La psychiatrie, une solution à l'exclusion ? - L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006

 

Prise en charge

Questions à

« Une société peut se mesurer au sort qu'elle réserve aux malades mentaux. » Chef du département psychiatrique du centre hospitalier Sainte-Anne (Paris), François Caroli commente l'évolution du repérage et de la prise en charge de ces malades en France.

Comment la prise en charge des pathologies psychiatriques a-t-elle évolué au cours des vingt dernières années ?

Il n'y a pas plus de malades mentaux aujourd'hui qu'hier. Il existe cependant des facteurs qui permettent de dépister des patients que l'on ne repérait pas avant, notamment les entrées en psychose. On détecte les malades plus en amont, grâce au développement dans les services d'accueil d'urgence (SAU) de la psychiatrie. Par ailleurs, la pédopsychiatrie et la psychiatrie de l'adolescence ont fait beaucoup de progrès. Même si la France est beaucoup moins performante que ses voisins dans le soin pour faire face aux tentatives de suicide, puisque certains pays européens ont su faire baisser de 15 à 20 % le nombre de tentatives de suicide au cours des 15 dernières années, elle reste toujours au même niveau. Il y a quelques années, on avait lancé une « Année suicide », mais on n'en a presque pas entendu parler. De plus, la psychogériatrie s'est aussi développée avec ses soins particuliers.

Parmi les gens en situation d'exclusion se trouve un grand nombre de malades mentaux. De quelle manière la psychiatrie peut-elle aider ces exclus ?

L'exclusion n'est pas forcément un symptôme, mais le fait même d'être exclu génère des symptômes psychiatriques. De plus, ces symptômes dans la dureté de la vie moderne peuvent causer une exclusion. Trouver du travail lorsque l'on est un malade psychiatrique, c'est beaucoup plus difficile que pour un autre. Par ailleurs, que l'on souhaite inclure dans le cadre de la psychiatrie des éléments qui, a priori, n'y entrent pas, tels que des troubles sociaux, est aussi exact. Actuellement, des unités de psychiatrie dévolues aux exclus existent. C'est le cas de l'équipe du Dr Mercuel à Sainte-Anne, dont l'une des préoccupations est d'aider à les remettre dans les filières des secteurs. Ils travaillent au cas par cas, se déplacent pour aller vers eux, réalisent des consultations près d'une bouche de métro ou au bois de Boulogne par exemple.

La hausse spectaculaire du nombre d'hospitalisations sous contrainte (HSC) ne reflète-t-elle pas en partie l'évolution sociétale vers de moins en moins de tolérance et de solidarité ?

La loi de 1990 qui régit les HSC est arrivée en même temps que le développement des SAU des hôpitaux généraux. À partir du moment où des psychiatres étaient présents aux urgences, il est naturel qu'ils aient détecté plus vite les troubles mentaux. D'où la hausse des HSC. De plus, les exigences de « normalisation » d'une société, la responsabilisation permanente des psychiatres à qui l'on demande des résultats plus qu'à d'autres, et la vigilance accrue face à la capacité du patient à vivre sans troubler l'ordre public ou sans se mettre en danger, expliquent cette hausse. Toutefois, les durées d'hospitalisation sont plus courtes : le taux des malades hospitalisés n'est donc pas plus élevé ; s'ils entrent souvent, ils sortent plus vite avec un suivi.

La surmédiatisation de certains faits divers liés à la psychiatrie n'a-t-elle pas révélé le manque cruel de personnel soignant ?

Ce ne sont pas les faits divers qui sont la cause de la surmédiatisation, mais c'est cette surmédiatisation qui en a fait des faits divers particulièrement sensibles, car il arrive régulièrement que du personnel soignant se fasse agresser. Certaines pathologies sont plus dangereuses que d'autres, mais nous les prenons en charge. Il est exact que le manque de personnel compétent et soignant fragilise la sécurité générale des soignants et peut entraîner une baisse considérable du temps de lien direct avec le patient. Les infirmières n'arrivent plus à se rencontrer entre elles. Ou bien nous y remédions, ou bien nous construisons de nouveau - mais nous n'en avons pas les moyens - des asiles fermés. Si la France peut s'enorgueillir, grâce à son inventivité scientifique, chimiothérapique et relationnel, d'avoir mis en place des systèmes de soins compétitifs, ces derniers demeurent coûteux. D'ailleurs, une société ne se mesure-t-elle pas au sort qu'elle réserve aux malades mentaux ?

François Caroli Chef du département psychiatrique du CH Sainte-Anne à Paris

Président de la Fédération internationale francophone de psychiatrie et président d'honneur de l'Ancre-Psy (Association nationale pour la clinique, la recherche et l'enseignement en psychiatrie), il occupe aussi la fonction de rédacteur en chef de la revue Nervure. Il a écrit deux livres sur la psychiatrie(1).

1- Sexualité agie entre enfants et adultes, Éd. Frison Roche, 1999, 121 p. ; Le Suicide, coll. Dominos, n° 200, Éd. Flammarion, 1999, 126 p.