Le défi chinois de MSF - L'Infirmière Magazine n° 213 du 01/02/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 213 du 01/02/2006

 

traitement du sida

Reportage

Avec le sida, la Chine menace de battre un nouveau record de croissance mondiale. Médecins sans frontières, dans le sud du pays, traite par antirétroviraux plus de 200 personnes. Mais la mission se heurte à de multiples problèmes...

Comment prendre en charge le sida en Chine, quand des patients peuvent avoir à avaler quotidiennement plus de quarante comprimés, en l'absence de thérapie combinée ? Comment faire reculer la stigmatisation, l'ignorance ? Comment travailler avec les hôpitaux chinois, des entreprises avant tout lucratives ?

Tels sont les défis auxquels est confrontée la mission sida de Médecins sans frontières (MSF) dans le Sud chinois.

Suivi des traitements

Inaugurée le 1er décembre 2003, la clinique MSF loge dans le Centre de contrôle sanitaire (CDC) de Nanning, dans la province du Guangxi. Elle prend en charge 380 personnes infectées par le VIH et les reçoit en moyenne tous les mois. Ce mardi matin, un couple d'une trentaine d'années et leur bébé se présentent. Tous trois sont séropositifs, mais aucun n'a développé le syndrome d'immunodéficience humaine. Un peu plus tard, une femme passe la porte en soutenant son mari. Elle va plutôt bien : son taux de lymphocytes T4 - principales cellules du système de défense humain - est encore élevé. Son époux, en revanche, est atteint du sida. Pâtissant d'un système immunitaire fragilisé, incapable de lutter contre les maladies opportunistes, l'homme a perdu 2,5 kg en une semaine. « Il est atteint d'une anémie sévère et doit être hospitalisé rapidement », annonce Delphine. Unique infirmière expatriée à la clinique, sa mission est large.

Chargée de superviser le soutien psychosocial donné aux malades, Delphine surveille la consommation des médicaments et leur commande. En collaboration avec une infirmière chinoise, elle suit les patients tout au long de leur traitement et s'assure que tous leurs examens et analyses sont effectués au bon moment. Avec l'aide de Wu, interprète, elle les aide à gérer la maladie au quotidien.

Ouverte du mardi au jeudi, la clinique accueille quotidiennement 20 à 25 personnes, dont un ou deux nouveaux patients. Un tiers d'entre eux sont si faibles qu'il faut les guérir d'une autre infection avant de lancer un traitement par antirétroviraux (ARV) contre le VIH. Les ARV, administrés en trithérapie, empêchent le virus de se reproduire massivement. Ils sont régulièrement accompagnés d'effets secondaires, parfois sévères - maux de tête, vomissements et diarrhées, perte d'appétit, accès de fièvre... Deux cent trente personnes en reçoivent gratuitement à Nanning.

Dix fois plus cher !

La trithérapie la plus utilisée en première intention comprend les trois molécules suivantes : lamiduvine (3TC) ; stavudine (d4T) et névirapine (NVP). « Les trois produits, vendus séparément, coûtent en Chine 2 772 $ par patient et par an. Le prix du même traitement en combinaison fixe dans un seul comprimé, proposé par le fabricant de génériques indien Cipla (préqualifié par l'OMS), est de 182 $ », indique Élodie Jambert, pharmacienne, chargée de fournir la mission en médicaments. « Nous payons ici dix fois plus que sur d'autres missions. L'accès aux médicaments génériques, c'est l'enjeu du sida en Chine ! », affirme Max-Antoine Grolleron, chef de mission MSF sida en Chine.

Adhérence thérapeutique

Au-delà des questions de coût, l'accès à une trithérapie combinée conditionne le succès médical de la mission. Trop de pilules peuvent causer l'abandon des malades ou une mauvaise observance. En divisant par trois le nombre de comprimés, les antirétroviraux à dose fixe (FDC) faciliteraient les prises et la régularité du traitement. On parle alors d'adhérence thérapeutique. « Une bonne adhérence signifie qu'un malade prenne 95 % de ses médicaments tous les jours, à heure fixe. Sans quoi, il risque de développer des résistances. Il faut alors changer de traitement, adopter des trithérapies de "seconde ligne". C'est beaucoup plus compliqué, car il est difficile de se les procurer en Chine pour l'instant », précise Nicolas Durier, médecin. Elles sont beaucoup plus coûteuses.

La situation est encore plus critique dans le cas des personnes co-infectées par le sida et la tuberculose, la première maladie opportuniste liée au virus. Quarante pilules quotidiennes pourraient être réduites à dix grâce aux FDC : « 22 % de nos patients sont tuberculeux, note Stefano Manfredi, coordinateur du projet à la clinique MSF de Nanning. Certains développent une tuberculose "multi-résistante", face à laquelle les options thérapeutiques sont extrêmement limitées. »

Logique économique

Les personnes destinées à être hospitalisées sont envoyées à l'hôpital « n°4 » des maladies infectieuses, le seul à accepter les malades du sida à Nanning. En été 2005, cet hôpital a ouvert un service VIH qui héberge une trentaine de patients. Tous les mois, MSF y défère trois ou quatre personnes supplémentaires. Elles y demeurent entre deux semaines et un mois. L'association finance leur traitement, dont le coût s'élève à 1 500 euros en moyenne. Françoise Silvereano-Roge, médecin, s'y rend deux fois par semaine. « Notre logique médicale est différente de celle des médecins chinois. Nous essayons d'affiner les diagnostics au maximum et de soigner à un coût moindre. Nous utilisons des protocoles de traitement internationaux qui ont prouvé leur efficacité et ne prescrivons pas d'examens complémentaires quand cela est inutile. De leur côté, les praticiens chinois veulent se faire "leur propre expérience"... mais perdent beaucoup de temps. Ils commandent des quantités d'examens et de médicaments. Il est difficile et frustrant, quand on est une organisation humanitaire, de travailler avec les hôpitaux chinois. Ces véritables entreprises fonctionnent selon une logique avant tout économique. Elles font de la publicité à la télévision et affichent de jolies infirmières sur les panneaux urbains. La nuit, leurs devantures clignotent comme des boîtes de nuit ! »