Limiter les risques - L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006

 

Schizophrénie et suicide

Thérapeutiques

Dix pour cent des schizophrènes décèdent par suicide. Geste spectaculaire, le passage à l'acte survient en général précocement. Un suivi adapté permet un repérage plus précis des risques cliniques.

Évoquer l'association du suicide et de la schizophrénie renvoie immanquablement au caractère bizarre ou horrible du geste auto-agressif. Les équipes soignantes, confrontées au suicide d'un patient, le ressentent d'autant plus douloureusement. Ces gestes spectaculaires des schizophrènes en phase aiguë ont un effet sidérant et masquent une réalité plus banale et nécessaire à connaître.

fréquence et précocité

Environ 10 % des patients schizophrènes décèdent par suicide. Cela représente un taux de suicide 1,5 à 2 fois supérieur à celui des patients psychiatriques dans leur ensemble et 40 fois supérieur à celui de la population générale.

Outre sa fréquence, la caractéristique essentielle du suicide schizophrénique est sa précocité : 44 % des suicides surviennent dans les dix premières années d'évolution de la pathologie, ce qui en fait la première cause de mortalité chez les jeunes schizophrènes. L'acte suicidaire à l'hôpital advient dans les premiers jours. Le risque est aussi très important immédiatement après la sortie de l'hôpital.

La schizophrénie est une pathologie évoluant selon des modalités très diverses avec la prédominance d'un délire paranoïde ou d'un appauvrissement progressif de la vie psychique et avec l'occurrence plus ou moins fréquente d'états aigus. Le sens du geste suicidaire dépend donc du moment où il survient.

Les épisodes aigus, délirants ou dissociatifs, laissent craindre des passages à l'acte. Ces gestes peuvent s'inscrire dans des constructions délirantes (suicides messianiques) et répondre à des injonctions hallucinatoires ou être le résultat d'un raisonnement froid et pseudo-logique.

Il s'agit là d'une part modeste des suicides, la majorité de ceux-ci surviennent dans les périodes de rémission. Ils sont liés à une symptomatologie dépressive s'ajoutant au tableau schizophrénique. Dans certains cas, l'humeur dépressive peut être exprimée. L'observateur doit distinguer les symptômes dépressifs du retrait des investissements affectifs propres à la psychose et de certains effets secondaires de neuroleptiques. D'où ici l'importance pour le patient schizophrène d'un suivi continu et sur le long terme par des équipes soignantes pluriprofessionnelles. Un repérage plus précis des signes cliniques est alors possible précocement (voir ci-contre).

discours du patient

Il existe actuellement des débats théoriques sur les frontières séparant la schizophrénie des troubles de l'humeur, suggérant une présence « constitutive » de la dépression dans certaines formes de schizophrénie. Tout en reconnaissant ces formes « frontières », on peut s'intéresser au discours des patients. Il s'agit d'un renoncement à un projet de vie. Ce discours est parfois renforcé par une activité délirante mégalomaniaque. Ceci peut expliquer la fréquence des suicides chez des patients jeunes, isolés, d'un bon niveau socioculturel, confrontés depuis peu à la pathologie. Ils acceptent mal l'aide des soignants et souffrent d'une forme de pathologie associant de fréquents états aigus et des phases de rémission de bonne qualité, avec cette conscience douloureuse des troubles.

alliance thérapeutique

Le choix de privilégier une prise en charge extra-hospitalière a permis une redynamisation et une ouverture du travail avec les schizophrènes. Un travail plus respectueux de leur subjectivité qui soutient la réanimation d'une vie psychique mais qui prend aussi le risque d'accidents de prise en charge (rupture de soin, suicide).

Dans un objectif de prévention, les équipes soignantes doivent être conscientes de l'importance du suicide, connaître ses facteurs de risque et favoriser une alliance thérapeutique avec les patients, surtout à la sortie de l'hôpital en coordonnant les interventions extra-hospitalières et en privilégiant des traitements neuroleptiques de nouvelle génération mieux tolérés. Il faut être vigilant quant à l'émergence d'un état dépressif, user alors d'antidépresseurs, voire hospitaliser le patient si nécessaire. C'est dans cette situation que le travail de secteur prend tout son sens.

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