Pathologie du sang et de la moelle - L'Infirmière Magazine n° 213 du 01/02/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 213 du 01/02/2006

 

hématologie

Cours

Après un rappel physiologique, ce cours propose de faire le point sur les différentes pathologies du sang et de la moelle osseuse. Connaître les mécanismes hématologiques (coagulation sanguine, hémostase...) permet d'anticiper les potentielles anomalies : les différentes anémies, les anomalies de la coagulation et les anomalies des globules blancs.

Le sang est un fluide circulant dans les vaisseaux composé d'une phase liquide, le plasma, et d'éléments figurés, visibles au microscope, les hématies (globules rouges), les leucocytes (globules blancs) et les plaquettes.

LE SANG : RAPPELS PHYSIOLOGIQUES

Le volume sanguin total, appelé masse sanguine, est de 80 à 85 mL/kg de poids. Le rapport entre le volume des éléments figurés et le volume sanguin total s'appelle le taux d'hématocrite, il se situe normalement entre 40 et 50 %.

Plasma. Il contient de très nombreuses substances en solution : protéines, glucides, lipides, ions, oligoéléments... Il est le vecteur essentiel des nutriments, des hormones, des anticorps, des déchets cellulaires. Sa production et son équilibre sont sous la dépendance d'une multitude de facteurs et de nombreux organes : foie, reins, appareil digestif notamment.

Éléments figurés. Ils sont produits par les cellules hématopoïétiques situées dans la moelle osseuse, celle-ci étant beaucoup plus abondante dans les os plats (bassin, vertèbres, côtes, crâne...) que dans les os longs des membres.

Hématies. Issues de la maturation des réticulocytes, eux-mêmes produits par les érythroblastes, les hématies sont des cellules dépourvues de noyau, sortes de sacs emplis d'hémoglobine (Hb), protéine très particulière sur laquelle repose le transfert de l'oxygène des poumons vers tous les tissus de l'organisme et l'évacuation en retour du dioxyde de carbone.

L'électrophorèse de l'hémoglobine permet l'analyse de cette protéine essentielle de la chaîne respiratoire. Normalement, une hémoglobine de type foetal (Hb F) laisse place, dans les premiers mois de vie, à l'hémoglobine A. Parfois, des hémoglobines anormales sont fabriquées (hémoglobinopathies). La synthèse de l'hémoglobine consomme du fer, dont la carence provoque des anémies fréquentes chez l'enfant en raison de l'augmentation rapide de la masse sanguine. Le fonctionnement normal des hématies nécessite la présence de certaines enzymes (notamment glucose-6-phosphate déshydrogénase, ou G6PD, et pyruvate-kinase, ou PK), dont l'anomalie engendre des anémies.

La durée de vie moyenne des hématies est de 120 jours, c'est-à-dire que chaque jour, l'organisme renouvelle un peu moins de 1 % de ses hématies. Les réticulocytes sont des hématies jeunes, nouvellement produites, reconnaissables dans le sang périphérique. Leur mesure constitue un bon indicateur sur l'importance de la production médullaire en réponse au déficit périphérique ; en cas d'anémie par destruction excessive des hématies ou par hémorragie, la moelle tente de compenser le déficit (anémie régénérative, réticulocytes élevés) ; à l'inverse, une anémie non ou peu régénérative indique une pathologie de la moelle osseuse elle-même : carence ou aplasie.

Leucocytes. Ce sont des cellules nucléées, appartenant à différents types correspondant à des fonctions variées. La distribution entre les différents types s'appelle la formule leucocytaire et s'exprime en pourcentage ou en valeur absolue par unité de volume. Le nombre total de leucocytes et leur distribution sont fonction de l'âge de l'enfant.

Polynucléaires. Ils représentent environ la moitié des leucocytes. Ce sont des cellules essentielles dans la lutte contre les agents infectieux figurés (bactéries) qu'ils sont capables d'attaquer et de digérer (phagocytose). Plusieurs sous-types existent : les polynucléaires neutrophiles (les plus nombreux), éosinophiles et basophiles (plutôt impliqués dans les réactions de type allergique). La durée de vie des polynucléaires neutrophiles est courte (4 jours), donc l'organisme renouvelle chaque jour 25 % d'entre eux. À l'état normal, une proportion importante des polynucléaires ne circule pas, ces cellules étant plaquées sur les parois des vaisseaux. Elles constituent un réservoir rapidement mobilisable en cas d'infection. La corticothérapie diminue également cette « marginalisation » des polynucléaires et donc augmente apparemment leur nombre, tel qu'on peut le mesurer dans un échantillon de sang.

Lymphocytes. Ils constituent environ un tiers des leucocytes et représentent des cellules essentielles dans les mécanismes de défense spécifique de l'organisme. On distingue, et on peut quantifier par des examens spécifiques (typage lymphocytaire), deux grands types :

- les lymphocytes T, formés dans le thymus, organe lymphoïde rétrosternal développé chez l'enfant jeune et qui s'atrophie au cours des premières années ; ils sont responsables de l'immunité dite cellulaire (reconnaissance des cellules étrangères et des antigènes, mémoire immunitaire, régulation des réactions immunitaires...) ;

- les lymphocytes B, formés dans la paroi de la partie terminale de l'intestin grêle, qui sont des usines à fabriquer les anticorps (immunoglobulines G, A, M).

À l'état normal, les lymphocytes se répartissent dans le sang, mais aussi dans la lymphe, les ganglions, les amygdales. Leur durée de vie est très variable selon le type ; certains lymphocytes T, qui assurent la mémoire immunitaire, ont une durée de vie très longue : ce sont eux qui permettent d'obtenir une immunité prolongée après une maladie infectieuse (varicelle par exemple) ou une vaccination.

Les cellules productrices des lymphocytes, appelées lymphoblastes, sont à l'origine, quand elles deviennent cancéreuses, de la plupart des leucémies et des lymphomes malins de l'enfant.

Monocytes. Ces cellules représentent environ 10 % des leucocytes dans le sang circulant. Elles ont la capacité de migrer hors des vaisseaux, sans effraction vasculaire, et de se déplacer dans le tissu interstitiel ; elles prennent alors le nom de macrophages et constituent un élément important du système de défense de l'organisme.

Plaquettes. Ce sont des corpuscules détachés de la cellule productrice appelée mégacaryocyte et qui réside dans la moelle osseuse. Elles ont un rôle essentiel dans la réparation des brèches des parois vasculaires en constituant le caillot sanguin dans le cadre d'un mécanisme complexe dans lequel interviennent de nombreux facteurs : la coagulation sanguine. La durée de vie des plaquettes est en moyenne de 10 jours, donc chaque jour l'organisme renouvelle 10 % de son stock. Le nombre des plaquettes peut être abaissé par un défaut de production (aplasie), un excès de consommation (syndrome de coagulation intravasculaire disséminée) ou une agression, auto-immune par exemple.

LA COAGULATION SANGUINE

On appelle hémostase l'ensemble des mécanismes qui concourent à l'arrêt d'un saignement.

L'hémostase primaire est le fait des plaquettes et aboutit, par leur agrégation, à la formation d'un bouchon, le clou plaquettaire. Cette phase est explorée par le temps de saignement, la numération des plaquettes et, dans des cas particuliers, par des tests de la fonction plaquettaire.

L'hémostase secondaire, ou coagulation stricto sensu, comporte une cascade d'interactions de nombreux composants sanguins : des protéines, appelées facteurs de la coagulation, et certains ions (calcium). Il existe deux voies d'activation dites voie intrinsèque (explorée par le temps de céphaline activée) et voie extrinsèque (explorée par le temps de Quick). Le résultat de ces interactions conduit à la fabrication de thrombine qui transforme le fibrinogène en fibrine, substance stable assurant l'étanchéité de la brèche : c'est le caillot.

Le déficit par défaut de synthèse ou excès de consommation de certains facteurs entraîne une baisse générale des capacités de coagulation et provoque donc des hémorragies.

VALEURS NORMALES CHEZ L'ENFANT

Hémogramme. Les résultats de l'hémogramme doivent être interprétés en fonction de l'âge de l'enfant (cf. tableau ci-dessous).

Il faut retenir :

- les valeurs élevées du nombre d'hématies et du taux d'hémoglobine à la naissance et leur augmentation jusqu'à la troisième semaine de vie, puis leur diminution jusqu'à un minimum entre le troisième et le sixième mois et, enfin, leur remontée progressive jusqu'aux valeurs qui seront celles de l'adulte, atteintes vers dix ans ;

- un nombre normal de leucocytes d'autant plus élevé que l'enfant est plus jeune ;

- l'inversion de la formule leucocytaire entre un mois et quatre ans (plus de lymphocytes que de polynucléaires) ;

- la faible variation du nombre de plaquettes en fonction de l'âge.

Facteurs de l'hémostase. Les facteurs de la coagulation, dont la synthèse est dépendante de la vitamine K (facteurs II, VII, IX, X), ont des taux faibles chez le nouveau-né et dans les premières semaines de vie (30 à 50 % des valeurs de l'adulte) en raison d'un déficit physiologique en vitamine K à cet âge, d'où l'intérêt de la supplémentation systématique en vitamine K à la naissance. De ce fait, le taux de prothrombine (TP) est plus bas que chez l'adulte (environ 50 %) et le temps de céphaline kaolin (TCK) est plus long (40 secondes pour un témoin à 30).

Après la période néonatale, les taux normaux des facteurs de la coagulation sont identiques à ceux de l'adulte (100 %), de même que les tests de la coagulation.

LES ANEMIES

Signes cliniques d'anémie. La diminution de l'hémoglobine entraîne une pâleur de la peau et des muqueuses qui doit être appréciée en fonction de l'âge et de la carnation. La coloration de la conjonctive, indépendante de la pigmentation, est l'élément le plus fin à prendre en considération.

La diminution du transport de l'oxygène vers les organes provoque :

- une mauvaise adaptation à l'effort (essoufflement chez le grand enfant, difficulté lors de la prise du biberon chez le nourrisson) ;

- un rythme cardiaque et respiratoire accéléré (tachycardie et tachypnée) ;

- et, en cas d'anémie chronique, une mauvaise croissance staturo-pondérale.

D'une manière générale, à taux d'hémoglobine équivalent, une anémie chronique est mieux tolérée qu'une anémie d'installation rapide.

Quand le mécanisme de l'anémie est une hémolyse (destruction excessive des hématies), un ictère s'associe à la pâleur.

Signes biologiques. Une anémie se définit par la diminution du taux d'hémoglobine en dessous de la valeur moyenne diminuée de deux écarts types (cf. tableau, p. VII). Cette valeur seuil de la normalité est variable en fonction de l'âge et on doit tenir compte de l'état d'hémodilution ou d'hémoconcentration (taux d'hématocrite) dans l'interprétation.

L'hémogramme renseigne systématiquement sur le volume globulaire moyen (VGM) et le contenu corpusculaire moyen en hémoglobine (CCMH), qui permettent de caractériser l'anémie (microcytaire ou non, hypochrome ou non...).

En sus, le bilan biologique d'une anémie comporte la recherche de son caractère régénératif ou non par la mesure du taux de réticulocytes.

Dans une situation d'anémie aiguë, il est important de réaliser en urgence, juste avant de brancher la transfusion d'hématies, un prélèvement sanguin en vue de réaliser des examens à visée étiologique qui deviendraient ininterprétables après la transfusion : dosage des enzymes érythrocytaires (G6PD, PK), électrophorèse de l'hémoglobine, test de Coombs, frottis et réticulocytes, échantillon de sérum, ferritinémie.

Anémies non ou peu régénératives. Les réticulocytes sont inférieurs à 50 000.103/mm3, la moelle osseuse produit peu d'hématies.

Anémies microcytaires hypochromes. Les anémies microcytaires (VGM < 80 mm3) hypochromes (CCMH > 30 %) correspondent le plus souvent à une carence martiale (près de 40 % des nourrissons à 1 an). Les besoins en fer au cours du premier trimestre de vie sont très importants, or le lait maternel est relativement pauvre en fer. Il peut exister aussi un défaut d'absorption (intolérance au gluten) ou un saignement occulte chronique (reflux gastro-oesophagien).

La prévention est essentielle, par une supplémentation dès la fin de la grossesse et chez le petit nourrisson (lait enrichi, diversification du régime). Le lait de femme est peu concentré en fer, mais son coefficient d'absorption est très élevé ; de ce fait, le nourrisson nourri au sein n'est pas exposé à une carence, sauf en cas de prématurité ou d'alimentation au sein exclusive au-delà du sixième mois de vie. Une supplémentation orale médicamenteuse est indiquée pendant les six premiers mois chez des enfants à risque majoré de carence : prématurés, jumeaux, prélèvements sanguins répétés. Le traitement curatif comporte l'administration de fer par voie orale. Il faut savoir que la tolérance digestive du fer peut être médiocre si les doses sont trop élevées (mieux vaut privilégier la durée du traitement que sa posologie), qu'il faut le répartir en deux à trois prises en dehors des repas (meilleure absorption) et que l'association à l'acide ascorbique augmente la fraction absorbée. Les selles peuvent être ramollies et sont colorées en noir. Le traitement, pour être suivi d'effet, doit être poursuivi régulièrement pendant au moins deux mois. En l'absence d'efficacité d'un traitement bien administré, il faut rechercher une cause toxique associée : le saturnisme infantile, qui est une intoxication chronique par le plomb. Elle est parfois associée à un processus inflammatoire chronique, qui est consommateur de fer.

Anémies normocytaires normochromes. La moelle produit des hématies normales en volume et bien concentrées en hémoglobine, mais en quantité insuffisante. Un myélogramme (étude cytologique de la moelle osseuse après ponction) recherche une prolifération tumorale primitive (leucémie) ou secondaire (neuroblastome), causes principales à écarter avant d'envisager d'autres maladies moins graves (carence en vitamine B12...).

Anémies régénératives. La moelle osseuse cherche à compenser l'anémie en augmentant sa production d'hématies. C'est le cas dans les anémies aiguës et dans une série de maladies dites anémies hémolytiques ; les hématies produites sont détruites prématurément, soit parce qu'elles sont anormales et fragiles, soit parce qu'elles sont agressées par un agent extérieur.

Anémies corpusculaires.

Déficits enzymatiques érythrocytaires. D'origine congénitale, ces déficits (G6PD, PK) sont susceptibles d'entraîner une hémolyse brutale (anémie aiguë) quand les hématies rencontrent certains agents inducteurs ; ainsi, en cas de déficit en G6PD, les fèves et de nombreux médicaments (sulfamides, anti-infectieux, antimalariques...) peuvent déclencher une anémie aiguë, mais il existe des différences importantes dans la sensibilité d'un malade donné à ces différents agents. Après correction de l'hémolyse aiguë par transfusion, l'éducation de la famille et de l'enfant en vue de l'éviction de ces agents inducteurs constitue la seule action préventive.

Maladies de la membrane érythrocytaire. La maladie de Minkowski-Chauffard, aussi appelée sphérocytose héréditaire, provoque une anémie chronique progressive accompagnée de splénomégalie. La splénectomie permet habituellement de corriger l'anémie.

Anomalies héréditaires de l'hémoglobine. Ces maladies se traduisent par une anémie hémolytique chronique. Leur diagnostic repose sur l'électrophorèse de l'hémoglobine. Dans les formes sévères, les greffes de moelle osseuse allogénique constituent aujourd'hui une possibilité thérapeutique à considérer.

- Drépanocytose. Maladie héréditaire autosomique récessive, elle se rencontre chez les sujets originaires d'Afrique noire et d'Afrique du Nord. Elle est caractérisée par la présence d'une hémoglobine S, anormale, qui a la particularité d'entraîner une déformation des hématies en faucilles (falciformation) dans des situations d'hypoxie relative (avion, fièvre) favorisées par l'anémie chronique et la déshydratation. Seuls les sujets drépanocytaires homozygotes présentent des signes cliniques : anémie chronique, grosse rate, sensibilité aux infections graves (septicémies, ostéomyélites...), aux thromboses, crises drépanocytaires (fièvre, douleur), qui requièrent une hospitalisation en urgence. Une hydratation veineuse abondante est indiquée, associée, selon les cas, à des transfusions, des antalgiques, des antibiotiques.

L'éducation de la famille est importante : boisson abondante en cas de fièvre, traitement énergique de tout début d'infection.

Une attention particulière doit être portée aux vaccinations ; une prophylaxie anti-infectieuse par Oracilline® est parfois prescrite.

- Thalassémies. Elles représentent différentes anomalies de l'hémoglobine qui affectent les populations d'origine méditerranéenne, africaine et asiatique. Ce sont des maladies autosomiques récessives ; les sujets hétérozygotes sont des porteurs asymptomatiques. Les sujets homozygotes souffrent d'une anémie chronique invalidante, requérant des transfusions répétées, porteuses de complications : infections, surcharge en fer.

Anémies hémolytiques acquises. Elles existent chez l'enfant comme chez l'adulte. Ces maladies rares correspondent à des agressions des hématies par des toxiques, des agents infectieux ou un processus d'ordre immunologique.

Syndrome hémolytique et urémique. C'est un syndrome très spécifique dans lequel une anémie hémolytique est associée à une thrombocytopénie et à une insuffisance rénale aiguë.

LES ANOMALIES DE LA COAGULATION

Signes cliniques. Un trouble de la coagulation se manifeste par des hémorragies. Celles-ci peuvent être cliniquement patentes ou latentes.

L'extravasation de sang en dehors des capillaires, se manifeste par :

- des pétéchies : taches cutanées punctiformes de 1 à 3 mm, rouge vif ou brunes, liées à la présence d'hématies dans le derme ; elles se distinguent d'une éruption d'origine infectieuse ou inflammatoire par leur persistance inchangée après les avoir comprimées (alors qu'un « bouton » pâlit) ; leur présence sur les muqueuses (voile du palais notamment) ou à l'examen du fond de l'oeil constitue un élément de gravité clinique ;

- des vibices, lignes rouge vif correspondant au même mécanisme au niveau des plis de flexion ;

- des ecchymoses, taches violacées, irrégulières, témoignant de la présence diffuse d'hématies dans l'hypoderme, qui s'étendent en nappe ; elles évoluent en une dizaine de jours vers la disparition après être passées par les couleurs de la biligenèse locale (bleu et jaune) ;

- des hématomes, qui correspondent à la constitution d'une collection enkystée de sang à l'intérieur d'un organe (muscle notamment) ;

- des hémorragies muqueuses et viscérales : ORL (épistaxis), gencives (gingivorragies), tube digestif (hématémèse et melæna), reins et voies urinaires (hématurie), cavités articulaires (hémarthrose), cerveau et méninges (hémorragie cérébro-méningée). Cette dernière constitue un risque vital majeur dans les troubles graves de la coagulation.

Signes biologiques. L'exploration biologique d'un trouble de la coagulation comporte toujours un premier niveau de débrouillage qui vise à cerner le mécanisme en cause, plaquettaire ou plasmatique. Ce premier bilan comprend : la mesure du temps de saignement ; la mesure du nombre de plaquettes circulantes ; la vérification de la voie plasmatique de la coagulation par des examens.

Les valeurs normales chez l'enfant sont semblables à celles de l'adulte, sauf chez le nouveau-né. D'une manière générale, la tolérance de l'enfant à un défaut de la coagulation sanguine est meilleure que celle de l'adulte, du fait de la qualité de son réseau capillaire. Il n'est pas rare de rencontrer chez l'enfant des hyperplaquettoses (> 450.103/mm3), presque toujours sans manifestation ni conséquence, qui témoigne d'une intense activité de la moelle osseuse en réaction habituellement à une maladie infectieuse ou inflammatoire.

Principales maladies chez l'enfant. On distingue de façon schématique des maladies hémorragiques d'origine plaquettaire (purpuras) et d'origine plasmatique.

Purpuras. Ils correspondent soit à des maladies plaquettaires, soit à des maladies du revêtement interne des vaisseaux, l'endothélium.

Purpuras d'origine plaquettaire. Ils sont dus à un déficit de production des plaquettes (maladies tumorales de la moelle osseuse, aplasie médullaire, certaines maladies congénitales, certaines carences) ou à un excès de destruction (notamment purpura thrombocytopénique immunologique, encore appelé purpura thrombopénique idiopathique ou PTI) ou de consommation (coagulation intravasculaire disséminée, angiome néonatal extensif...).

Le PTI est le purpura le plus fréquent chez l'enfant. Son début est aigu, brutal, chez un enfant de 2 à 5 ans, en bon état de santé général. Il se manifeste par des pétéchies et des ecchymoses extensives, d'abord et surtout dans les zones déclives (jambes et lombes) du fait de la pression capillaire plus élevée, et par des douleurs abdominales dues au purpura de la paroi digestive, au melæna, à l'épistaxis... La seule anomalie biologique est un nombre de plaquettes très bas, souvent inférieur à 20 G/L, les autres lignées, blanche et rouge, étant normales.

La maladie est due à la production d'auto-anticorps antiplaquettaires, souvent favorisée par une infection passagère banale survenue quelques semaines plus tôt. Le traitement comporte toujours la mise au repos et une surveillance clinique et biologique rapprochée ; en dessous de 30 G/L de plaquettes, l'administration de gammaglobulines intraveineuses à hautes doses est indiquée, parfois associée à une corticothérapie. La transfusion de plaquettes est souvent inefficace, les plaquettes transfusées étant elles aussi détruites par la réaction immunitaire anormale. L'évolution est généralement favorable, mais 20 % des cas s'installent dans la chronicité.

Purpuras vasculaires. Maladies appelées aussi vascularites. Il s'agit d'une inflammation de l'endothélium vasculaire d'origine immunologique qui entraîne un défaut d'étanchéité vasculaire.

Hémophilie. L'hémophilie est une maladie constitutionnelle rare (1/10 000). Elle correspond à une anomalie de production d'un facteur de la coagulation, soit le facteur VIII : hémophilie A, la plus fréquente (8/10) ; soit le facteur IX : hémophilie B (2/10).

Selon l'importance du déficit de synthèse du facteur, on définit pour chaque type d'hémophilie trois niveaux de gravité :

- sévère : taux = 1 % de la valeur normale (1 malade sur 2) ;

- modérée : 2 à 4 % ;

- atténuée : entre 5 et 30 %.

L'hémophilie est une maladie héréditaire, transmise sur le mode récessif lié au chromosome X. De ce fait, la quasi-totalité des sujets malades sont des garçons, puisqu'il suffit d'avoir un chromosome X sain pour que le taux de synthèse du facteur A ou B soit suffisamment élevé pour n'avoir aucune conséquence clinique (> 50 %). Le taux du facteur et donc la sévérité sont constants dans une même famille.

La maladie se révèle rarement à la naissance (traumatisme obstétrical), mais habituellement à l'âge de la marche. Les traumatismes, même mineurs et passés inaperçus, provoquent ecchymoses, hématomes et hémarthroses (épanchement sanguin à l'intérieur de la cavité articulaire). La répétition de ces hémorragies articulaires compromet la fonction des articulations touchées (membres inférieurs essentiellement). Certaines hémorragies peuvent mettre la vie en danger (hématome compressif des voies aériennes supérieures, hémorragie cérébro-méningée). Des hémorragies urinaires, digestives peuvent également survenir, le risque hémorragique opératoire est majeur.

Les examens biologiques montrent un TCK allongé et un facteur VIII ou IX diminué, le temps de saignement et le temps de Quick étant normaux.

Le traitement nécessite une éducation de la famille et de l'enfant : précautions dans l'environnement domestique, dans les activités quotidiennes, les activités physiques, interdiction de la mesure rectale de température, interdiction absolue des salicylés qui diminuent l'agrégation plaquettaire.

L'apport du facteur déficitaire est nécessaire, à titre curatif et en urgence devant une hémorragie, ou à titre préventif quand une intervention chirurgicale est programmée. Les concentrés de facteur VIII ou IX, hautement purifiés et inactivés pour les virus de l'hépatite B et C et le VIH, sont distribués par les établissements de transfusion sanguine. Des facteurs obtenus par génie génétique (facteurs recombinants), parfaitement purs, commencent à être utilisés. Leur dosage est exprimé en unités internationales (1 UI = activité de 1 mL de plasma normal). Présentés sous forme lyophilisée, conservés à + 4 °C, ils sont reconstitués avec de l'eau distillée et leur stabilité est alors de quelques heures. Ils sont administrés par voie intraveineuse directe, au débit de 1 à 2 mL/min, à des doses variant entre 20 et 40 unités/kg de poids. Les injections sont renouvelées si nécessaire toutes les 8 heures, pour maintenir un taux de facteur égal à 50 %. Une intolérance est rarement observée ; elle doit être signalée au centre de transfusion. Parfois, le Minirin® est utilisé dans l'hémophilie A, car il a la propriété d'augmenter légèrement la synthèse du facteur A.

Les injections intramusculaires sont formellement contre-indiquées chez l'hémophile, même dans les formes atténuées. Une prudence s'impose pour tout accès veineux ; une compression du point de ponction est utile.

Devant une hémorragie, le traitement local a toute sa place (compression, immobilisation d'une articulation). L'hémarthrose, très douloureuse, requiert une prise en charge antalgique de qualité (pas de salicylés !).

Le diagnostic prénatal constitue aujourd'hui une étape essentielle de la prévention des formes sévères d'hémophilie.

Il existe dans toutes les grandes villes des centres régionaux de référence pour le traitement de l'hémophilie. Chaque malade se voit remettre une carte d'hémophile (type et sévérité du déficit, présence éventuelle d'agglutinines et/ou d'un anticoagulant, groupe sanguin, adresse du centre), ainsi qu'un carnet de surveillance sur lequel chaque soignant doit inscrire son intervention.

Maladie de von Willebrand. Il s'agit d'un déficit congénital en facteur Willebrand, lequel a un double rôle dans le processus de la coagulation : adhésion des plaquettes et transport du facteur VIII. Ce déficit héréditaire autosomique dominant est fréquent (1 à 2 % de la population), mais très variable dans son importance au sein d'une même famille (pénétrance et expression variables). La symptomatologie clinique est similaire à celle de l'hémophilie quand le déficit en facteur Willebrand est important. Sur les examens biologiques, il existe un allongement du temps de saignement et des anomalies des dosages de l'activité Willebrand.

Le traitement comprend l'éducation de la famille et de l'enfant et, en cas de besoin, l'administration de Minirin® ou d'un dérivé sanguin enrichi en facteur Willebrand peut être indiquée.

LES ANOMALIES DES GLOBULES BLANCS

On distingue les anomalies des polynucléaires et des lymphocytes.

Anomalies des polynucléaires. Il s'agit soit d'un déficit quantitatif (neutropénie) ou fonctionnel, soit d'une prolifération (polynucléose).

Neutropénies. Il existe une neutropénie quand le nombre de polynucléaires neutrophiles circulants est inférieur à 1,5.103/mm3 après 1 an, à 2.103/mm3 entre 2 et 12 mois et inférieur à 3.103/mm3 ensuite. Les conséquences cliniques d'une neutropénie sont un risque majoré vis-à-vis des infections bactériennes essentiellement, mais aussi mycosiques. Ce risque est fonction :

- de la profondeur de la neutropénie : risque modéré au-dessus de 0,5.103/mm3, important entre 0,2 et 0,5, majeur en dessous de 0,2 ;

- de la durée de la neutropénie : plus elle dure (plus de quelques jours), plus le risque augmente ;

- du mécanisme : les neutropénies d'origine centrale, par défaut de fonctionnement de la moelle osseuse, présentent plus de risque infectieux que les neutropénies périphériques par infection ou réaction immunitaire ;

- des circonstances de survenue et du contexte : présence d'une porte d'entrée infectieuse (mucite après chimiothérapie, cathéter central, drain...).

L'observation d'une neutropénie est fréquente chez l'enfant ; la plupart sont transitoires, d'origine périphérique (la production de polynucléaires est normale), et sont la conséquence d'une infection virale récente ou parfois d'une toxicité médicamenteuse inattendue. D'autres fois, la neutropénie est un effet secondaire accepté de certains traitements (chimiothérapie anticancéreuse, radiothérapie) ; rarement il s'agit d'une maladie propre du polynucléaire (défaut de fabrication ou de fonction) entrant dans le cadre plus général des déficits immunitaires congénitaux.

Devant une neutropénie, des mesures de prévention s'imposent : hygiène attentive du sujet (buccale et corporelle), précautions à prendre par l'entourage (lavage soigneux des mains, éviction des personnes enrhumées, infectées), isolement plus ou moins poussé, étude bactériologique systématique des urines, du pharynx et de toute lésion suspecte, parfois décontamination digestive par la prise d'antibiotiques non absorbables. Une prescription systématique d'antibiotiques peut être indiquée dans les neutropénies chroniques.

Quand une infection survient chez un sujet neutropénique, un traitement antibiotique bactéricide associé et intraveineux doit être institué au plus tôt, car le développement de l'infection peut être extrêmement rapide.

Polynucléoses. Elles correspondent le plus souvent à une production massive de polynucléaires neutrophiles par la moelle osseuse en réaction à un processus infectieux bactérien. Parfois, la polynucléose circulante n'est que relative, sans augmentation du nombre total de polynucléaires présents dans le secteur vasculaire : la corticothérapie, en effet, entraîne la mise en circulation de tous les polynucléaires du secteur vasculaire alors que, en temps normal, une grande proportion d'entre eux est fixée sur les parois des vaisseaux, donc n'est pas mesurée dans un échantillon sanguin. L'interprétation du nombre de polynucléaires chez le sujet sous traitement cortisonique doit donc tenir compte de cette situation.

Anomalies des lymphocytes et des monocytes. Elles correspondent soit à des excès (lymphocytose, monocytose), soit à des déficits qui peuvent être quantitatifs et/ou qualitatifs et ont une origine soit congénitale (déficit immunitaire constitutionnel, primitif), soit acquise (déficit immunitaire secondaire, notamment à l'infection par le VIH).

En chiffres

> Le volume sanguin total ou masse sanguine est de 80 à 85 mL/kg.

> La durée de vie moyenne des hématies est de 120 jours.

> Les leucocytes sont constitués : - pour moitié de polynucléaires (neutrophiles, en plus grand nombre, éosinophiles, basophiles) ; - pour un tiers de lymphocytes (T et B) ; - et d'environ 10 % de monocytes.

> La durée de vie des polynucléaires neutrophiles est courte : 4 jours. L'organisme renouvelle chaque jour 25 % d'entre eux.

> La durée de vie des plaquettes est en moyenne de 10 jours. L'organisme renouvelle chaque jour 10 % de son stock.

Définitions

> L'hémostase correspond à l'ensemble des mécanismes qui concourent à l'arrêt du saignement.

> Une anémie se définit par une diminution du taux de l'hémoglobine en dessous de la valeur seuil de la normalité, qui est fonction de l'âge et du taux d'hématocrite.

> Un trouble de la coagulation se manifeste par des hémorragies patentes ou latentes.

> L'hémogramme est un examen cytologique du sang circulant permettant, en associant l'hématimétrie et l'étalement sur lame, d'apprécier la morphologie et les proportions relatives des éléments du sang, normaux ou non.

Biologie

> Anémies : quels examens ?

- L'hémogramme caractérise l'anémie : monocytaire ou non, hypochrome ou non...

- La mesure du taux de réticulocytes définit le caractère régénératif de l'anémie.

- Lors d'anémie aiguë, le prélèvement sanguin doit être réalisé en urgence avant la mise en place de la transfusion des hématies. Il permet d'effectuer ensuite les examens à visée étiologique : dosage des enzymes érythrocytaires (G6PD, PK), électrophorèse de l'hémoglobine, test de Coombs, frottis et réticulocytes, échantillon de sérum, ferritinémie.

> Anomalie de la coagulation

L'exploration biologique d'un trouble de la coagulation comporte différentes analyses :

- la mesure du temps de saignement ;

- la mesure du nombre de plaquettes circulantes ;

- la vérification de la voie plasmatique de la coagulation par des examens.

Source

Ce cours, rédigé par Jean-Louis Bernard, professeur des universités, hôpital pour enfants de La Timone (Marseille), est extrait de Puériculture et pédiatrie, publié aux éditions Lamarre (voir page suivante).

Le Dr Louis Kremp, que nous remercions ici pour sa disponibilité, en a assuré la coordination.