Au coeur des maux - L'Infirmière Magazine n° 214 du 01/03/2006 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 214 du 01/03/2006

 

les urgences pédiatriques de Saint-Vincent-de-Paul

24 heures avec

Service d'urgences pédiatriques à Paris. 9 heures du matin et une foule afflue déjà. Des parents paniqués amènent leurs enfants : fractures, crise d'asthme... Ici, on soigne tous les maux.

« Bonjour, je m'appelle Caroline. Tu peux t'asseoir sur ce fauteuil de princesse. » La voix est douce et le sourire rassurant. Sara, accompagnée de ses parents, est un peu craintive. Elle vient de faire une crise d'asthme. Caroline occupe aujourd'hui le poste d'infirmière d'accueil et d'orientation (IAO). C'est la première blouse blanche que la petite fille rencontre. Il est 9 heures du matin en cette glaciale journée d'hiver. Nous sommes dans le service d'urgences pédiatriques de Saint-Vincent-de-Paul à Paris. Cette unité a reçu en 2005 quelque 23 000 petits patients.

En passant le hall d'entrée, les parents se trouvent souvent dans un état de panique. Pour aller au plus vite, les petits patients suivent un parcours de soins bien balisé, identique pour tous.

À l'accueil, l'aide-soignante réalise un premier recueil de données ciblé. Les urgences vitales sont dirigées immédiatement vers la salle de déchoquage. Les autres enfants, dont les cas ne nécessitent pas une réanimation, sont vus par l'infirmière d'accueil et d'orientation.

Degré d'urgence

Son travail consiste à évaluer le degré d'urgence. Ce poste stratégique permet d'apprécier le motif de recours au soins, les différents signes observables et la prise des paramètres vitaux. S'il ne s'agit pas d'une urgence absolue, elle instaure le temps d'attente, 20 minutes (tous les nourrissons de moins de trois mois sont entre autres concernés), 120 ou 240 minutes.

Au moment de la visite avec le médecin, les enfants entrent dans l'un des six box où ils seront examinés. Les malades nécessitant un suivi plus précis seront placés pour quelque temps en unité d'observation, qui compte cinq lits.

Pas de routine !

Onze heures. Six personnes patientent dans la salle d'attente. Les enfants se jettent sur les jouets pendant que les parents soufflent un peu. Les problèmes sont variés : poussée de fièvre, asthme, chute de vélo... À l'accueil, Caroline, IAO du jour, large sourire et regard bleu glacier, chante une comptine à un bébé. « Il faut lui parler et obtenir sa contribution pour la prise de température et de tension. Tout est une question de douceur. On adapte notre attitude à chaque enfant. » Elle rassure la mère. Puéricultrice et visiblement passionnée, elle a aujourd'hui un rôle stratégique dans le service. « Les parents amènent leur enfant ici car ils sont inquiets, explique-t-elle. Il faut leur dire qu'ils ont bien fait car l'une de mes missions est également de les apaiser. Ici, il faut être très attentif quand les enfants arrivent les uns après les autres. Si l'un va mal, il faut vite repérer le problème avant que cela ne s'aggrave. Pour les cas les moins graves, je n'hésite pas à dire aux adultes qu'ils peuvent venir me voir quand ils sont en salle d'attente. Ça aussi, ça les rassure. De toute façon, qu'il y ait cinq ou dix enfants dans la salle d'attente, le but est que le dernier passe le plus vite. Être IAO, ça pompe beaucoup d'énergie. Nous avons une sacrée responsabilité. En plus du reste, nous avons aussi un rôle dans la prévention et le signalement de situations de maltraitance. »

En cette période d'hiver, le service reçoit beaucoup de malades touchés par les bronchiolites, les gastroentérites, des fièvres isolées. « Mais, comme l'indique Caroline, la bonne moitié des patients reçus ici pourraient aller voir un généraliste. » Une « bobologie » propre à tous les services d'urgence. « Ici, les parents voient un médecin, l'enfant passe une radio et des examens. Ça les rassure beaucoup et en plus, il n'y a pas d'argent à avancer. » Dans l'un des box du service, le petit Dimitri attend sagement sur son lit. Ce matin, il a fait un malaise. Krystel, jeune infirmière enthousiaste, va lui faire passer quelques examens. Un peu plus loin, assise au bureau de l'accueil, l'aide-soignante, Jennifer, sourit : « Aujourd'hui, tout est calme. Ah, si vous aviez été là il y a deux jours ! C'était la folie ! »

Varier les plaisirs

Dans le couloir du service, un père tente de calmer son petit garçon. Inconsolable, l'enfant a de la fièvre et refuse de boire son biberon de médicaments. Dans l'unité d'observation, Vanessa, une règle anti-douleur dans la poche, surveille deux enfants. « Les cas instables viennent ici, explique-t-elle. On surveille leur température et leur tension. On note leur évolution : soit il reste un peu ici, soit on les envoie dans un autre service. Cela arrive qu'il passe une nuit ici, mais c'est rare. »

Dans le service, les 23 infirmières se partagent trois postes : cette unité d'observation, les box ou l'accueil. Particularité des lieux : elles choisissent leur poste en arrivant dans le service. « Hier, j'étais en box et avant-hier IAO, explique Vanessa. On s'arrange entre nous en arrivant ! C'est une chance. Nous faisons nos plannings un mois avant. Moi, j'aime bien travailler en box. Ici, les journées ne se ressemblent jamais. En ce moment, le service est paisible mais peut-être que dans une heure, ce sera la course. La routine n'existe pas. Ça change tous les jours ! C'est mon premier poste. Depuis un an et demi, j'ai beaucoup appris sur la gestion du stress et sur l'organisation. Quand on parvient à vraiment créer un contact avec les enfants, on a le sentiment d'être récompensé. Ici, on travaille souvent en collaboration avec les parents. »

Cheval de bataille de ce service à taille humaine : l'évaluation de la douleur est systématique. Le protoxyde d'azote et la crème Emla anesthésiante sont utilisés lorsque le degré d'urgence le permet.

Ici, comme ailleurs, les soignants doivent parfois affronter des familles inquiètes qui manifestent leur impatience avec violence. Sans parler de cette violence verbale qui peut dégénérer parfois - mais c'est rare - en violence physique.

On imagine la tension quand le service grouille. « L'accueil est très variable, explique Jennifer. Les gens peuvent hausser le ton facilement car ils attendent. C'est là que l'agressivité monte. Ils se calment souvent vite car ils sont vus tout de suite par l'infirmière. Le week-end et la nuit, il y a moins de médecins. C'est dans ces moments-là que l'on peut connaître des pics d'agressivité. » Caroline, au souvenir de ces mécontents, lance un petit rire. « Ceux qui font de la résistance sont souvent les cas les moins graves. »

Projet de soins

Ces problèmes de patients n'altèrent aucunement l'ambiance du service. « Il règne ici un très bon esprit d'équipe, explique Michèle Pierrel. Nous avons beaucoup travaillé sur la responsabilité et la réglementation dans le service. Depuis cinq ans, nous organisons une fois par semaine une réunion avec tout le personnel paramédical. L'idée est d'évoquer les dysfonctionnements et tout ce qui a été mal vécu dans la semaine écoulée. Chacun s'exprime. Dans ce service, chacun a une mission de responsabilité à son niveau. Comme partout, quelques postes demeurent vacants mais nous avons défini des normes de sécurité. » En ce moment, trois infirmières manquent à l'appel : un arrêt maladie et deux congés maternité. En tout, le service compte cinq postes d'infirmière vacants.

Krystel, diplômée depuis un an et demi, confirme ce bel esprit d'équipe. Tout comme Marie-Jeanne qui exerce ici depuis 1998. « Ici, on parle beaucoup avant d'être confrontés à de vrais "coups de gueule" ».

L'âge moyen des infirmières est de 36 ans. Le projet de soins infirmiers, mis en place il y a deux ans par Nadia Zehar et Louisa Hilmi, toutes deux cadres de santé, contribue grandement à l'atmosphère du service.

« Pour réaliser ce projet, nous nous sommes entretenues durant deux mois avec chacun des professionnels du SAU, ainsi qu'avec les familles de patients. Nous souhaitions identifier les axes d'amélioration prioritaires dans le domaine des soins ou de l'organisation, explique Louisa Hilmi. Aujourd'hui, le but de ce projet de soins est d'améliorer la sécurité autant que la qualité des soins au quotidien. Améliorer l'accueil des patients, réduire les risques et les dysfonctionnements, perfectionner le tutorat et l'encadrement de tout nouveau (professionnel ou stagiaire) ainsi que développer le travail en réseau (avec nos collaborateurs internes ou externes à l'établissement) sont désormais nos priorités. »

L'implication des cadres dans les différentes instances du groupe hospitalier favorise cette démarche d'amélioration de la qualité et la sécurité des soins.

Patinoire, rollers et statue...

En fin d'après-midi, une adolescente américaine vient d'arriver avec ses parents. Elle s'est cassée le bras en grimpant sur une statue aux Halles. Dans la salle d'observation, une jeune fille se mord les lèvres : elle s'est fracturée le poignet à la patinoire. Félix, quant à lui, a fait un vol plané en rollers : deux doigts cassés. Les pompiers entrent en trombe avec un enfant allongé sur une civière. Le jour décline à l'extérieur. La nuit ne fait que commencer ! Une journée comme les autres aux urgences pédiatriques de Saint-Vincent-de-Paul...

1- Urgences pédiatriques de Saint-Vincent-de-Paul, 74-82, avenue Denfert-Rochereau, 75014 Paris.

Tél. : 01 40 48 86 34.