Petit miracle dans la rue - L'Infirmière Magazine n° 213 du 01/02/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 213 du 01/02/2006

 

Salwa Hassan

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Sous-payées, débordées, en manque de reconnaissance, les soignantes égyptiennes vivent leur métier comme un sacerdoce. Salwa Hassan, elle, s'épanouit en s'occupant des marginaux du Caire, les enfants des rues.

En Égypte, peu auraient accepté son poste. Salwa Hassan a franchi le pas la peur au ventre. Être infirmière dans des centres pour gamins des rues relève d'une grande ouverture d'esprit au Caire, tant ces enfants abandonnés sont stigmatisés. « C'est mon mari, chauffeur pour Hope Village Society, qui m'a demandé de venir. Il m'a poussée. Mais je ne regrette pas », affirme l'infirmière.

formation peu réputée

De grands yeux noirs surplombant de généreuses joues piquées de fossettes, un visage rond dessiné par son voile bleu clair, un sourire chaleureux, Salwa paraît faite pour rassurer. D'un ton très déterminé, la trentenaire abonde : « J'ai toujours voulu soigner les gens. » Issue d'une humble famille, elle désirait devenir docteur. Mais la condition sociale de ses parents en décide autrement : elle sera infirmière.

À l'âge de 15 ans, elle débute une formation « basique » d'infirmière. « Grâce à mes trois années de formation avec une spécialisation en soins intensifs, j'ai pu travailler en soins intensifs de cardiologie, en chirurgie. Mais cette formation est peu réputée, les infirmières manquent d'autonomie, dès que les médecins s'en vont. C'est un vrai problème. On a besoin de leur autorisation à chaque mouvement de seringue. »

Plus de 90 % des infirmières égyptiennes sont issues de cette formation en lycée jugée trop précoce dans l'évolution des jeunes, et trop superficielle - l'équivalent d'un CAP ou BEP en France. Les autres suivent un cycle de quatre ans à l'université. Les diplômées de lycée sont donc catapultées dans les hôpitaux à 18 ans et souffrent d'un manque de confiance de la part du personnel. De quoi servir de bouc émissaire ! Sans compter le statut de la femme ! Les cas de violence de la part de patients et de médecins ne sont pas rares.

des gardes de 12 heures

À 18 ans, Salwa intègre un hôpital public égyptien. Les conditions de travail y sont très difficiles, les semaines très chargées. Pendant quatre jours, elle prend des gardes de six heures puis le cinquième et sixième jour, elle doit assurer des gardes doubles, de 12 heures, pour ensuite, le septième jour, profiter de son repos hebdomadaire. « Les charges de travail sont trop lourdes, les responsabilités trop grandes. Malgré un faible degré d'autonomie, nous pouvons par exemple utiliser les chocs électriques, en l'absence de médecins ! L'hôpital public en Égypte manque d'infirmières, surtout spécialisées. »

Le pays compte à peine 276 infirmières pour 100 000 habitants, soit près de 2,5 fois moins que le taux français, selon l'OMS (Organisation mondiale de la santé). Mais en plus, les soignantes égyptiennes désertent les structures publiques de leur pays. Dans le privé, on leur offre une paie équivalant au moins au double de celle du secteur rival, soit au moins 400 livres (57 euros) contre environ 200 livres (28,5 euros) par mois. Et certains établissements proposent aussi de la formation continue...

contrats de travail précaires

Salwa n'a pas échappé à la tendance : lasse des conditions de travail trop dures, elle se tourne vers le privé. Là, mêmes horaires, mais de meilleurs équipements, une charge de travail plus adaptée, avec un salaire plus intéressant. Mais les contrats trop précaires inquiètent les infirmières. « J'ai pris cinq jours pour mon mariage et je me suis fait virer », regrette-t-elle. Salwa retrouve malgré tout du travail dans le privé...

tous les maux

Jusqu'au moment où son mari la sollicite, en 2000, pour l'ONG (Organisation non gouvernementale) où il travaille. « Hope Village Society avait besoin d'une infirmière. Mon mari est chauffeur pour eux, il a insisté pour que je les rejoigne, mais moi j'avais peur des enfants », se souvient-elle. Car ces enfants, ce sont des vagabonds qui traînent dans les rues, abandonnés par leur famille et exclus de la société. Dans une Égypte résolument tournée vers le tourisme, très fière d'elle-même, ces petits mendiants, vendeurs à la sauvette, voleurs par nécessité, font tâche. On les blâme de tous les maux. L'ONG a construit des centres d'accueil de jour dans la capitale égyptienne, ainsi qu'à Alexandrie, pour qu'ils puissent venir se soigner. Et tenter de sortir de leur enfer.

Salwa travaille simultanément sur plusieurs centres cairotes. La mégapole égyptienne, située près du delta du Nil, ne cesse de s'étendre et de grignoter le désert qui l'entoure. Les centres pour enfants des rues se trouvent dans ses quartiers périphériques.

L'infirmière y épaule le médecin, administre les traitements, panse, emmène les petits malades à l'hôpital. Elle a construit une relation particulière avec ces patients insaisissables. « Ils ne font confiance à personne, affirme-t-elle. Quand ils arrivent ici, ils mentent presque toujours. Alors, je profite des moments de soins pour leur poser des questions. Et à force de leur parler, au bout de plusieurs visites, je finis par gagner leur confiance. »

Eux aussi ont gagné la sienne : Salwa emmène parfois son fils de cinq ans. « Il n'a pas peur, il ne fait aucune différence entre lui et ces enfants. » Mais hors de question que sa petite de 8 ans côtoie les filles. « Elles auraient une mauvaise influence », affirme-t-elle, consciente de la précocité sexuelle de ses protégées.

Aujourd'hui en poste à temps partiel pour s'occuper de ses deux enfants, Salwa a trouvé son équilibre au milieu de ces gamins en mal d'amour. Elle qui les redoutait s'exclame aujourd'hui : « Je ne changerais de travail pour rien au monde ! »

moments clés

- 1987 : âgée de 15 ans, Salwa opte pour les études paramédicales les moins onéreuses et entame ses trois années de formation au lycée pour devenir infirmière.

- 1990 : elle décroche son premier poste dans un hôpital public égyptien, avec une paie inférieure au salaire moyen cairote.

- 2000 : après dix ans d'hôpitaux publics et ensuite privés, Salwa intègre l'ONG Hope Village Society pour s'occuper des enfants des rues du Caire.