L'incontinence anale - L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006

 

proctologie

Conduites à tenir

Vécue comme une infirmité dégradante, l'incontinence anale est encore trop souvent dissimulée par les patients. Un mur du silence qu'il convient de briser, car des traitements efficaces existent pour soigner ces hommes et ces femmes exclus de toute vie sociale.

Contrairement à l'idée communément admise, l'incontinence anale ne concerne pas seulement les personnes âgées, mais les hommes et les femmes de tous les âges. Elle affecte entre 5 et 10 % de la population générale entre 25 et 60 ans et près de 10 % de la population mondiale de plus de 45 ans.

CAUSES

Mécanique. Dans ce cas, l'incontinence anale est liée à la dilatation du sphincter consécutive au prolapsus du rectum (le sphincter est dilaté par le rectum qui le traverse).

Neurogène. L'incontinence anale résulte de l'étirement des troncs nerveux innervant le sphincter (neuropathie pudendale périphérique).

Neurologique. Incontinence par déficit sphinctérien liée à une atteinte du cône médullaire terminal (syndrome de la queue-de-cheval, certaines myasthénies ou myopathies).

Traumatique. Incontinence par rupture sphinctérienne à la suite de traumatismes accidentels (empalement par exemple), chirurgicaux (chirurgie proctologique - fistules anales, hémorroïdes -) ou obstétricaux (accouchements). Chez les primipares, la prévalence de la rupture sphinctérienne est de 33 % (cf. encadré).

Consécutivement, 10 à 15 % des primipares développent une incontinence anale et environ 5 % d'entre elles garderont une incontinence sévère.

Malformative. Incontinence par déficit sphinctérien liée à des malformations congénitales (spina-bifida, imperforation anale).

DIAGNOSTIC ET EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

Le diagnostic repose essentiellement sur l'examen clinique (toucher rectal) et l'interrogatoire du patient. Lorsque les troubles relèvent a priori d'un traitement chirurgical, des examens complémentaires (échographie endo-anale, manométrie anorectale, défécographie, temps de transit des marqueurs - examen radiologique -) doivent être réalisés pour objectiver et mesurer le déficit anatomique et fonctionnel de l'appareil sphinctérien et préciser s'il s'agit d'une incontinence anale par rupture sphinctérienne ou d'une incontinence liée à un déficit d'origine neurologique sans rupture anatomique.

OPTIONS THÉRAPEUTIQUES

Les stratégies thérapeutiques sont multiples. Elles reposent, selon les cas, sur les traitements médicaux, la rééducation, la chirurgie et la neurostimulation des racines sacrées ou thérapie Interstim.

Traitements médicaux. Ils s'adressent aux patients présentant une incontinence anale associée à des troubles du transit (constipation ou diarrhée) ainsi qu'aux patients présentant une incompétence sphinctérienne modérée sans lésion cliniquement évidente. Ils reposent essentiellement sur les régulateurs du transit intestinal et doivent être associés à des mesures hygiéno-diététiques permettant de régulariser le transit en équilibrant la consistance des selles (éviter les aliments provoquant des gaz, réduire sans excès l'ingestion de liquides, de matières grasses et de fibres, favoriser sans excès les aliments constipant...).

En l'absence de selles spontanées, il est important de déclencher le réflexe exonérateur soit manuellement soit par la mise d'un suppositoire, soit, si la constipation dépasse 48 heures, par un lavement. Chez les patients neurologiques, la vacuité rectale peut être obtenue par des petits lavements quotidiens. Par ailleurs, le patient doit s'astreindre à tenir un calendrier des selles (nombre de selles hebdomadaires, fréquence des épisodes d'incontinence) pendant la phase d'équilibration du traitement, de façon à déterminer le rythme d'utilisation des suppositoires et des lavements.

En cas d'association d'une diarrhée à l'incontinence anale, le traitement de la diarrhée doit être l'objectif prioritaire car il peut à lui seul améliorer, voire faire disparaître l'incontinence dans certains cas.

Rééducation. Elle peut être utilisée en cas d'incontinence sphinctérienne ou encore lorsqu'il existe une altération de la perception du besoin exonérateur.

La rééducation peut également être utile en complément de la chirurgie réparatrice de l'incontinence anale par rupture sphinctérienne. La technique utilisée est le biofeedback.

Le rectum doit être préalablement vidé si nécessaire par des lavements évacuateurs. Un ballonnet intra-rectal distendeur et une sonde de manométrie ano-rectale équipée de capteurs de pression sphinctériens sont mis en place et le patient visualise sur un écran les efforts de contraction. Quand la contraction du sphincter est décelable et bien différenciée de la pression abdominale, le ballonnet est gonflé de manière à simuler l'arrivée des selles.

Le patient doit alors contracter son sphincter de façon simultanée et sur une durée donnée suivie d'un temps de repos équivalent. Le nombre des séances (en moyenne de quatre à dix) est variable selon les patients. Outre une indication bien posée, l'efficacité et l'observance de cette rééducation sont directement liées à l'approche personnelle du thérapeute et à son empathie pour le patient.

Neurostimulation des racines sacrées. Elle s'adresse plus particulièrement aux patients présentant une incontinence anale neurologique à sphincter anatomiquement respecté, rebelle depuis au moins trois mois à toute autre thérapeutique médicale ou rééducative.

L'intervention se déroule en deux phases successives. Sous anesthésie locale, une électrode est tout d'abord implantée au niveau du sphincter et reliée à un boîtier externe de neuromodulation programmé et paramétré.

Ce dispositif permet durant quinze jours d'évaluer l'efficacité de la stimulation. Si l'incontinence est améliorée d'au moins 50 %, le test est considéré positif. Dans ce cas, l'électrode est reliée à un boîtier de neuromodulation implanté dans la région lombaire postérieure. L'intervention est réalisée sous anesthésie locale ou générale dans le mois qui suit le test.

Plusieurs consultations successives sont nécessaires pour adapter au mieux le paramétrage des stimulations. Cette technique est particulièrement intéressante pour les patients souffrant d'hyperactivité vésicale et d'incontinence anale.

En moyenne, deux malades sur trois répondent favorablement à un test de neurostimulation. Chez ces patients, l'implantation du neuromodulateur donne entre 70 et à 90 % de bons résultats.

Chirurgie classique. Les interventions chirurgicales classiques restent le traitement de choix de l'incontinence anale. De nombreuses options existent, dont le choix sera déterminé par le niveau d'atteinte du sphincter.

En cas d'atteinte sphinctérienne limitée (moins de la moitié de la circonférence), la chirurgie réparatrice par sphinctérorraphie (suture bout-à-bout) est privilégiée. Associée à une rééducation post-opératoire active par biofeedback, elle entraîne une diminution de 80 % des épisodes d'incontinence chez 89 % des patients(1).

Lorsque les pertes de substance concernent plus de la moitié de la circonférence du sphincter, trois options chirurgicales sont possibles : la graciloplastie dynamisée, la prothèse anale ou sphincter anal artificiel et la colostomie. Si le patient peut bénéficier indifféremment de l'une ou de l'autre, celles-ci doivent lui être expliquées de manière à ce qu'il adhère entièrement à la décision thérapeutique et à ses conséquences éventuelles, y compris en cas d'échec.

Graciloplastie. La graciloplastie consiste à reconstruire le sphincter en transposant un muscle de la cuisse (le gracilis) et en implantant un stimulateur musculaire électrique. Cette technique est à la fois plus complexe, plus coûteuse et plus délicate que le sphincter artificiel.

Prothèse anale. Utilisée en France depuis les années 1990, la prothèse anale est conçue pour reproduire les fonctions naturelles du sphincter physiologique. Elle est constituée d'une manchette occlusive gonflable implantée autour du canal anal, d'un ballon régulateur de pression placé dans l'abdomen à proximité de la vessie et d'une pompe de régulation implantée dans le scrotum chez l'homme et la grande lèvre chez la femme.

Cette pompe permet d'actionner l'ouverture de la manchette et nécessite une bonne dextérité. Les différents éléments de la prothèse sont reliés entre eux par des tubulures. Ils sont remplis d'un liquide isotonique et fonctionnent selon le principe d'un système hydraulique.

L'intervention est réalisée sous anesthésie générale en deux heures environ. Elle est peu invasive car réalisée par l'intermédiaire de deux petites incisions nécessaires à l'implantation du matériel.

Colostomie. La colostomie présente l'intérêt de régler définitivement le problème d'incontinence en condamnant l'anus périnéal et en dérivant une partie mobile du tractus digestif et en l'abouchant à la peau. Cette colostomie est ensuite appareillée d'une poche de recueil des selles qui nécessite un apprentissage mais dont les patients qui en font le choix sont généralement satisfaits.

L'INFIRMIÈRE JOUE UN RÔLE DÉTERMINANT

« Toutes ces options thérapeutiques doivent être largement connues des soignants, souligne le Pr Michot (CHU Rouen). Parce que l'information des patients, très peu relayée par la presse (le sujet reste tabou), passe essentiellement par le corps médical et paramédical. Compte tenu de l'attitude des patients (ils vivent dans la honte et le repli sur soi), les soignants doivent avoir pour objectif de dédramatiser l'incontinence anale. Il convient de leur expliquer qu'il existe des solutions thérapeutiques performantes afin de les convaincre qu'il ne s'agit pas d'une fatalité et qu'ils ont tout à gagner à consulter au plus vite. »

La conduite à tenir dans ce domaine consiste donc en premier lieu à tordre le cou à tous les non-dits, tous les tabous et tout le mépris qui environnent encore cette problématique de santé, y compris dans le milieu de la santé lui-même. Un gros travail qui passe inévitablement par la connaissance. À chacun de s'en faire l'ambassadeur pour aider les patients à en parler, à ne plus se cacher et à recouvrer une vie sociale, professionnelle, affective et sexuelle plus harmonieuse.

1- Source : Jensen, Lowry, Biofeedback improves functional outcome after sphincteroplasty, Dis. Col. Rectum, 1997, 40, 197-200.

Accouchement, un facteur de risque

Au cours du premier accouchement, la rupture du sphincter anal est généralement liée à l'utilisation des forceps et associée à une épisiotomie ou à une déchirure périnéale. Un tiers des femmes présentent une incontinence anale qui disparaît ou s'améliore une fois sur deux dans les six mois. En revanche, même réparée immédiatement, une déchirure sévère (troisième degré) entraîne un trouble de la continence dans un cas sur deux en moyenne.

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