Pour ne pas les laisser en rade... - L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 212 du 01/01/2006

 

le centre Anjela-Duval à Brest

24 heures avec

Depuis sept ans, l'équipe soignante du centre Anjela-Duval, installé au sein du CHU Morvan de Brest, est au coeur de la prévention du mal-être adolescent.

On pourrait s'y méprendre. Voir l'unité Anjela-Duval comme un centre aéré, tellement il y a de mouvement, de vie ! Le jour de notre venue, douze adolescents nous saluent et se croisent dans un joyeux tohu-bohu. Mais on est bien à l'hôpital. Plus exactement, au coeur du Chu Morvan, dans un bâtiment qui surplombe l'entrée du site et qui fait face à la rade de Brest. Au dernier étage, a été installée l'unité Anjela-Duval. « Ici, la mort est présente même si elle n'est pas palpable », souligne Valérie Bignon, une des quinze infirmières du service. Une présence qui contraste avec les premières impressions et prend, heureusement, rarement forme à l'intérieur du centre. Cependant, en décembre dernier, une jeune fille s'est pendue dans sa chambre, sauvée in extremis par l'équipe.

Bouée de sauvetage

Pour une petite moitié des jeunes hospitalisés, ce lieu sert alors de bouée de sauvetage après un passage à l'acte. Pour les autres, le centre est un phare qui va les aider à éviter le naufrage, à remettre le cap sur la vie avant qu'il ne soit trop tard. Créé en 1998 à l'initiative du Pr Michel Walter, chef des urgences psychiatriques à la Cavale Blanche, un autre hôpital brestois, le service est précurseur. Son fonctionnement est calqué sur le seul centre similaire existant alors, celui du Pr Pommereau à Bordeaux, ouvert six ans avant. Au départ, il est prévu d'accueillir des jeunes qui viennent de passer à l'acte. Dans le Finistère comme ailleurs en France, les réponses à cette problématique sont quasi inexistantes. Mais, dans ce département comme dans l'ensemble de la Bretagne, la réalité du suicide y est plus répandue. Un jeune sur dix y ferait une tentative de suicide. Alors, les professionnels sont davantage sensibilisés. « On revoyait certains patients trois fois après leur geste suicidaire et d'autres pas du tout, explique Yvette Le Guen, infirmière aux urgences pendant sept ans avant de rejoindre l'unité Anjela-Duval dès ses débuts. On percevait bien l'intérêt de les revoir après leur passage aux urgences. »

Progressivement, le profil des jeunes admis par le service évolue. L'équipe s'intéresse à la manière de « traiter » ceux qui sont en situation de crise, avec une conduite ou une idéation suicidaire, ou encore ceux qui présentent des conduites à risque, des comportements d'auto-sabotage. Bref, tous ceux qui ont « un sentiment d'impasse », comme le décrit Loïc Jousni, un des deux psychologues travaillant dans cette unité. Car, ce sentiment peut pousser au passage à l'acte. « Un jeune en phobie scolaire ou en rupture familiale, par exemple, peut être accueilli, précise-t-il. Il existe un continuum entre les conduites à risque et le passage à l'acte suicidaire. »Un jeune sur dix qui vient en consultation externe va ainsi être hospitalisé.

1 200 jeunes accueillis en sept ans

En sept ans, l'intérêt du centre ne s'est pas démenti. Mille deux cents jeunes, dont la moyenne d'âge est de 17 à 18 ans, y ont été pris en charge par l'équipe pluridisciplinaire composée de trois psychiatres, deux psychologues, deux assistantes sociales et des quinze infirmières bien sûr. Les infirmières, toutes volontaires pour travailler ici, participent activement au staff quotidien. Celui du lundi est particulièrement important. La plupart des jeunes, hospitalisés avec leur accord, sont rentrés dans leur famille le week-end. D'autres sont restés, profitant ainsi d'un moment plus propice à l'échange avec l'équipe.

Ce sont les infirmières, les seules professionnelles à être présentes 24 heures sur 24, qui vont donner des informations sur l'état d'esprit du jeune. Les dix jours composant en moyenne le séjour vont servir de période d'observation, d'écoute, de soins. Ils ne seront pas de trop pour cerner la situation personnelle du patient. Avant qu'il soit suivi ensuite en ambulatoire, au centre ou en libéral, au CMPP.

Éviter les clashs

Pendant que quatre infirmières, une étudiante infirmière et le cadre infirmier contribuent à l'analyse de la situation de chaque patient, Yvette Le Guen assure la permanence infirmière dans l'office. C'est le moment que choisit Jean-Philippe, un des deux garçons hospitalisés avec neuf jeunes filles, pour demander si son cordon de baladeur n'aurait pas été retrouvé. Et puis, il y a bien ces petits boutons rouges autour de ses yeux... « Il n'aime pas rester seul », souligne Yvette Le Guen. L'activité est encore assez calme. L'infirmière de garde, comme d'ailleurs ses collègues, ont envie d'expliquer leur travail, plutôt particulier. « Ici, on est toute seule. L'hôpital psychiatrique de Bohars se trouve à cinq kilomètres et les trois psychiatres de l'unité sont là en journée. On doit éviter les clashs. C'est pour ça que les conditions de l'hospitalisation doivent être très claires. On n'accepte pas quelqu'un qui serait en crise délirante par exemple. Et puis, on prend beaucoup de temps pour se transmettre le maximum d'informations. »

Entretien d'admission

Un appel téléphonique des urgences indique aux infirmières qu'une jeune fille va arriver d'ici une heure. La plupart des jeunes accueillis ici passent par les urgences. Deux psychiatres y sont habilités à effectuer l'entretien de pré-admission. S'ils passent par les autres canaux habituels (médecins et infirmières scolaires, psychiatres libéraux, centres médicopsychologiques ou médecins généralistes), l'arrivée dans l'unité sera suivie immédiatement d'un long entretien avec un des psychiatres présents. Nécessaire pour vérifier que le jeune ne présente pas de maladie psychiatrique avérée, synonyme de transfert en psychiatrie. L'admission en elle-même peut ensuite, souvent en présence des parents, durer deux heures, notamment pour y lire ensemble le règlement intérieur. On y réfléchit également au projet de soins en vue de formaliser ce que le jeune attend de son hospitalisation (« penser à moi », « essayer de me construire »...).

Planning chargé

Pour le moment, c'est la fin du staff et le signal du vrai démarrage de la journée pour les patients. Régine Morvan, infirmière au centre depuis son ouverture après avoir travaillé en psychiatrie à Bohars pendant 24 ans, organise le tableau qui présente l'emploi du temps des patients. Au carrefour de l'organisation, les infirmières sont mises à contribution.

Les psychiatres les sollicitent pour participer à l'entretien médical, une manière d'assurer un suivi efficace, comme c'est le cas ce matin-là pour Valérie Bignon, à l'unité depuis sa création. Elle doit être aux côtés d'une jeune fille destinée à téléphoner à un autre médecin sur les conseils du psychiatre pour qu'il prenne le relais après sa sortie prévue le lendemain.

Les infirmières assurent également les séances de génogramme, un outil original qui permet d'évoquer l'histoire des parents, la fratrie, et aussi les relations amicales, la scolarité... « On apprend notamment beaucoup de choses sur les traumatismes familiaux, même si on a bien conscience que c'est la vision qu'a le jeune de son histoire », explique Yvette Le Guen. Le génogramme se réalise généralement pendant les deux premiers jours de l'hospitalisation. Deux jours particuliers durant lesquels le patient est coupé du monde extérieur : pas de téléphone, pas de visite, pas de sortie... « L'observation est ainsi facilitée car il n'y a aucun parasitage, ajoute Yvette Le Guen. Ils se libèrent de tout. »

Ateliers thérapeutiques

Le milieu de la matinée est le moment où l'équipe doit gérer les permissions et les inscriptions aux activités qui ponctuent la semaine. Lundi, c'est psychodrame. Les autres jours, sont proposés des ateliers journal, bien-être et parole, piscine, jeux d'échecs, expression corporelle ou dessin (sur prescription médicale). Ces questions d'organisation, mais aussi de logistique, sont abordées deux fois par jour au cours du Point rencontre, à 10 h 30 puis à 18 h 30. Là encore, ce sont les infirmières qui animent. Ce matin-là, cinq infirmières y assistent. Il a lieu dans la grande salle au sol jaune pétant. Baby-foot, ordinateur (avec connexion Internet), télé avec magnétoscope, jeux de société ; l'endroit est plutôt agréable. Devant les tentatives de certains pour « négocier » les permissions et les inscriptions aux activités, la rencontre débute par un rappel au règlement de la part de Régine Morvan : « Les activités priment sur les permissions. » L'organisation, assez souple, de l'unité en ferait oublier à certains jeunes les raisons de leur présence...

Chaque moment est l'occasion pour les infirmières de les observer. Il en est ainsi lors du repas thérapeutique, où la présence est obligatoire. Les deux infirmières chargées de la tranche 6 h 30-14 h veillent à tous les signes de troubles alimentaires. Même veille exercée au cours des activités des après-midi. Les infirmières d'Anjela-Duval jouent un rôle central, de fait « reconnu », comme le souligne Régine Morvan, qui motive toute l'équipe infirmière.

Forte implication

« Après mon premier poste avec des personnes âgées, Anjela-Duval a été une bouée de secours, raconte ainsi Valérie Bignon. Avant, mon travail était peu valorisé. Ici, on est en mouvement et on participe à la conceptualisation du projet. » Une implication qui se poursuit aujourd'hui, explique Régine Morvan : « Plusieurs groupes de travail ont été constitués pour réactualiser l'outil de départ. » Cette implication auprès de ce public particulier - selon Loïc Jousni, ces jeunes sont « entre deux, c'est-à-dire entre l'enfance et l'âge adulte, entre normalité et psychiatrie, entre psychiatrie classique et service de consultation... » - a une contrepartie pour les infirmières : une charge mentale lourde à assumer. « En psychiatrie, on se sent moins concernées, car le malade, c'est l'autre, précise Gwenola Léal, infirmière issue du secteur psychiatrique. Ici, on évolue dans notre environnement ! Il arrive que l'on accueille des jeunes que l'on connaît. »