L'entretien infirmier - L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006

 

psychiatrie

Cours

L'entretien infirmier en psychiatrie se décline sous différentes formes selon les situations de terrain : entretiens d'accueil, de suivi, de crise, à médiation... Élément clé de la relation au patient, il implique des valeurs d'empathie et de respect. Loin des recettes prépensées, les auteurs proposent un guide destiné à soutenir l'action et la réflexion.

Cet article est le fruit d'une réflexion collective du groupe infirmier du réseau promotion santé mentale Sud Yvelines(1). « Il est né d'une triple conviction : l'amélioration de l'offre de soins était non seulement nécessaire mais possible et ne viendrait que d'un échange et d'une organisation différente des liens de collaboration entre tous les acteurs de la santé mentale autour des problèmes rencontrés au quotidien par les patients et leurs familles. Une bonne coordination de ces acteurs constituerait une force de propositions pouvant influencer les prises de décisions des organismes de tutelles. »(2)

Lors de sa création officielle, il y a une centaine d'années, la profession d'infirmière comportait uniquement des actes issus des prescriptions médicales. Son apprentissage intégrait une partie du savoir médical. La reconnaissance légale d'un savoir spécifique a attendu 1978(3). Compte tenu de cet historique, on peut considérer l'exercice de l'entretien infirmier comme une nouvelle pratique.

Dans une étude récente auprès d'infirmières(4), C. Guimelli, psychologue social, identifie le rôle propre comme une pratique nouvelle diversement appliquée dans les unités de soins. L'entretien infirmier, pratique qui s'exerce dans le rôle prescrit comme dans le rôle propre, est particulièrement développé en psychiatrie dans ce dernier rôle.

CONTEXTE PROFESSIONNEL

Depuis 1992, le diplôme d'infirmière est un diplôme d'État unique incluant 600 heures de théorie en psychiatrie sur 36 mois de formation. La discipline infirmière s'articule autour de quatre concepts : le soin ; la personne ; la santé ; l'environnement. Ils ont été identifiés par Fawcett en 1984, à partir de l'analyse de théories infirmières. Au-delà de leur énumération, c'est la manière dont l'infirmière les met en relation qui alimente la discipline, garantit un soin individualisé.

L'approche clinique mobilise des savoirs théoriques, basés sur des valeurs humanistes : respect, compréhension, empathie, congruence, acceptation inconditionnelle de l'autre, solidarité et pensée positive (cf. encadré p. IV). Ces théories et valeurs sont les conditions pour aider la personne à accepter sa situation, à lui donner un sens et se projeter dans son avenir. Le Conseil international des infirmières a défini quatre principes éthiques : la défense d'une cause (celle du patient) ; le fait de rendre des comptes (au patient, à la société) ; la coopération ; le souci de l'autre.

Théories et outils spécifiques. L'infirmière en psychiatrie étaye son raisonnement clinique sur des théories élaborées dans les pays anglo-saxons et déclinées selon des courants d'école : interaction, effets souhaités, promotion de la santé, être humain unitaire, caring. Comme le notent Anne Marie Leyreloup et Emmanuel Digonnet(5), le premier outil dont dispose le soignant, c'est lui-même. La démarche clinique de l'infirmière s'inscrit dans l'ici et maintenant et se concrétise au travers de la démarche de soins.

La relation d'aide entérinée comme acte de soins par les décrets professionnels est, selon Carl Rogers, la relation dans laquelle l'aidant cherche à favoriser chez l'aidé la croissance, le développement, la maturité, un meilleur fonctionnement et une plus grande capacité à affronter la vie. Elle s'appuie sur la re-formulation, l'investigation, la confrontation respectueuse et bienveillante.

L'équipe est un outil précieux et incontournable. Dans une dynamique partenariale, l'équipe détermine le projet de soins pour la personne. Ses missions : évaluer la situation, les moyens mis en oeuvre, avoir une vision globale qui recentre chacun dans ses interventions et interpeller le professionnel sur ses actions de soins. L'appartenance du professionnel à l'équipe fonde et justifie son action soignante. La pratique en santé mentale génère des relations soignants-soignés complexes pouvant nécessiter le recours à un tiers.

L'infirmière a enfin un devoir d'actualisation de ses connaissances : continuer à se professionnaliser en maintenant un niveau de compétences propre à soutenir une qualité des soins, mais aussi à s'inscrire dans une ouverture pour soi de façon ensuite à accompagner l'autre.

SPÉCIFICITÉS DE L'ENTRETIEN

Ce qui le caractérise, c'est l'accompagnement dans l'ici et maintenant. Comme d'autres actes de soins, l'entretien infirmier découle de l'objet des soins : la personne dans sa globalité, ses problèmes de santé dans l'ici et maintenant, ses ressources existantes et mobilisables. Il se distingue aisément d'autres entretiens :

- entretien médical : recherche diagnostique et instauration d'un traitement ;

- entretien psychologique : accompagnement à partir de l'histoire de la vie psychique de la personne et de l'interprétation des faits psychiques ;

- entretien social : centré sur les difficultés sociales de la personne et leur impact au quotidien.

Sens de l'entretien. L'entretien infirmier n'est pas une fin en soi. Il s'inscrit dans un processus, une démarche de soins et plan de soins infirmiers et/ou pluriprofessionnel qui incluent souvent d'autres interventions thérapeutiques (rendez-vous médical, psychologue, prise en charge individuelle, ergothérapie, psychomotricité, ateliers...). Il implique donc une négociation avec le patient et l'équipe, autour du bien-fondé, des buts et de l'évaluation de l'entretien. Celui-ci doit être en adéquation avec les besoins de soins de la personne dans une recherche de prise en charge globale. Il fait l'objet d'évaluations régulières afin d'envisager les réajustements nécessaires.

Organisation et déroulement de l'entretien. Sans livrer des recettes prépensées, il s'agit ici de proposer un guide, support de l'action et de la réflexion. Il s'articule autour de deux axes : organiser le confort et structurer l'entretien.

L'organisation du confort. Il s'agit de penser la dimension spatiale et temporelle de l'entretien. Il est important de prévoir un lieu garantissant le calme, la confidentialité et l'écoute. L'attention du soignant se portera sur ce que génère la disposition même du lieu et les places que chacun y prend (être à côté, en face à face...).

S'agissant de la dimension temporelle, le professionnel doit s'assurer de son entière disponibilité pour la durée totale de l'entretien, ce qui revient à prévoir son temps. Une durée d'une demi-heure à trois quart d'heure maximum permet un échange de qualité. Le temps peut être plus court quand le patient est confus, délirant, dissocié, ce qui suppose que le soignant puisse à tout moment mettre fin à l'entretien ou encore le reporter. La dimension temporelle est essentielle pour structurer d'éventuelles difficultés : elle a ici une fonction de contenant.

La structuration de l'entretien. Les deux moments clés sont : le début et la fin. Quand il s'agit d'un premier entretien, le préalable est de se présenter (nom, prénom, fonction dans la structure ou dans l'institution). Se succèdent la synthèse du contexte de l'entretien, la clarification de son but (orientation, relation d'aide, résolution de problèmes...) et la validation avec le patient. La durée de l'entretien est aussi annoncée. Selon les situations, le patient est assuré de la confidentialité relative à ses propos (loi du 4 mars 2002) et de la posture de non-jugement du soignant.

La clôture est un temps de synthèse avec le patient (dix minutes avant la fin de l'entretien) où le soignant reformule les éléments majeurs acceptés ou non par le patient. Puis, vient un temps sur les perspectives éventuelles et le post-entretien (orientation, prise d'un nouveau rendez-vous...). Si besoin, il est possible d'aborder la question du secret partagé(6). Par ailleurs, les éléments dégagés avec le patient sont transmis par le soignant à la fin de l'entretien ou post-entretien dans le dossier de soins et lors de transmissions orales.

Habiletés mobilisées. Sont proposés ici des points de repère qui relèvent du savoir-faire et du savoir pratique et qui se développent au cours de l'expérience (cf. encadré p. IX).

> Centrage sur l'autre en tant que sujet. Le regard et les intentions du soignant se centrent sur l'individualité, singularité de l'autre, sans a priori, et sur les interactions entre le soignant et le patient.

> Acceptation inconditionnelle de sa réalité, de sa manière de la vivre et non-jugement.

> Réflexion et analyse de ce qui est en jeu dans la relation (peut nécessiter le recours à un tiers).

Ces habiletés permettent d'établir une relation de confiance, une libre expression et un bon ajustement de la distance relationnelle et s'inscrivent dans une dynamique d'empathie (« être à côté de ») et non de compassion (« souffrir avec »).

OUTIL SYSTÉMIQUE

Différents outils théoriques peuvent être utilisés dans le cadre des entretiens infirmiers : psychanalyse, thérapie comportementale et cognitive (TCC), analyse transactionnelle, programmation neurolinguistique (PNL), systémie... Une maîtrise de ces outils est nécessaire. Présentons ici l'outil systémique à l'aide de deux cas cliniques.

Si nous avons ajouté, à notre formation, l'étude de la thérapie familiale systémique, c'est pour élargir notre possibilité d'action auprès du patient au sein de son environnement (cf. encadré p. VII). Ne plus penser le patient comme isolé mais plutôt comme une personne faisant partie d'un couple, d'une famille, où la souffrance et les difficultés sont partagées. Cette technique de travail permet d'appréhender le contexte familial du patient, en entretien individuel comme en entretien familial. Nous utilisons une lecture circulaire et non plus linéaire. Le patient est évoqué porteur du symptôme, sujet comme délégué par la famille et qui accepte cette délégation en étant « responsable » de la souffrance, autrement dit : le patient désigné.

Si nous utilisons parfois des outils empruntés à la systémie pour des entretiens infirmiers, il ne s'agit nullement de thérapie familiale systémique. Il ne s'agit pas ici d'en faire un modèle, mais de donner une lecture apportant un autre éclairage.

Première situation clinique. Cette situation est présentée par S. Le Cam.

Mme M se présente au CMPA pour un syndrome dépressif, sur indication de son médecin. Depuis plusieurs mois, elle se sent fatiguée, n'a plus goût à rien. Elle a du mal à se rendre à son travail. Son travail est pourtant primordial pour son équilibre (elle s'entend bien avec ses collègues, qui sont d'ailleurs d'un grand soutien).

Mme M présente une problématique familiale importante qui est cause de sa dépression. Son fils vit chez elle, il souffre d'alcoolisme et lui mène une vie extrêmement difficile. Il maltraite sa mère verbalement, quelquefois physiquement. Elle a déjà eu recours à la police sans pour autant parvenir à porter plainte contre lui (linéarité).

Mme M, veuve depuis cinq ans, vit seule avec son fils. Son mari est mort d'une crise cardiaque foudroyante. Sa fille essaie d'être autonome dans un appartement proche de celui de sa mère, mais ne supporte plus le comportement de son frère qui l'a déjà agressée physiquement (elle a d'ailleurs porté plainte contre lui). Elle voit rarement sa mère à son domicile pour ne pas croiser son frère.

Lors d'entretien individuel, nous pourrions parler effectivement de la souffrance de Mme M, « à cause » de son fils. Mais je préfère ouvrir la réflexion sur un champ plus large familial (circularité) : à quoi sert la dépression de Mme M ? À quoi sert l'alcoolisme de son fils ? Pourquoi déprimer ?

La lecture de la situation de Mme M est chargée de négativité, de souffrance et d'une sorte de culpabilité pas toujours consciente. L'intérêt du travail est de déstabiliser cette vision de la réalité, ce système de croyances. Susciter le doute, provoquer l'étonnement ou la surprise, introduire dans son raisonnement une autre logique. Tant que je reste dans l'énoncé initial de la patiente, je suis prisonnière avec elle. Il faut recadrer la situation pour lui donner un autre sens, d'autres qualités car elle est interprétée par Mme M comme négative et douloureuse. La connotation positive permet d'appréhender différemment une attitude négative.

« Le comportement de votre fils sert à remplir le vide créé par l'absence de votre mari ainsi que pour lui celle de son père. Si vous arrivez à le rassurer sur le fait que vous avez fait votre deuil et donc vous pouvez vivre stabilisée sans la présence de votre mari, peut-être votre fils changera-t-il de comportement. Car il n'aura plus de raison d'agir dans ce sens. »

Ainsi, la situation difficile peut être recadrée, en tant que message relationnel, comme une manière de demander quelque chose, d'attirer l'attention ou de susciter un rapprochement.

Mme M a réussi à admettre que le comportement de son fils pouvait être entendu autrement. Cela lui a permis, dans un premier temps, de lui rendre son symptôme, donc « sa souffrance », afin qu'il puisse essayer de l'assumer seul.

Le fait de dédramatiser le symptôme individuel permet de redéfinir une problématique en termes de difficulté familiale : « vous êtes triste et malheureuse pour votre fils, qui lui-même ne peut vous rassurer en arrêtant de boire. » Nous créons un nouveau mouvement communicationnel entre les différents membres du groupe familial permettant des ouvertures thérapeutiques :

> Replacer différemment le patient désigné dans son contexte de vie : Mme M n'est plus la victime de son « méchant fils qui boit », mais une mère qui accepte que son fils de 35 ans vive encore avec elle en ayant un comportement odieux.

> Rendre la famille actrice de son propre changement : le travail est centré sur les résistances qui se sont instaurées au sein de la famille. Il faut amener la famille à se réapproprier ses propres capacités créatrices : à quoi vous sert l'alcoolisme de votre fils ? Pourquoi réagir maintenant ? Pensez-vous qu'il puisse vous savoir malheureuse ? Que faire pour soulager votre propre souffrance ?

Une famille est une unité articulée autour d'un fonctionnement spécifique, il faut travailler avec les règles, c'est-à-dire les rituels qui définissent le mythe familial, « la croyance ».

Ce n'est pas un ensemble de juxtapositions de fonctionnement individuel, mais un partage de représentations liées à l'appartenance familiale.

L'appui sur la potentialité de la famille et sa mobilisation engendre de nouveaux effets, la rend actrice alors qu'elle était dépossédée de tout moyen d'action. Comme elle peut produire un symptôme, la famille détient le moyen de réguler celui-ci.

À l'opposé d'une prise en charge linéaire, où le thérapeute se substitue à la famille pour prendre soin de l'un des siens, ce mode de travail replace la famille au centre du dispositif de soins.

Conclusion : le symptôme revêt une richesse de sens et doit être bien écouté par le thérapeute. C'est lui qui amène la famille ou le patient, il est le support de l'ouverture vers un tiers et des échanges qui suivent la présentation.

Mme M a réussi à admettre la nécessité de s'occuper d'elle-même pour aider son fils : elle ne rentre plus avec ponctualité et ne « court » plus le midi pour vérifier comment va son fils. Elle recommence à accepter les invitations de sa famille. Au bout de quelques mois, elle réussit à sortir avec des amies voir un spectacle. Ce changement de comportement de Mme M a pour effet de déstabiliser son fils : il ne peut plus compter sur sa mère comme un petit garçon. Il ne crie plus quand elle n'est pas à l'heure et ne lui demande plus où elle est et ce qu'elle fait. Il peut s'autonomiser, recommencer à se laver, prendre rendez-vous chez son médecin pour régler son problème d'alcool.

Ce travail a été effectué en une année.

Deuxième situation clinique. Cette situation clinique est présentée par S. Poirrier.

Mme B est une femme retraitée, âgée de 75 ans. Divorcée jeune d'un mari alcoolique, elle a élevé seule ses trois enfants. Depuis six mois, elle est suivie pour un état dépressif par un psychiatre du CMP. C'est dans un contexte d'urgence et en accord avec son psychiatre que je la reçois en entretien infirmier. Une prise en charge infirmière est décidée une fois par semaine.

Mme B a une fille de 54 ans, divorcée, mère d'un garçon de 30 ans. La fille de Mme B est aussi suivie au CMP depuis plusieurs années pour un syndrome bipolaire et des prises d'alcool. Elle a fait de nombreuses TS, a eu des difficultés à assumer l'éducation de son fils à l'adolescence. Mme B héberge son petit-fils. L'état physique de sa fille se dégrade, elle n'arrive plus à gérer son budget, ne supporte pas la solitude. Mme B accueille momentanément sa fille, elle lui laisse sa chambre et prend le canapé. Le petit-fils est alors parti vivre ailleurs. La fille de Mme B fait, au domicile de sa mère, une TS en laissant un courrier disant qu'elle préfère que sa mère s'occupe de son fils.

Mme B vient alors consulter. Lorsque je la reçois en entretien infirmier, elle me dit : « je suis en train de devenir folle ». Elle exprime un sentiment d'injustice, d'impuissance, de honte... Elle ressent des difficultés à se projeter dans l'avenir : « depuis que ma fille est à la maison, je ne vis plus, j'ai très peur qu'elle recommence... ».

Mme B exprime le désir de voir sa fille partir de chez elle et devenir autonome. Elle dit qu'elle serait détruite si sa fille se suicidait. Elle se sent épuisée, souffre de pertes de mémoire. Cela la panique, ainsi que sa fille qui lui dit : « s'il t'arrive quelque chose, je me suicide... ». J'ai le sentiment que, très vite, je vais être enfermée ainsi que le couple mère-fille dans : « je ne peux pas la mettre dehors car elle se détruirait et cela me détruirait, mais si elle reste, cela me détruit et cette situation ne l'aide pas à s'en sortir. » En tant qu'infirmière, il est important de ne pas être un maillon de plus à cette linéarité : agir sur la cause pour produire un effet. Proposer un travail de guidance qui s'orienterait vers un aménagement de leur vie à deux, voire un soutien dans un processus d'autonomie de la fille. Je serais très vite disqualifiée ; mon attitude connoterait négativement leurs choix.

Je pars donc du principe que la famille a fait au mieux dans ses choix. Les objectifs de nos entretiens seront :

1. Créer l'empathie, écouter la souffrance, surtout ne pas proposer de solutions.

2. Amener à un autre niveau la réflexion en utilisant le génogramme qui va révéler une carence dans les relations mère-fille. De l'insécurité (nombreux placements et abandons dans la fratrie de Mme B), mais aussi une grande solidarité, des valeurs familiales (connotation positive). La grand-mère maternelle a élevé Mme B, elle a essayé de récupérer les enfants placés. Mme B s'est beaucoup occupée de ses derniers frères et soeur, de son petit-fils...

3. Recadrer la situation actuelle dans les valeurs familiales et les difficultés dans ce qu'elles peuvent avoir de transgénérationnel (mythe familial).

4. Requalifier la famille dans ses compétences, sa créativité.

Depuis un an, je reçois Mme B une fois par semaine. La situation s'est apaisée. Mme B me dit que « quand elle vient, tout est en vrac dans sa tête mais quand elle repart, elle semble avoir remis de l'ordre... ». Ainsi les pertes de mémoire sont nettement moins invalidantes. Elle s'est aussi débarrassée d'un sentiment de culpabilité très pesant.

Elle peut mieux accepter les moments où sa fille va mal, relativise, se sent moins coupable et, de fait, arrive à avoir des activités à l'extérieur, vient même de faire un voyage, laissant seule sa fille pendant une semaine, ce qui était impossible il y a un an.

VERS UN PROCESSUS DE PROFESSIONNALISATION ?

L'étude portant sur « La fonction d'infirmière, pratiques et représentations sociales »(7) rend compte de l'impact de l'évolution des pratiques professionnelles. Elle révèle que :

> là où les pratiques des infirmières sont traditionnelles, le rôle prescrit occupe une place importante dans leur représentation et intègre plus ou moins bien certaines prescriptions relatives au rôle propre ;

> là où les pratiques nouvelles deviennent plus fréquentes, c'est l'ensemble des prescriptions relatives au rôle propre qui devient prépondérant dans le champ des représentations.

Ces constats s'illustrent au travers d'une autre étude effectuée par un cadre de santé exerçant en Ifsi. Il souhaitait, dans le cadre d'une formation, rencontrer quelques soignants d'un établissement psychiatrique pour explorer et analyser une activité afin de valider un module sur la didactique professionnelle(8). Il lui a été proposé de cibler son analyse autour de « l'entretien infirmier » ; cette activité fait l'objet depuis deux ans d'une formation suivie par une centaine de personnes.

En intra-hospitalier. L'entretien infirmier est une activité satellite, non instituée et relevant souvent de l'initiative personnelle. Les entretiens correspondent surtout à des situations d'accueil ou de crise. Les soignants qui souhaitent les mettre en oeuvre se heurtent à trois niveaux de difficulté :

> à un niveau institutionnel : la polyvalence des tâches, l'absence de cadre formalisé (le lieu et le temps), une faible prescription médicale, la difficulté à les planifier et à les retranscrire ;

> au niveau des patients : le « turn-over » et la pathologie font que l'entretien répond à une demande immédiate avec la difficulté à comprendre la demande réelle et de la réguler dans le temps ;

> au niveau de l'équipe : l'entretien n'étant pas un outil de soin consensuel, il en découle un sentiment d'isolement pour les soignants qui l'utilisent ou souhaitent le faire.

En extra-hospitalier. L'entretien n'est pas prescrit, reconnu par l'équipe comme une activité dans le rôle propre. Inscrits dans une temporalité (une fois par semaine), ce sont des entretiens de soutien qui ont pour but d'évaluer les signes cliniques, d'explorer les connaissances relatives au traitement, de faciliter la verbalisation, d'assurer un suivi relatif aux événements de vie de la personne.

L'exercice d'une nouvelle pratique développe de nouvelles compétences et contribue au processus de professionnalisation. Comment rendre lisible cette évolution ou, encore, comment conceptualiser les apprentissages liées à un nouvel exercice ? Constater cette évolution ne suffit pas, encore faut-il pouvoir l'expliciter, l'identifier et la transmettre.

Un détour semble alors nécessaire : qu'est-ce qu'être professionnelle pour une infirmière ?

Ce qui caractérise le professionnel(9), c'est :

> sa qualification (ou diplôme), résultat d'un parcours scolaire. Elle ne garantit pas l'efficacité au travail. Elle s'accorde à un contexte de stabilité des métiers. Une infirmière qui démarre a une qualification mais peu de compétences ;

> son positionnement éthique qui comprend son sens moral (déontologie) ainsi qu'une réflexion critique de sa pratique et une identification du sens donné à ses actions (pratique réflexive). Il suppose un savoir apprendre, donc désapprendre ;

> son engagement subjectif ou comment il va se mobiliser dans son exercice pour poser, résoudre un problème, faire face à la situation. Ce savoir s'engager suppose de savoir combiner ses ressources (savoirs théoriques, procéduraux, savoir-faire et savoirs pratiques) et de les mobiliser dans un contexte, donc de savoir agir et réagir avec pertinence, puis de savoir transposer.

Concernant les compétences développées dans la pratique de l'entretien, on peut dire que la compétence est une abstraction qui ne s'acquiert et ne s'observe que dans la pratique. C'est l'articulation effectuée par le professionnel entre les quatre types de savoirs mobilisés : théoriques, procéduraux, savoir-faire et savoirs pratiques.

Quels seraient les particularités de ces différents types de savoirs mobilisés pour l'entretien infirmier ? Pour répondre à cette question, nous proposons un référentiel de compétences relatif à l'entretien infirmier(10) (cf. tableau ci-dessous). Comme tout outil, il n'est pas une fin en soi, mais plutôt un point de départ à l'appropriation, à l'action, à la réflexion pour que se prolonge l'exercice enrichissant de l'entretien infirmier.

Valeurs(1)

> Le respect : laisser une personne s'exprimer et agir en fonction de ses valeurs. Le professionnel doit connaître ses valeurs pour respecter l'autre.

> La compréhension : appréhender l'autre dans sa situation, en tenant compte de sa vie et de son environnement.

> L'empathie (être à côté de) suppose une réponse cognitive, affective et comportementale, ainsi qu'une écoute.

> La congruence : lien entre l'image de ce que projette une personne et ce qu'elle est vraiment.

> L'acceptation inconditionnelle de l'autre : accepter l'autre tel qu'il est et non tel qu'on voudrait qu'il soit.

> La solidarité auprès des personnes en souffrance, dans les projets institutionnels ou envers la profession.

> La pensée positive concrétisée : capacité de résistance intérieure qui permet de faire face aux difficultés, et de chercher des solutions créatives aux problèmes.

1- Approche humaniste de la pratique infirmière, Lise Riopelle et Montserrat Teixidor, Soins cadres, n° 45, 2003.

Notes

1- Créé en 1999, ce réseau fédère des établissements de santé (un service de psychiatrie hospitalo-universitaire et sectoriel intégré dans un hôpital général - CH de Versailles -, un établissement public de santé - EPS Charcot-Plaisir -, un établissement privé MGEN-PSPH - Institut Marcel-Rivière, La Verrière, et un établissement privé, clinique d'Yvelines-Vieille église), des associations de professionnels (médecins généralistes, psychiatres libéraux, psychologues libéraux).

2- La Lettre du réseau promotion santé mentale Yvelines, n° 5, sept. 2005.

3- Texte relatif à la nouvelle définition de l'infirmière, puis 1984 avec un décret qui identifie le rôle d'aide thérapeutique.

4- La fonction d'infirmière, pratiques et représentations sociales, J.-C. Abric, Pratique sociale et représentations, 2001.

5- Pratique de l'entretien infirmier, Masson, collection « Souffrance psychique et soins », 2000.

6- Loi du 4 mars 2002 qui reconnaît le secret professionnel partagé au sein d'une équipe. La diffusion d'informations à d'autres partenaires doit recevoir préalablement l'accord du patient.

7- C. Guimelli, in : Pratique et représentations sociales, J.-C. Abric, 2001.

8- Étude du processus de transmission et d'appropriation des connaissances en vue de les améliorer.

9- Construit à partir des définitions données par Guy Le Boterf (expert en gestion et évaluation des compétences), Ingénierie et évaluation des compétences (éditions d'Organisation - 2001) et Jean-Gilles Boula (chargé de cours en sciences humaines à Isis et à la Webster University de Genève), Comment renforcer le processus de professionnalisation dans la pratique soignante ? (site Internet de la Fondation genevoise pour la formation et la recherche médicales).

10- Construit à partir d'un autre référentiel : « reconnaître l'urgence et maîtriser les situations difficiles », paru dans l'article « Du concept d'infirmier de secteur psychiatrique aux compétences attendues en psychiatrie » de Marc Pruvot, cadre formateur à Lens (62), Soins psychiatrie, juillet-août 2005.

Quelques types d'entretiens infirmiers

Praticables dans toutes les structures de soins en psychiatrie (intra, extra...), ils se déclinent en fonction des situations de terrain.

> L'entretien d'accueil : la personne se présente d'elle-même ou sur les conseils d'un tiers (famille, médecin).L'entretien vise à identifier la personne, ce qui motive sa démarche, quelle est sa demande. Il permet de préciser la nature de ce qui peut être proposé par le service de soins, d'orienter la personne dans le dispositif. Un seul entretien n'est parfois pas suffisant, d'autres peuvent être prévus dans le cadre d'une évaluation.

> L'entretien de suivi : il permet d'ajuster les objectifs de soins, de travailler sur la prévention des rechutes, de créer des liens entre les divers intervenants, les différentes structures que fréquente le patient...

> L'entretien de relation d'aide permet une meilleure compréhension de ce qui se passe pour le patient, de ce qu'il éprouve face aux différentes situations. Il suppose une disponibilité, l'établissement d'un cadre et des compétences spécifiques. Ce n'est pas une conversation, une discussion, un interview, un interrogatoire, un discours, une confession ou une recherche de diagnostic. « C'est une relation empathique où le soignant est suffisamment proche du malade pour percevoir et sentir ce qu'il ressent, mais aussi suffisamment distant et non fusionnel pour ne pas se projeter lui-même dans la situation, pour ne pas parler et agir à la place du malade ».

> L'entretien de crise : c'est un entretien non prévisible, qui répond à une situation que l'infirmière qualifie d'urgente ou impossible à différer (agitation, anxiété, angoisse, peur, recrudescence délirante...). Il s'agit d'un espace de parole qui permet de désamorcer la crise. Il vise à comprendre ce qui se passe dans le moment précis pour évaluer si la situation nécessite un entretien médical, l'administration d'un traitement prescrit ou toute autre action.

> L'entretien à médiation utilise un outil (cuisine, cinéma, promenade, terre...) pour entrer en relation avec la personne. La médiation est un prétexte et un moyen et non un but en soi. Il s'agit du partage avec un soignant d'un espace et d'une action où la parole est accompagnée au fur et à mesure de l'élaboration.

> L'entretien téléphonique : entretien particulier puisque le soignant manque d'un certain nombre d'indications (mimique, regard...) et mobilise uniquement ses capacités d'écoute. Il peut s'agir d'un primo-entretien, d'un entretien de crise, d'un entretien de suivi.

> L'entretien avec la famille donne des informations pratiques sur les conditions d'hospitalisation, de prise en charge du membre de la famille sans dévoiler le secret médical. Sa fonction : la réassurance et l'information. Ce n'est pas un entretien de thérapie familiale.

> Citons enfin d'autres possibilités d'entretien : à domicile, à visée psychothérapeutique (sur prescription médicale), mère-enfant, éducationnel (traitement, par exemple), consultation infirmière...

Cadre juridique

> le Code de la Santé publique, la loi du 31 mai 1978 qui fixe l'exercice de la profession ;

> le décret du 16 février 1993 relatif aux règles professionnelles ;

> le décret du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice professionnel ;

> le décret du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V du Code de la Santé publique, modifiant certaines dispositions de ce code.

En santé mentale, le cadre juridique s'articule autour de :

- la circulaire du 15 mars 1960, relative aux programmes d'organisation et d'équipement dans la lutte contre la maladie mentale ;

- les lois du 25 juillet et du 31 décembre 1985 définissant le cadre de la sectorisation psychiatrique ;

- le décret du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l'organisation de la sectorisation psychiatrique.

Outil systémique : quelques définitions

> Circularité : chaque élément est à la fois cause et effet. Il n'y a pas de causalité liée aux éléments, la causalité est dans la boucle elle-même. Ainsi, dans une famille, chacun agit sur le système à l'image d'une boucle où il n'y a ni commencement ni fin.

> Linéarité : une cause A a un effet sur B qui produit un effet sur C...

> Patient désigné : porteur du symptôme. Le sujet comme délégué par la famille et qui accepte cette désignation.

> Connotation positive : communication sur la communication. Le soignant renforce le discours de la famille pour souligner ses compétences. C'est un passage à un niveau supérieur d'abstraction (méta-communication).

> Mythe familial : croyance en des caractéristiques qui fondent l'identité de la famille et la distinguent du monde extérieur. Chaque famille a son propre mythe qui lui permet de fonctionner avec ses rituels. Ce qui est différent du roman familial.

> Appartenance : nous nous inscrivons dans différents groupes d'appartenance durant notre vie. Chacun a la possibilité de gérer ses appartenances structurantes, ses participations à la vie de groupe : famille, milieu professionnel, club de sport, groupe confessionnel...

> Rituels familiaux : ensemble de gestes et d'événements qui reviennent régulièrement et servent à obtenir une reconnaissance, ils marquent l'appartenance aux différents groupes.

Les cadres d'intervention

Les actes spécifiques des soins en santé mentale s'inscrivent dans le cadre :

> du rôle propre, comme par exemple : les entretiens d'accueil, l'aide et le soutien psychologique ou l'information et l'éducation en santé mentale ;

> du rôle sur prescription avec la mise en oeuvre d'engagements thérapeutiques, les entretiens individuels et les techniques de médiation à visée thérapeutique ou psychothérapeutique au sein de l'équipe pluridisciplinaire ;

> du rôle en collaboration : actes relevant de la complémentarité et la collaboration étroite avec les partenaires institutionnels et/ou du réseau social. Il recouvre des activités de concertation, de synthèse et de transmission.