Des choix cornéliens - L'Infirmière Magazine n° 213 du 01/02/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 213 du 01/02/2006

 

Médicaments

Éthique

Les médicaments, et leur prescription, confrontent le soignant à un questionnement éthique et, parfois même, à de véritables cas de conscience. Débat au CHU de Nantes.

Outre des avis consultatifs qu'il émet à la demande de praticiens ou de l'institution hospitalière, le comité d'éthique du CHU de Nantes, créé en 2000, organise chaque année, en collaboration avec le conseil de l'ordre, une journée d'étude dédiée à une thématique éthique, ouverte à l'ensemble des professionnels de santé de la ville. Le 14 janvier dernier, il a consacré sa rencontre à : « l'éthique et le médicament ».

dilemme éthique

« Le fait de donner trop d'informations sur les médicaments, notamment sur les effets secondaires ou indésirables, incite bon nombre de patients à ne pas suivre leur traitement », déclare le Dr Jean-Joseph Ferron, généraliste libéral, membre du bureau du conseil de l'ordre et du comité d'éthique du CHU de Nantes. « Dès lors, que faire ?, interroge le médecin. Nous sommes là dans un dilemme éthique. D'un côté, le principe de bienfaisance nous conduit à proposer ce que nous considérons être le traitement le plus adapté à la situation et, de l'autre, nous savons, que conformément au principe d'autonomie, nous devons cette information au patient ! » D'autant que cette nécessité, qui va conditionner la liberté de choix du patient, est désormais contenue dans la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades. Bref, aujourd'hui, il ne suffit plus au praticien de prescrire, il lui faut aussi argumenter son choix et, parfois, convaincre son patient du bien-fondé de sa prescription.

questions sans réponses

À l'opposé du constat dressé par le Dr Ferron, le praticien peut être confronté à des demandes pressantes de patients en fin de vie, ou de leurs proches, de voir se poursuivre la prescription de médicaments, alors même que le médecin sait qu'ils n'auront aucun impact sur l'amélioration de l'état de santé du malade, voire qu'ils peuvent engendrer des effets délétères. « Ces situations engendrent de véritables cas de conscience », confie le Pr Françoise Nicolas, ancienne chef du service de réanimation du CHU et présidente du Comité d'éthique. « Il est humainement difficile de tuer tout espoir de guérison chez une personne, précise-t-elle. De plus, certains médicaments coûteux étant contingentés, les donner à ces patients revient à en priver d'autres qui en auraient un réel besoin. »

S'agissant des « maladies orphelines », le Pr Nicolas admet que les médecins sont souvent impuissants à soulager efficacement les malades atteints de ces pathologies. « Cette impuissance résulte des stratégies de l'industrie pharmaceutique qui rechigne à investir dans la recherche et le développement de molécules spécifiques, car elle sait que ses investissements ne seront jamais rentabilisés. » Si ces questions, pour l'heure sans réponses, interrogent les soignants, elles doivent aussi interpeller la société dans son ensemble. C'était aussi la vocation de cette rencontre !

TÉMOIN Béatrice Maechler-Durand

Le placebo, abus de confiance ?

Béatrice Maechler-Durand, cadre de santé en gériatrie au CHU de Nantes, s'est intéressée au placebo dans le cadre de la journée d'étude du comité d'éthique nantais. « L'usage de ce traitement particulier conduit également à des questionnements d'ordre éthique, car le professionnel s'inscrit dans une démarche fondée sur la confiance. » Certaines de ses collègues estiment d'ailleurs que cette pratique « est un abus de confiance, une trahison. Une manière de nier la douleur des patients. » Pour les autres, majoritaires dans le service, l'utilisation de placebos est, au contraire, un moyen d'être tout à l'écoute du patient, pour évaluer en amont son état psychique et sa douleur. « L'absence d'information est-elle plus préjudiciable que la délivrance d'un placebo. Faut-il tout dire ? Même si la prescription médicale du placebo est rare, elle n'est jamais exécutée sans être questionnée. Et, à mon sens, c'est déjà le début d'une réponse satisfaisante », souligne Béatrice Maechler-Durand.