Juste pour le plaisir... - L'Infirmière Magazine n° 213 du 01/02/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 213 du 01/02/2006

 

un atelier musique à Nantes

24 heures avec

À La Placelière, un des établissements de long séjour du Chu de Nantes, onze résidents participent à un atelier musique. Ici pas de visée thérapeutique, le seul objectif : passer un bon moment !

En ce début d'après-midi, pendant qu'une soixantaine de résidents de La Placelière s'assoupissent dans le hall ou les couloirs, onze participants de l'atelier musique sont sagement assis sur leur chaise. Bien éveillés. Ils attendent l'arrivée de Régine Audouin et Carine Durand, respectivement animatrice de l'établissement et musicienne professionnelle. Exceptionnellement, la dernière séance de l'année n'a pas lieu à l'Orangerie où se déroule habituellement l'activité hebdomadaire. Nous sommes dans les premiers jours de décembre. Un froid hivernal s'est installé et Régine a jugé plus raisonnable de rester à l'intérieur du bâtiment central. L'Orangerie est un endroit apprécié des résidents, en premier lieu des résidents « musiciens ». Mais il est vaste, trop vaste pour être aussi chaud que la salle où, ce mercredi, tout le monde est installé.

Les violons de Vivaldi

Carine, la musicienne qui anime toutes les deux semaines l'atelier d'une heure, n'aurait pas pu faire meilleur choix que Vivaldi pour commencer la séance. Vivaldi et ses Quatre Saisons, avec une préférence, ce jour-là, pour « sa musique de l'hiver », comme le dit joliment Carine. Une mise en oreilles en quelque sorte qui sied à merveille au temps, mais aussi au cadre majestueux. En effet, La Placelière est un château. Construit en 1747, il n'a rien perdu de sa superbe. Cette « folie » - du nom donné aux demeures que les armateurs et bourgeois nantais se faisaient édifier en campagne - est entourée d'un parc, aujourd'hui d'une vingtaine d'hectares, et de champs de vignes, puisque la commune de Château-Thébaud sur laquelle elle est située se trouve au milieu du vignoble du muscadet.

Sous le regard de deux des anciens propriétaires, dont les portraits sont fixés à un mur de la salle, les onze résidents - dont deux hommes - ont les yeux dans le vide. Les violons de Vivaldi semblent avoir eu raison de leur entrain !

Bonjour allégresse !

Heureusement, Carine, en bonne professionnelle, redonne de la vie en entamant la distribution des instruments de musique. Les Quatre Saisons n'auront été qu'une étape. Finie la mélancolie, bonjour tambourins, maracas, cymbales, xylophones et autres triangles. L'atelier est participatif. Avec pour maître mot : le plaisir. « Nous n'avons pas d'autres ambitions que leur donner du plaisir, explique Carine. Et je pense que la plupart le ressentent ! Après, le fait d'être ensemble, dans un groupe, de devoir écouter ce qui se passe autour de soi, a peut-être une portée thérapeutique. Mais ce n'est pas le but. »

Pourtant, avec le temps, Carine a pu observer des évolutions chez certains résidents. L'année dernière, sur le site de La Seilleraye, un autre établissement de long séjour où cette jeune femme intervenait déjà, elle s'est aperçue que certains participants avaient évolué, « surtout trois d'entre eux, dont le rapport aux instruments et à la musique en général a changé. Notamment, une personne atteinte d'Alzheimer, qui n'était pas du tout en connexion avec le groupe au début, est désormais en position d'écoute de l'entourage, alors que dans le même temps, elle avance dans la maladie. C'est étonnant de réussir à les faire se concentrer un instant, effectuer un petit travail rythmique quand tout part autour d'eux. »

Une régularité salutaire

La musique a fait son entrée dans les services du CHU de Nantes en octobre 2004. S'inspirant des interventions de musiciens de l'Association départementale pour le développement de la musique et de la danse en pédiatrie depuis plus de dix ans, des professionnels de l'hôpital se sont regroupés au sein d'une association, Art'Hop, pour prolonger cette parenthèse enchantée et l'intensifier. « Nous nous sommes rendus compte qu'il fallait une certaine régularité pour que cela marche, pour ramener un peu de normalité dans l'hôpital, explique le Dr Georges Picherot, chef du service des urgences pédiatriques et initiateur du programme « Musiques à l'hôpital » qui concerne désormais les quatre services de long séjour en gériatrie (La Placelière, La Seilleraye, Pirmil et Beauséjour), et aussi la rééducation fonctionnelle, la chirurgie, même la néonatalogie. Les rencontres sont impossibles quand l'action est réduite à un événement. Depuis que nous accueillons des musiciens, nous avons cherché à les intégrer le plus possible dans les services, au même titre que l'activité scolaire. L'artiste, qui a été sensibilisé au public, connaît le personnel, discute avec les infirmières pour adapter au mieux son intervention, aller vers celui qui peut en avoir besoin. »

À La Placelière, Carine, la musicienne, est surtout en contact avec Régine, l'animatrice. Un duo efficace car complémentaire. « Le plus difficile, c'est de faire comprendre les consignes, explique Carine. Il faut parler fort et lentement. Régine parle plus fort que moi, elle articule mieux et ils sont habitués à sa voix. Et puis, elle connaît leurs déficiences, donc leur capacité de compréhension propre ».

Oreille musicale

Cet après-midi-là, Régine va inciter Madeleine, qui est aveugle, à jouer. « Elle a l'oreille musicale, connaît toutes les chansons anciennes par coeur, mais aujourd'hui, elle est de mauvaise humeur, explique l'animatrice. Pourtant, la musique est quelque chose d'innée chez elle. Hier, nous sommes allées faire des courses ensemble, elle a chanté sans arrêt dans la galerie marchande ! »

Comme cette résidente, tous émettent une petite réserve, une coquetterie en fait, quand Carine leur présente l'instrument qu'ils devront apprivoiser pour cette séance. Mais, passée cette timidité de façade, ils se mettent à jouer spontanément... Plus question alors de les arrêter ! Marcelline se laisse entraîner par le son du carillon. Rose également ne demande pas son reste, quand elle a trouvé la manière de faire tinter le triangle. Andrée, assidue depuis la première séance, joue volontiers du premier instrument qu'on lui propose.

Dans ce brouhaha, Carine parvient à remettre un peu d'ordre. Chacun est invité à jouer de son instrument du jour pour se l'approprier, c'est-à-dire trouver le moyen d'en jouer suffisamment bien pour en sortir un son et retenir son nom. « Un exercice, pas si facile qu'il en a l'air !, ajoute Régine. Mais on y arrive : nous sommes allés, il y a quelques jours, écouter et voir le spectacle des Ballets russes, certains ont reconnu des instruments. »

Au clair de la lune... mon ami créole

L'ordre de la séance est souvent le même. « Cela les rassure », note Régine. À l'étape suivante, Carine reprend, accompagnée de sa guitare, une version originale de « Au clair de la lune »... avec un refrain en créole. Puis, chaque famille d'instruments (les peaux, les bois, les métalliques...) est invitée à rejoindre la guitare de Carine successivement. Ensuite, l'air est chanté une dernière fois, la consigne donnée au groupe étant alors de se mettre à jouer dès le début du refrain. Une construction qui demande à chaque participant un minimum de réactivité. D'où le choix de comptines enfantines qui ont des rythmes assez simples à reproduire.

On connaît la chanson

Les dernières minutes de la séance vont être consacrées à la chanson. Presque une seconde nature chez certaines personnes de ce groupe et, ainsi, une richesse sur laquelle s'appuie Carine pour dynamiser la séance. « C'est essentiel d'adapter son intervention au vécu, à l'expérience des participants, fait observer Carine. Pour garder l'énergie qui se manifeste, il faut être pragmatique. Je ne suis pas là pour leur apprendre quelque chose. On essaie surtout de ressentir du plaisir à être là, c'est tout ! » Régine, si prodigue de ses efforts pour transmettre sa jovialité au groupe, ne contredirait pas cette affirmation.

En cette fin de séance, armée d'un triangle, elle met du coeur à l'ouvrage ! Et son activisme est contagieux. D'autres participants se mettent à utiliser leur instrument pour accompagner celle qui chante.

La séance touche à sa fin. Une heure seulement est passée. Chaque résident présent a été choisi par Régine. Pas sur sa compétence musicale, mais sur sa faculté à être réactif, ouvert et, bien sûr, en fonction de la mobilité de ses membres supérieurs.

Jusque-là, aucune défaillance de dernière minute n'est à déplorer. Là encore, la présence de Régine est primordiale. Avant l'atelier, pour les inviter à venir, et pendant, pour les solliciter. Pour Carine, qui se demandait si une heure par semaine avait du sens, l'expérience est un succès. « C'est bien la régularité qui peut porter ses fruits, précise-t-elle. On peut installer sur la durée cette activité qui est juste une occupation, sans intérêt pédagogique, ni obligation de résultat ! On oublie que ces personnes qui sont sur la fin de leur vie sont encore vivantes... C'est pour ça que j'ai accepté. »

Le programme « Musiques à l'hôpital » de Nantes en est à sa deuxième année. Normalement, une troisième année devrait prendre le relais. En attendant peut-être que l'opération soit renouvelée.