui ne permettent pas de polyvalence et les postes « tournants »... Il pourrait donc subsister un pool d'établissement plus réduit qu'aujourd'hui afin de conserver un atout majeur du service de remplacement actuel : la souplesse.

quiz

VRAI/FAUX

> Les infirmières de pool ne sont pas toujours des débutantes.

VRAI. Certains établissements proposent certes à leurs nouvelles recrues de « tourner » afin d'approfondir leur approche des différents services, de choisir ainsi leur future affectation en connaissance de cause et d'accroître leur polyvalence. Mais d'autres, comme à Roubaix, misent sur le volontariat et proposent les postes du pool au même titre que les autres, moyennant certaines contreparties.

> Le planning des agents remplacés s'impose à ceux qui les remplacent.

PAS FORCÉMENT. Certains agents de pool adoptent les horaires de travail de celui ou celle qu'ils remplacent mais d'autres conservent leurs horaires habituels. Les règles peuvent varier d'un établissement à l'autre, en fonction des accords locaux ou individuels.

> La participation à un pool n'exige pas de formation particulière.

VRAI. Les agents de pool n'ont pas besoin de suivre de formation spécifique pour faire partie du service de remplacement. On recommande toutefois aux cadres d'organiser un minimum d'encadrement à leur intention dans les premiers jours de leur intervention. Ils ont par ailleurs les mêmes droits à la formation continue que les autres agents.