Les urgences, « parce que ça bouge » - L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006

 

Bruno Hanot

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Niveau -1 : la lumière naturelle filtre à peine, des travaux sont en cours, les brancards surmenés... Les urgences du CHRU de Lille réalisent quelque 200 entrées par jour. Bruno Hanot y travaille depuis treize ans et n'échangerait l'atmosphère de ce service pour aucune autre.

Un petit quelque chose dans la mise et le regard de Bruno Hanot, à la fois un peu sur la brèche mais parfaitement calme, nous oblige à l'imaginer un instant dans la célèbre série télévisée Urgences. Mais lui, c'est dans la vraie vie qu'il est infirmier aux urgences et, de ce côté du miroir, les choses ne se passent pas tout à fait de la même façon. Il doit d'ailleurs parfois le rappeler aux patients téléphiles qui ne se gênent pas pour souligner, parfois, qu'« aux États-Unis, ça va plus vite ». Ils oublient que si la série était filmée en temps réel, elle serait beaucoup moins palpitante. Pour eux, car Bruno Hanot ne pourrait travailler dans aucun autre service.

stressant pour un jeune

« En sortant de l'école, je voulais intégrer un service assez actif, raconte-t-il. On m'a proposé les urgences ou la "neurochir", j'ai choisi les urgences. » Il voulait se frotter à la technique, éviter la routine : il a été servi ! « À mon arrivée dans le service, je ne m'attendais pas à avoir affaire à un tel panel de techniques, remarque l'infirmier. Aujourd'hui, le service compte des Ibode mais à cette époque, on faisait des blocs d'urgence pour des thoracotomies, des laparotomies ou des prélèvements d'organe... » D'autres aspects étaient différents : ainsi, les soignants passaient deux mois aux « petites entrées », puis deux mois en soins intensifs, au déchoquage. Une prise en charge intense et vitale pour les patients les plus lourds et une perspective assez stressante pour ce jeune diplômé.

« petites entrées »

Peu à peu, la dimension impressionnante s'est atténuée et a laissé place au professionnalisme. Mais il y a trois ans, au moment où les soignants ont dû, lors d'une réorganisation du service, choisir un poste fixé, Bruno Hanot a préféré les « petites entrées », « pour souffler un peu ».

Aux petites entrées de chirurgie, donc, les soignants passent tous les deux mois de l'équipe du matin à celle de l'après-midi (celle de nuit est fixe) et alternent chaque jour entre les entrées et les lits d'hospitalisation dévolus au service, quelques étages plus haut. « C'est comme un service classique, sauf qu'il peut être vidé de ses patients aux deux tiers dans la matinée et à nouveau rempli dans l'après-midi. Et encore, certains patients dorment en bas », aux entrées, faute de lits d'aval disponibles. Une problématique commune à tous les services d'urgences et aggravée par le vieillissement de la population prise en charge. Alors que la durée d'hospitalisation dans les lits des urgences ne devrait pas dépasser 48 heures, certains patients âgés y restent parfois jusqu'à deux semaines... « Ça bouchonne, comme le dit Bruno Hanot, un peu à tous les niveaux. »

moins glamour qu'à la télé

Pour certains, finalement, l'attente pèse plus que les maux qui les ont conduits dans ces couloirs passablement moins « glamour » que ceux que l'on voit à la télé... Aux urgences du CHU d'une métropole qui compte un million d'habitants, des patients perdent chaque jour patience et se retournent vers les équipes. Bruno Hanot et ses collègues doivent ainsi faire face aux insultes ou aux comportements agressifs des plus énervés. « Parfois, ça va trop loin », remarque l'infirmier en se rappelant le jour où il a dû appeler la po- lice pour neutraliser un patient trop menaçant. L'infirmier tente généralement d'expliquer, sans toujours atteindre la compréhension espérée, que « si deux chirurgiens sont au bloc, les deux autres ne peuvent pas faire le boulot de quatre aux entrées », qu'il n'y a qu'un scanner, que certains patients sont plus gravement atteints... De même, « les affiches provocatrices de la Fédération hospitalière de France (FHF) appelant les patients à plus de politesse n'ont provoqué aucun commentaire de la part des patients », remarque-t-il.

patients plus âgés, plus précaires

Mais, à Lille comme ailleurs, les urgences souffrent de l'affluence de malades qui pourraient très bien être soignés par les médecins de ville. Parce que l'accès à certains spécialistes est devenu très difficile, mais surtout « faute de moyens, parce qu'ils savent qu'ils n'auront rien à payer, ces patients se rabattent sur l'hôpital où ils seront vus par un médecin, auront une prise de sang, passeront une radio ou un scanner, souligne Bruno Hanot. Ils pensent aussi que ça va aller plus vite ! » Et sont souvent déçus sur ce point.

D'autres expriment pourtant leur satisfaction. « Une fois, un jeune est arrivé, polytraumatisé à la suite d'un accident de voiture. Il était très content des soins qu'il avait reçus et nous avait dit en partant en "traumato" qu'il reviendrait nous voir quand il serait sorti pour nous montrer qu'il allait bien. On avait pris ses paroles un peu à la légère mais quand il est revenu, après une longue hospitalisation, ça nous a touchés », confie l'infirmier, pudiquement. Féru de technique à ses débuts, il mise aujourd'hui sur la relation avec les patients. « Au début, on court un peu dans tous les sens. Mais quand on a acquis les bases, on consacre moins de temps à la technique et on peut donc en dédier davantage à la relation. »

une vraie autonomie professionnelle

Aux urgences, où le temps est compté plus qu'ailleurs, où les soignants sont confrontés à tout l'éventail des traumatismes, pathologies et patients, les infirmiers disposent d'une autonomie, précieuse aux yeux de Bruno Hanot. « Ce n'est pas comme dans un service conventionnel où on fait le tour chaque matin avec les médecins et les professeurs, remarque l'infirmier. On prend les entrées et on sait ce qu'on a à faire - soulager la douleur, donner les premiers soins - avant même que les patients rencontrent un chirurgien. Et on travaille vraiment en collaboration avec les médecins. »

C'est pour cette raison et parce que les urgences sont un service qui « bouge » et qu'il y a tissé de bonnes relations avec ses collègues, qu'il y travaille toujours, treize ans après son arrivée. Quelques périodes de blues ne l'ont pas fait changer de cap alors que d'anciens infirmiers ont quitté le service pour une carrière en libéral. « La question ne se pose pas mais si je quittais le service, souligne Bruno Hanot, ce ne serait pas pour l'hôpital. Il n'y a pas de service qui me tente. » Et pour faire face à la pression, il s'est trouvé un remède : la pêche... « avec les collègues ».

moments clés

- Bruno Hanot, 37 ans, a fait ses études d'infirmier à l'Ifsi du CHRU de Lille.

- En 1992, il obtient son DE. Après avoir effectué son service militaire, il postule au CHRU de Lille qui lui propose les urgences ou la neurochirurgie. Il choisit les urgences. Treize ans plus tard, il y exerce toujours.